Chapitre 31
– Evie ? m’exclamai-je en ouvrant la porte.
Mon amie, échevelée et l’air d’avoir passé une nuit affreuse, se tenait sur le palier, deux gros sacs à bouts de bras.
– Mais… qu’est-ce que tu…
– Désolée, Nat, je sais qu’il est un peu tôt.
Sa voix brisée résonna dans le couloir. Les cernes noirs sous ses yeux accentuaient son regard de détresse.
– Qu’est-ce que… qu’est-ce qui s’est passé ? l’interrogeai-je, perplexe. Entre, viens, reste pas devant ma porte.
Je me décalai pour laisser passer mon amie, qui déposa ses sacs à l’intérieur dans un soupir de désespoir.
– Est-ce que ça va ? la questionnai-je encore.
Evidemment que non, ça ne laissait pas de doute : elle avait des ennuis. Mais face à son silence, je ne savais pas comment réagir.
Elle se tourna vers moi, les yeux soudain embués de larmes, et me tomba dans les bras, avant d’éclater en sanglots.
– Nat, je ne sais pas quoi faire, je suis complètement à la ramasse… Il y a eu une grosse dispute, avec mes colocs, ils étaient hyper remontés contre moi… Pour tout l’argent que je leur dois depuis des mois… Et mon proprio est en train de faire les procédures pour m’expulser, je ne vais pas m’en sortir, Nat…
Le cœur soudain alourdi d’un poids monumental, je serrai Evie contre moi, affligée. D’une voix hésitante, je demandai :
– C’est eux qui t’ont mis à la porte ? Parce que dans ce cas, c’est contre…
– Non, non, je suis partie moi-même quand ça a commencé à dégénérer, me coupa Evie, entre deux sanglots déchirants. Je voudrais prendre un peu de distance le temps que ça se calme… Mais ça ne va pas s’arranger, Nat, je n’ai toujours aucune réponse des employeurs auprès de qui j’ai postulé et plus le temps passe, moins j’ai de quoi me nourrir… Je vais finir sans-abri avant la fin de l’été, j’en suis sûre… Je t’avais dit quoi ? Je suis une ratée jusqu’au bout, j’ai gâché ma vie…
– Evie, Evie, dis-je précipitamment, pour couper court à son débit de lamentations. Calme-toi, tu ne vas pas finir à la rue. Premièrement, parce que tant que je serais ici, tu pourras rester chez moi. Deuxièmement, parce que tu vas te reprendre en main et décrocher un emploi avant que les démarches d’expulsion n’aboutissent. Il faudrait des mois pour ça, et tu as le temps de trouver un boulot, de rembourser une partie de tes loyers impayés en attendant.
– Oui, mais… et si… je n’arrive pas à m’en sortir et que je suis poursuivie en justice pour mes dettes ?
– Ça ne t’arrivera pas, je ne te laisserai pas tomber, Evie.
Soutenant mon amie par les épaules, je la fis s’assoir sur le canapé. Ses pleurs se changèrent en hoquets, je lui tendis un mouchoir.
– Evie, tu as fait un mauvais pas, qui t’a entrainé dans une chute, repris-je, songeant à ma grand-tante Annie. Mais tu vas te relever et même si tu n’en vois pas le bout pour l’instant, je te promets que tout ira mieux bientôt.
Je sais que mes paroles sonnent comme ces encouragements classiques et bidons qu’on est lassés d’entendre, mais je ne vois pas quoi lui dire d’autre. Et en plus, je le crois vraiment, qu’elle peut rebondir. Elle est démunie actuellement, parce qu’elle a perdu tout espoir et a le sentiment de s’enfoncer de plus en plus, mais avec du soutien, je n’ai aucun doute qu’elle s’en sortira.
– Tu as toutes les ressources pour te tirer de cette mauvaise passe, Evie, il faut que tu reprennes confiance en tes capacités et que tu acceptes mon aide.
– Oui, sanglota-t-elle, c’est pour ça que je suis venue. Je sais que je peux compter sur toi, Nat.
– Evidemment, que tu peux compter sur moi, dis-je en posant ma tête sur son épaule.
Si je devais décrire la première impression que j’ai eu d’Evie, le jour de notre rencontre, je dirais que j’ai tout de suite eu envie d’être amie avec elle.
Je venais d’emménager à Paris, dans ma résidence universitaire, à tout juste dix-huit ans. J’étais paumée, complètement perdue, dans la capitale. J’avais toujours vécu en périphérie, dans un appartement, avec mes parents et ma sœur Clarisse.
La rentrée avait commencé depuis une semaine à peine, et je ne retrouvais plus mon chemin dans les rues de la ville lumière. J’avais tenté de demander de l’aide auprès de plusieurs passants, mais tous m’avaient ignorée, devant ma dégaine encore empreinte de mon époque d’ado rebelle.
Par dépit, après avoir tourné en rond pendant un bon bout de temps, je m’étais installée à la terrasse d’un café. Une serveuse aux yeux pétillants et pleins de malice m’avait tendu la carte des boissons, un grand sourire aux lèvres. Cette vision m’avait changé des regards que les autres passants posaient généralement sur moi.
J’avais grommelé que je n’avais pas de sous, que je voulais juste me reposer quelques instants. La serveuse, avec un accent britannique, avait insisté en proposant de m’offrir à boire, car je paraissais exténuée. Elle avait alors pris sa pause et on s’était retrouvées à bavarder autour d’une limonade bien fraiche, comme si on se connaissait depuis l’enfance.
J’avais appris d’elle qu’elle avait un an de plus que moi, était née d’un père français et d’une mère galloise, et avait vécu la majeure partie de sa vie aux Pays de Galles mais avait grandi en parlant presque autant français qu’anglais dans sa famille. Elle s’était installée à Paris l’année précédente, pour faire une licence en sociologie.
Sans bien m’en rendre compte, tous mes tracas semblaient s’être allégés, lorsque mon verre s’était retrouvé vide.
Avant que je ne quitte la terrasse du café, la serveuse m’avait demandé si on pouvait rester en contact. Une semaine plus tard, j’étais repassée la voir. J’avais déjà pris plus d’assurance et je me repérai mieux dans la ville, même si le GPS restait mon principal allié pour m’orienter.
J’avais besoin d’un petit boulot pour m’aider à financer ma nouvelle vie d’étudiante, la serveuse m’avait alors proposé de postuler dans le café, où elle travaillait en soirée et les weekends.
C’était ainsi que je m’étais liée d’amitié avec Evie, et avais bossé à ses côtés les soirs et les weekends pendant près de deux ans, jusqu’à ce qu’elle rate sa dernière année de licence, et que je commence moi-même mon alternance et n’aie de toute façon plus assez de temps pour combiner mes études à ce job.
À partir de ce moment-là, nous étions déjà meilleures amies et je l’avais soutenue lorsqu’elle avait cherché un travail à plein temps, pour pouvoir subsister avec une colocation et de nombreux frais à payer chaque mois à Paris.
Depuis, rien n’a vraiment changé.
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