Chapitre 10.5 : Yume
Astrid le rejoint enfin. Les jambes toutes tremblantes, elle semblait enfin rassurée de toucher de sol.
« Plus jamais ça ! T'as idée de combien de fois j'ai failli tomber ? Tu cherches ma mort ou quoi ?!
‑ Peut-être bien » plaisanta Yume.
Il reporta son attention sur l'armurerie. Son visage devint à nouveau sérieux.
« Bon, il faut entrer, maintenant… »
Yume posa ses mains sur les poignées rouillées. Elles étaient froides. Les portes grincèrent en s'ouvrant.
Le noir accueillit les deux jeunes gens. À première vue, l’Épéiste ne parvenait pas à identifier ce qu'il se trouvait dans cette pièce. Le magasin était-il fermé, vide ? On aurait dit une pièce abandonnée.
« Tu vois, il n'y a rien ici, dit Astrid irritée. Alors, si on pouvait partir immédiatement, ça serait…
Yume posa un pied dans la pénombre, ne prêtant pas attention aux paroles de la jeune fille. Instantanément, une faible lumière rouge éclaira la pièce. Une flammèche s'était emparé d'un petit lustre doré au plafond. En même temps, les murs sur les côtés droit et gauche mais aussi sur celui de fond disparurent, accompagnés d'un bruit de rouage mécanique. À la place apparurent de multiples rangées d'armes différentes. Des épées, des lances, des haches, des massues, des bâtons, des fouets, des arcs… De quoi faire le bonheur d'un bon combattant.
L'atmosphère de cette armurerie avait quelque chose de magique et de mystérieux. Yume appréciait ce genre d'ambiance. Yunni aussi aurait adoré. Le jeune homme trouva cela dommage qu'elle n'ait pas voulu venir. Elle ratait quelque chose d'incroyable.
Vers le mur du fond se trouvait un comptoir en bois. Sur celui-ci étaient posés de multiples flacons aux liquides couleurs fluorescents. Bleu, rouge, vert, jaune. Yume se demanda s'il s'agissait de fioles de magie.
Derrière ce comptoir se tenait un rideau violet qui menant sans doute à la remise, derrière le magasin.
« Que voulez-vous ? » gronda une voix rauque.
Un homme mi-humain mi-dragon débarqua dans la pièce. Une partie de son visage était couvert d'écailles rouges, ce qui faisait ressortir ses yeux améthystes sévères. Depuis le haut de son crâne partaient deux épaisses cornes noires. Elles se confondaient avec ses cheveux bruns. Habillé d'un plastron de fer, celui-ci ne cachait pas son bras recouvert d'écailles de dragon. Sa main, des griffes, semblait plus imposante que son autre main humaine. Dans son dos était rabattue une seule et unique aile violette.
Yume ne s'était visiblement pas trompé. Ce type était un Draguman.
Astrid semblait effrayée par son imposante stature. Elle se cachait derrière le jeune homme. « Super. Je sers de bouclier humain ! » se lamenta-t-il dans son fort intérieur.
« C'est pourtant évident, répondit Yume. On veut acheter une arme. »
Le Draguman sauta par dessus le comptoir et vint se placer devant l’Épéiste. Les bras sur le torse, il le toisa méchamment.
« C'est pour toi ? »
Yume secoua négativement la tête.
« C'est pour elle » dit-il en désignant Astrid.
Le jeune homme s'écarta pour permettre au Draguman de mieux analyser son amie. Celui-ci l'examinait de la tête aux pieds.
« Quel genre d'arme ?
‑ Hum, un… »
La jeune fille aux yeux rouges décala son regard vers Yume. Elle cherchait un minimum de réconfort auprès du jeune homme. Ce dernier l'incitait à poursuivre sa phrase.
« … un arc. »
Le Draguman grogna. Satisfaction ? Mécontentement ? Impossible de savoir. Les Dragumans étaient réputés pour ne pas être de grands bavards.
« Donne-moi ta main. »
Trop intimidée pour répliquer, Astrid s'exécuta. Un frisson la parcouru lorsque sa paume toucha la griffe du Draguman. Ce dernier fronçait les sourcils, comme pour se concentrer. Il marmonnait quelque chose dans sa barbe, indescriptible.
« Suis-moi » lui dit-il en dévoilant de nouveau ses yeux améthystes.
Le marchand se dirigea vers le mur de gauche, où étaient parfaitement alignés toute une rangée d'arc tous aussi époustouflants les uns les autres. Le Draguman tendit sa main humaine pour prendre possession de l'un d'eux.
Yume se rapprocha d'eux pour voir à quoi ressemblait l'arc. Il le trouvait absolument magnifique. Son manche était de couleur bleue azur, un peu à l'image de ses propres yeux. Tout autour de l'arme s'entourait le dessin du corps d'une femme à la queue de poisson mauve. Une sirène, reconnu Yume. La corde semblait être faite d'un fil d'argent. Elle brillait à la lumière rouge de la flammèche.
Le marchand tendit l'arme à Astrid. Cette dernière la prit de ses deux mains et l'examina attentivement. Ses yeux couleur de sang ne pouvaient s'en détacher.
« J'ai négocié avec le peuple des Sirènes pour l'obtenir » expliqua le Draguman.
Le blondinet comprit alors la présence de la Sirène sur le manche.
« Les Sirènes ? répéta Astrid, des étoiles plein les yeux. Comme dans les légendes ?
‑ Pourquoi parler de légende ? Les Sirènes existent.
‑ Pour de vrai ?! »
Yume se précipita sur la brune pour lui plaquer la main sur la bouche et l'empêcher de parler.
« Ne faîtes pas attention à ce qu'elle raconte, elle n'a plus toute sa tête ! » s'excusa Yume.
Astrid se dégagea de son emprise. Elle reprit difficilement de l'air.
« Je ne suis pas folle ! s'écria celle-ci. C'est ce monde qui est complètement dingue ! Je dois forcément être dans mon rêve ! D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi je ne suis toujours pas réveillée !
‑ Dis pas n'importe quoi ! Un rêve ! Puis quoi encore ? T'es pas une vraie Sorcière ? »
Le Draguman retourna derrière son comptoir, ne prêtant même pas attention aux deux jeunes gens qui commençaient à se chamailler.
« Ca fera 2850 Néos » intervint le marchand d'arme d'un ton neutre.
Yume et Astrid tournèrent la tête en même temps vers le Draguman, les yeux écarquillés à l'annonce du prix.
« J'espère que tu as de quoi payer, dit la jeune fille à son ami, un sourire sadique aux lèvres.
‑ Ouais, t'en fais pas pour ça… »
Yume fourra sa main dans l'une des nombreuses sacoches qui ornaient son tour de taille. Il en sortit alors plusieurs liasses de billets verts pâles. Il s'avança vers le comptoir, peu enthousiaste. L'idée de dépenser autant d'argent pour une arme ne lui faisait guère plaisir. Il avait certes une bonne petite réserve sur lui, mais le plus gros de ses économies étaient restées dans son appartement ! Si seulement ils avaient eut le temps de passer faire un rapide saut chez lui pour chercher quelques affaires…
L’Épéiste tendit à contre cœur les billets, après les avoir minutieusement comptés deux fois. On ne sait jamais, il aurait pu y glisser un billet en trop. L'argent devenait chose rare, de nos jours…
Le visage toujours aussi neutre, le Draguman accepta l'argent puis le recompta de son côté. Un léger sourire sadique sembla étirer ses lèvres.
« C'est une arme d'excellente qualité que vous avez là. Vous ne serez pas déçus. »
Yume tourna les talons et s'apprêta à sortir. Il posa ses paumes sur la poignée, quand il adressa ces dernières paroles au Draguman :
« Utilisez cet argent pour vous racheter des escaliers stables. Les clients doivent pas être bien nombreux ici. »
Un grognement. Puis le jeune homme sortit, suivit de près par Astrid.
La porte se refermant, la flammèche rouge s'éteignit, et les murs disparurent de nouveau. La pièce était de nouveau vide. Le seul point de lumière qui subsistait était l'éclat violet des yeux du Draguman.
« Étrange, marmonna-t-il. Cette fille n'avait rien d'ordinaire. »
« Vous en avez mis du temps ! » s'exclama Yunni en voyant enfin revenir ses deux amis.
Yume referma doucement le portail. Tout comme la rambarde, celui-ci menaçait de céder à tout instant.
« C'était trop bizarre ! s'écria Astrid. Y avait un type à moitié dragon et à moitié humain qui faisait super peur ! »
Astrid décrivit comment elle avait bravé les escaliers, l'étrange boutique, et son impression sur le Draguman. A l'entendre parler, on aurait dit qu'elle venait de vivre l'aventure de sa vie.
« N'exagère pas les choses, intervint Yume. Ce genre d'endroit, on en voit tous les jours.
‑ Je te rappelle que je ne viens pas d'ici. »
Elle continua dans sa barbe :
« J'ai une imagination débordante, tout de même… »
Un petit silence d'un dizaine de seconde s'installa. Yunni, ne supportant pas les passages à blanc comme celui-ci, s'interposa :
« On fait quoi maintenant ? »
Yume croisa ses bras sur son torse, réfléchissant. Son regard vint se poser sur l'arme d'Astrid. Une idée germa dans son esprit.
« Maintenant que tu as cette arme, tu ferais mieux de t'entraîner avec.
‑ Je veux bien, mais comment ? » demanda la brune en levant un sourcil.
Le jeune homme roula les yeux. Il fallait vraiment tout lui expliquer, à celle-là.
« C'est pourtant évident : on va aller dégommer quelques monstres. »
Astrid ouvrit grand les yeux comme deux soucoupes.
« Des… monstres ?! répéta-t-elle, abasourdie par cette nouvelle révélation. Ca existe vraiment ?! C'était pas une plaisanterie ?! »
Yume souffla. Il commençait de plus en plus à perdre patience avec cette fille. Certes, Yunni lui avait bien expliqué qu'elle ne venait pas de leur monde, mais comment pouvait-on ignorer l'existence de monstres ? Son monde n'en contenait peut-être pas ? C'était la seule explication qu'il pouvait fournir. L’Épéiste se dit alors qu'un endroit où le danger n'existait pas devait être bien ennuyeux. Il espérait ne jamais avoir à y mettre les pieds !
« Oui, ça existe, et la forêt des Hiboux en est remplie.
‑ On en a pas croisé en arrivant, remarqua la jeune fille.
‑ C'est normal. Nous étions dans la partie de la forêt où les monstres n'osent pas s'aventurer. Ils ne sont pas idiots. Ils savent que s'approcher de Fikternand est bien trop dangereux pour eux. Alors ils se terrent tous dans la partie Nord, vers le lac Aneco, ou la partie Est, en direction des plaines Séréna » expliqua Yunni.
Yume la remercia intérieurement pour ses précieuses informations. Ce n'était certainement pas lui qui allait les lui dire. Les explications, ce n'était pas pour lui.
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