Chapitre 37
Il était 17h. Je sortais tout juste de cours et venais de voir le message de l’étudiante.
Sans bien savoir ce qui m’arrivait, je commençais à me sentir fébrile, plus nerveuse que je ne voulais bien l’admettre.
« Non mais, pourquoi j’ai les jambes qui flageolent, tout à coup ? Je suis passée à autre chose, en deux mois, je n’ai pas de raison de réagir ainsi. Si c’est maintenant que Julien se réveille, c’est un peu tard… »
Malgré tout, je ne pouvais empêcher mon corps d’exprimer mon émoi. Remarquant que je tremblai désormais des pieds à la tête, je me laissai m’affaisser contre un mur afin de reprendre constance.
En repensant au mot que Julien avait laissé – je supposais qu’il ne pouvait s’agir que de lui – je songeai encore :
« Il est drôle, lui ! Non seulement il m’impose un horaire de rendez-vous sans savoir si je suis disponible ou si je veux bien venir, mais il ne me donne aucune autre indication par message… Il m’ignore depuis deux mois et ne trouve rien de mieux à faire que passer chez moi sans prévenir et laisser un post-it au lieu de m’appeler ? »
Malgré mon agacement, je savais que je frémissais d’impatience à l’idée de le revoir. Je refusais de me l’avouer, mais il me manquait profondément et je ne pouvais pas m’endormir le soir sans regretter la façon dont les choses s’étaient brutalement terminées entre nous.
En me relevant du mur contre lequel je m’étais appuyée pour ne pas flancher, je sentis les larmes monter et me piquer les yeux. Je les chassai aussitôt, en clignant précipitamment des paupières.
« Et puis quoi, encore ? Je ne vais pas me rabaisser à pleurer maintenant ! Ça ne m’est pas arrivé depuis le début de cette fichue histoire, ce n’est pas le moment ! »
Et je repris mon chemin vers l’arrêt de bus, décidée à ne pas me laisser envahir par mes émotions.
Je ne fis pas cent mètres avant de prendre ma décision.
Il fallait que je retrouve Julien à ce café, pour enfin avoir la discussion que j’avais tant voulu avoir avec lui, des semaines durant.
Parce qu’imaginer ne plus jamais le revoir, sans avoir pu mettre les choses au clair entre nous, était bien trop douloureux. Je devais m’expliquer et comprendre, pour être capable de tourner la page.
Sinon, je savais que j’aurais toujours un vide au fond de mon cœur, en laissant cette opportunité de clore cette histoire me passer sous le nez.
Je jetai un coup d’œil à mon téléphone. Je disposais de moins d’une heure pour rejoindre le café Montorgueil, où Julien m’avait donné rendez-vous.
J’allais devoir presser le pas pour ne pas risquer de le manquer. S’il patientait trop longtemps au café, il finirait par s’en aller en pensant que je n’avais pas voulu l’y retrouver.
Et il n’était pas question que je lui envoie un message ou l’appelle pour le prévenir, lui-même ne s’en était pas préoccupé, je n’allais pas le faire à sa place !
Je revins sur mes pas afin de prendre le métro, qui me conduirait plus rapidement à ma destination.
Une fois à quelques dizaines de mètres du café Montorgueil, mon estomac se contracta d’une désagréable crampe. Je réalisai alors que mes mains étaient moites de sueur, tant la nervosité m’envahissait.
Je m’arrêtai un instant pour prendre une grande inspiration, espérant me débarrasser du tremblement qui agitait mes mains, mais il n’en fût rien.
Jetant un coup d’œil agité à mon portable, je me détendis un peu, réalisant que j’avais plusieurs minutes d’avance.
Scrutant les badauds à la terrasse du café, je repris lentement ma marche, m’apprêtant à distinguer parmi la masse un épi châtain ou un regard noisette à chaque seconde.
« Si ça se trouve, il n’est pas encore arrivé, » me dis-je, avant de sentir qu’on me tapotait le dos.
Je sursautai et me retournai d’un mouvement brusque.
Julien se tenait derrière moi. Ma réaction virulente avait dû le prendre de court, car je discernai une lueur de panique l’espace d’un instant, dans son regard.
Peut-être avait-il craint que je ne le frappe sous l’effet de la surprise. Et à y réfléchir, ce n’était pas une si mauvaise idée. Ma frustration et ma colère, que j’avais ruminé depuis qu’il avait cessé de répondre à mes messages, ressurgissaient désormais.
– Toi, sifflai-je entre mes mâchoires serrées. Tu veux qu’on parle, hein ? Eh bien, allez, installons-nous. Après toi, je t’en prie.
Une rage sourde avait remplacé ma nervosité et brûlait dans mon ventre. Julien ne semblait pas s’attendre à un tel accueil. J’ignorais s’il avait cru que je lui tomberais dans les bras, la larme à l’œil, mais si c’était le cas, j’espérais qu’il se sentait blessé.
– Bonjour, Natacha, répondit-il, devant ma mine furieuse. Oui, perdons pas de temps, dans ce cas…
Avec un soupir résigné, il s’abattit sur une chaise de la terrasse. Je m’assis en face de lui, sans le quitter des yeux.
Il semblait avoir maigri mais je n’en étais pas sûre, nous nous étions vus plus de deux mois auparavant, c’était peut-être ma mémoire qui me faisait défaut.
– Alors, dis-je, lançant la conversation, étant donné qu’il ne faisait rien pour l’engager, qu’est-ce que tu avais de si crucial à me dire ?
Le regard sincèrement peiné que me lança Julien me provoqua un pincement au cœur, mais je ne laissai rien paraitre sur mon visage résolument fermé.
– Attends, dit-il, d’une voix lasse, tu veux pas qu’on commande quelque chose, avant ? Prends ce que tu veux.
– Je ne vais pas me priver, tiens, grinçai-je, en me saisissant de la carte du café d’un geste sec.
Profitant du fait qu’il avait lui aussi baissé la tête pour choisir sa consommation, je me surpris à le détailler, le cœur battant à tout rompre.
Ses cheveux avaient un peu poussé, depuis la dernière fois qu’on s’était vus, et étaient légèrement plus clairs, décolorés par le soleil d’été. Une barbe de trois jours, que je n’avais jamais vu sur son visage auparavant, parsemait ses joues et son menton.
Sentant sans doute mon regard sur lui, le jeune homme releva la tête.
Nos regards se croisèrent un instant, et j’eus l’impression de lire dans le sien tout ce qu’il ne m’avait pas dit, puis je détournai les yeux.
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