Chapitre 51

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J’étais revenue à mon appartement, avec ma coloc, qui insistait pour cuisiner et faire le ménage à ma place depuis mon retour, près d’une semaine plus tôt.

Je venais de rattaquer les cours en EDA, et de reprendre mes habitudes, en travaillant au salon de thé certains weekends.

Lorsque Evie avait eu de mes nouvelles et avait appris ce qui nous était arrivés, à Julien et moi, elle avait éclaté en sanglots sous mon regard interloqué, à travers notre appel vidéo WhatsApp.

Pour tenter de la calmer, j’avais lancé le sujet de son nouveau copain, le gars qu’elle avait rencontré au Pays de Galles et avec qui elle entretenait depuis une liaison amoureuse. Immédiatement, j’avais vu son regard s’éclairer et elle s’était empressée de débiter une ribambelle d’anecdotes sur son compte, trop heureuse de pouvoir me parler de son « prince charmant ».

Quant au mien – je pouvais parler en ces termes depuis qu’il m’avait littéralement sauvé la vie dans la forêt, telle une navrante princesse Disney secourue par son preux chevalier – je ne l’avais pas revu depuis notre départ de l’hôpital, le soir de la visite de Clarisse.

Cette dernière, qui avait fait le trajet en voiture, nous avait ramené après un après-midi passé à rattraper le temps perdu, sous les oreilles attentives de mes voisines de chambre, et de Julien, qui était resté près de moi tout le long.

Avant que Clarisse ne le dépose à Nanterre, elle m’avait demandé si j’avais des contacts pour trouver une alternance dans le milieu du droit, de nouveau un peu embarrassée.

Je lui avais promis de lui partager une liste de numéros de mes connaissances dans le domaine lorsque j’aurais fait réparer mon téléphone, puis avais sollicité Julien afin qu’il lui raconte son parcours scolaire. J’avais trouvé le parallèle entre leurs situations amusant (notamment la façon dont il avait choisi une voie pour brusquement changer de cap, ce qui n’avait pas plu à ses parents) et avait songé qu’il pourrait donner des conseils à ma sœur sur la manière de gérer cette étape.

Après une hésitation (purement liée à sa fierté naturelle, que j’avais dans le sang également), Clarisse avait fini par accepter de garder contact avec lui pour échanger sur le sujet.

– Attention, si vous parlez par messages, pas de triangle amoureux dans mon dos, entendu ? les avais-je menacé en riant, avant d’embrasser Julien pour le laisser rentrer chez lui.

Il m’avait confié par texto, le lendemain matin, que son frère Bruno lui était tombé dans les bras en apprenant ce que nous avions traversé. Julien n’avait pas voulu l’alerter afin d’éviter qu’il ne prenne un jour de congé pour lui rendre visite à l’hôpital.

"T’as raison d’avoir laissé ma sœur se déplacer, elle, lui avais-je répondu. Disons que c’est pour toutes les fois où elle aurait pu faire l’effort de venir me voir, puisqu’elle prétend qu’elle ne m’a jamais haï."

Ma mauvaise foi dissimulait bien entendu ma joie évidente d’avoir renoué contact avec ma petite sœur. Je comptais d’ailleurs la surprendre à son anniversaire, le mois suivant, en lui offrant deux places pour aller voir un spectacle d’improvisation ensemble – une idée de ma pure invention…

Peut-être qu’un jour, avec le temps (et beaucoup d’efforts de leur part), je finirais par de nouveau adresser la parole à certains autres membres de ma famille, qui sait ?

– Nat ? appela ma coloc, depuis le salon. Tu peux venir, s’il te plait ?

Me levant de mon bureau, où j’étais occupée à travailler mes cours, je sortis de ma chambre pour la rejoindre.

– Oui ? fis-je, en me plantant devant elle.

Mon ex-camarade de la fac, qui était dans la même EDA que moi, avec un an d’avance, semblait au bord des larmes.

– Qu’est-ce qui se passe ? m’alarmai-je.

– Nat, j’ai enfin été prise dans la grande firme américaine que je visais pour faire mon PPI !

Dans un cri joyeux, elle se jeta à mon cou, submergée par l’émotion.

– Oh ! m’exclamai-je, prise de court. Mais tu m’as fait peur, enfin… J’ai cru que quelque chose s’était produit…

– Je suis tellement heureuse ! s’écria mon amie en se détachant de moi, les yeux brillants d’excitation.

– Je suis vraiment contente pour toi, c’est une excellente nouvelle, dis-je, souriant sous l’effet de sa gaieté communicative.

Cela faisait un moment qu’elle me parlait d’effectuer son stage de six mois, période finale de sa formation en EDA, aux États-Unis, sans obtenir de réponse favorable de la part des structures qu’elle avait contactées.

Cette bonne nouvelle me mettait en joie pour elle, je savais qu’elle se plairait beaucoup en Amérique, durant la période de son immersion professionnelle.

Lorsque je retrouvai Julien sur Paris, ce dimanche-là, j’étais plus tendue que d’ordinaire.

Après une embrassade passionnée, il blagua :

– Ça te branche, une petite balade dans la forêt de Fontainebleau ? J’ai entendu dire que de la neige était annoncée, ce serait l’occasion de s’y perdre toute la nuit, tu crois pas ?

– Vas-y sans moi, maugréai-je, trop sur les nerfs pour trouver la plaisanterie amusante. Tu m’enverras des photos…

Julien remarqua immédiatement que quelque chose me tracassait : je ne pouvais rien lui cacher, il savait décrypter mon humeur et lisait en moi comme dans un livre ouvert. Insistant pour connaitre la cause de mon agitation, inquiet, il ne lâcha pas le morceau avant que je ne consente à lui en faire part.

Je rassemblai alors mon courage, et, après une inspiration nerveuse, me lançai :

– Ma coloc part aux États-Unis dans un petit moment, et je n’ai pas les moyens de rester dans l’appartement toute seule. Je pourrais faire une annonce pour trouver une remplaçante, mais… j’ai pensé que… tes trajets quotidiens depuis Nanterre pour bosser dans la boulangerie de mon arrondissement…

– Oh, tu veux que j’emménage avec toi ? rigola Julien, l’air de trouver ma proposition très drôle.

– Je sais que notre relation est encore très récente, m’empressai-je de préciser, tendue, et évidemment, ça ne me vexerait pas du tout que tu refuses, ce serait normal, vu la décision que ça représente… Tu as un peu de temps pour y réfléchir, et si tu ne préfères pas qu’on s’installe ensemble si vite, je comprendrais et je trouverais sans souci quelqu’un d’autre pour partager le loyer avec moi, ne t’en fais pas…

Face à ma déclaration, Julien resta bouche bée. Je compris qu’il n’avait d’abord pas pris au sérieux ma proposition, pensant que je plaisantais.

Ses yeux écarquillés et son expression perplexe me donnaient envie de lui bondir au cou pour l’embrasser – ce dont je ne fis rien, pour lui laisser le temps de répondre convenablement.

– Euh… eh ben, bredouilla-t-il, l’air perdu, je sais pas trop, c’est à considérer… Comme tu l’as dit, c’est pas une petite décision, ça pourrait impacter beaucoup de choses dans notre couple… Même si je reconnais que ça nous apporterait probablement encore plus de complicité et que ce serait pratique pour moi… Sans parler du fait que cohabiter avec Bruno est une expérience à part entière, dont je pense avoir fait le tour, puisqu’on se prend de plus en plus la tête pour le ménage.

– Il n’a pas évolué sur ce point ? demandai-je, crispée mais désireuse de paraitre décontractée.

– Nan, bougonna Julien, j’essaye de maintenir nos lieux de vie communs propres et ordonnés depuis l’été dernier, comme tu le sais, mais ça devient un vrai calvaire, j’ai l’impression d’être son père, je dois lui répéter cent fois de ranger et nettoyer derrière lui, mais il en a rien à faire et je me retrouve toujours à faire le ménage pour lui…

– Je comprends… Bon, en tout cas, tu me donneras ta réponse quand tu te sentiras près, pas de pression…

Julien releva ses yeux noisette vers moi, l’air d’y voir soudain plus clair, et s’exclama :

– En repensant aux caleçons sales de mon frère dans les coins les plus improbables du studio, à ses traces de dentifrice sur tout le lavabo, aux croûtes de pain qu’il laisse dans la panière, aux taches de gras sur les plaques de cuisson après ses repas… je crois que ma décision est prise, finalement. Enfin, bien sûr, c’est par amour pour toi aussi, hein ! Mais certaines images laissent des séquelles, à force, et si ça continue, je vais finir en thérapie par sa faute…

Je lui rendis son sourire et accueillit son étreinte dans mes bras avec chaleur, le cœur effervescent d’un bonheur sans nom.

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