Chapitre 14.2 : Yume
Les deux compagnons se mirent à rire pour une énième fois depuis le début de cet étrange échange.
« Enfin bon, revenons à nos moutons. Ton monde. Tu avais sans doute des amis là-bas, non ?
‑ Bizarrement, pas tellement que ça.
‑ Ah oui ? Comment ça se fait ?
‑ Je suis un peu timide et… perdue dans mon monde je dirais. »
Yume la vit serrer curieusement ses poings. Il comprit bien rapidement le malaise qui s'emparait de la jeune fille lorsqu'elle parlait d'elle.
« Alors ça, jamais je l'aurai cru vu la facilité avec laquelle tu as créé des liens avec Yunni ! Mais même avec moi.
‑ Avec toi ? répéta-t-elle en levant un sourcil.
‑ Bah… On peut pas dire qu'on était les meilleurs amis du monde hier soir encore, n'est-ce pas ? Et pourtant, regarde nous maintenant…
‑ On parle de tout et de rien, compléta-t-elle.
‑ Exactement ! » s'exprima l’Épéiste, impressionné qu'elle soit parvenue à terminer sa phrase.
Au même moment, un hibou, très répandus dans la forêt des Hiboux – ce qui explique entre autre son nom – passa juste au dessus de leur tête pour aller se poser sur le toit de la maison de Fab et Tip. Prise d'une soudaine peur, la brune lâcha un petit cri tout en se blottissant dans les bras musclés de Yume. Ce dernier écarquilla les yeux, surpris par ce rapprochement soudain. Levant les yeux vers le nocturne, il pensa comprendre pourquoi elle en était devenue toute affolée. Son dernier ennemi ressemblait à un oiseau lui aussi, et il lui avait tout de même laissé quelques stigmates incurables dans le fond de son âme.
« Hé, détends-toi, tenta-t-il de la rassurer, ce n'est qu'un hibou. »
Astrid leva ses pupilles rouges sang sur l'animal nocturne. Voyant que le hibou semblait totalement inoffensif, elle brisa peu à peu le contact avec Yume. Véritablement gênés tous les deux, ils n'osèrent plus se regarder dans les yeux.
« On en parle plus ? proposa le blond.
‑ Pas un mot à Yunni » accepta la jeune fille.
Il la vit prendre son visage entre ses mains. Peut-être rêvait-il, mais il lui semblait voir à la lueur des flammes qui éclairaient le porche de la maison sa nouvelle amie rougir. Un sourire en coin se dessina lentement sur les lèvres de Yume. Il ne put s'empêcher de la trouver incroyablement mignonne.
« Bon, cette fois-ci, on en revient VRAIMENT au sujet : parle-moi de ton monde.
‑ Mais que veux-tu que je te dise ? demanda la brune d'un ton las.
‑ Je sais pas moi ! Tes amis, ta famille, ce genre de truc quoi ! »
Astrid releva la tête. Ses rougeurs semblaient s'être envolées.
« J'ai froid. On ferrait mieux de rentrer. »
Elle se prépara à se lever, mais Yume la retint par le bras.
« Arrête de vouloir fuir la conversation. Pour une fois que je m'intéresse sérieusement à toi, tu me files entre les doigts.
‑ Ah parce que tu insinues que je t'intéresse ? »
L'ancien membre de l’Élite soupira, comprenant que sa phrase était à double sens.
« Tu changes constamment de sujet, pointa-t-il du doigt. Mais c'est bon, j'ai compris : tu ne veux pas me parler. »
Le blond se leva et se dirigea vers la porte, prêt à rentrer.
« Je n'avais pas de véritable ami, annonça Astrid de but en blanc. Du moins, jusqu'à maintenant. »
Yume suspendit son geste, surpris par cette révélation.
« Maintenant ? » releva-t-il en retournant s'asseoir sur les marches.
La brune opina du chef.
« Yunni et toi êtes le modèle d'ami dont j'ai toujours rêvé. Vous êtes drôles, encourageants, vous m'aidez alors que nous ne nous connaissions même pas vingt-quatre heures plus tôt. Bon, c'est vrai que nous deux, ça a été un peu plus difficile, mais j'ai l'impression que des liens commencent à se tisser, petit à petit. Je ne suis plus la même depuis mon arrivée dans ce monde.
‑ Je n'ai pas facilité les choses non plus. Je t'ai immédiatement mise à l'écart parce que je te sentais différente. J'avais tord.
‑ Si se sont des excuses, alors je les accepte, ironisa Astrid.
‑ Ce n'était pas des… fais comme tu veux.
‑ Amy n'était pas comme vous deux.
‑ Amy ? »
Astrid soupira de lassitude avant de tout lui expliquer. Elle lui raconta qu'elle a été sa seule amie, et qu'elle regrettait de ne pas l'avoir rencontrée avant. Elle ne lui parla pas de François – car il n'apparaissait pas comme un véritable ami à ses yeux – ni de ses parents.
« J'aimerais tellement qu'elle puisse voir tout ça. Qu'elle puisse voir ce monde.
‑ Vous avez l'air très proches, releva Yume.
‑ On es un peu comme des sœurs. Comme Yunni et toi. »
Un léger frisson parcourut la jeune fille après avoir dit cela.
« Tu as froid ? » s'étonna le jeune homme.
Astrid secoua doucement la tête de gauche à droite.
« Non, c'est que… Je viens de réaliser un truc… »
Yume leva un sourcil, signe qu'il demandait à en savoir plus.
« Je sais pas vraiment si je peux te le dire… C'est un peu bizarre…
‑ On a une conversation bizarre depuis une demie-heure, releva-t-il. Une chose de plus ou de moins, ça ne va pas me tuer.
‑ J'ai bien peur que si. A moins que tu ne me crois pas.
‑ Essaie toujours. »
L'adolescente respira un bon coup, choisissant méticuleusement les mots qu'elle devait employer pour le brusquer au minimum.
« Ca va vraiment te paraître loufoque, mais il faut que tu sois au courant. Je crois que tout ça n'est pas réel.
‑ Pardon ?
‑ J'ai rêvé de toi avant d'atterrir ici. Trois fois. »
Astrid lui raconta alors ses trois rêves étranges. Celui avec la ville en flammes, puis l'église, et enfin le chevalier. Sans oublier bien évidemment la même vision de lui qui lui revenait sans cesse : allongé au sol, la suppliant de l'aider, en proie à de terribles souffrances.
Yume ne dit plus rien pendant quelques minutes. Son cerveau ne parvenait pas à tout assimiler en même temps. Si ce qu'elle prétendait était vrai, alors… tout cela ne serait qu'un rêve ? Mais comment expliquer tous ses souvenirs ? Non, ce n'était pas possible. Si tout ceci était irréel, il ne sentirait rien. Il n'éprouverait aucun sentiment, ne serait qu'une coquille vide. Un corps dénué d'âme et de cœur.
« Tu peux assurer que tu rêves actuellement ? tenta-t-il de se rassurer.
‑ Non, c'est bien ça le problème. »
Astrid prit sa tête entre ses mains, en proie à de terribles doutes.
« Dans ce cas, j'en déduis que ce n'est pas un rêve.
‑ Tu as toujours vécu ici, dans ce monde, donc c'est normal pour toi de dire ça.
‑ Ce n'est pas parce que tu viens d'un monde différent qu'il s'agit forcément d'un rêve, expliqua Yume. Imagine que ce soit moi qui me retrouve dans ton monde sans aucune explication. Je penserais à un rêve moi aussi. Alors arrête de te torturer l'esprit avec ce genre de pensées. »
Astrid se mordilla la lèvre inférieure, comme pensive. Yume aussi était mal à l'aise face à cette révélation. Il cherchait au plus profond de lui des arguments pour arrêter de la faire douter sur la nature de son monde. Peut-être essayait-il de se convaincre également que tout cela était bien réel.
« Je sais ! s'exclama soudainement l’Épéiste. Tu as sans doute eu une vision ! Si tu m'as vu, c'est seulement parce que nous étions destiné à nous rencontrer !
‑ Alors, tu le penses toi aussi ! T'entendre le dire me rassure, tu ne peux pas savoir à quel point ! Seulement… »
Tout son enthousiaste sembla voler en éclats en l'espace de deux secondes à peine. Quoi ? Qu'est-ce qui pouvait bien encore la faire hésiter ?
« Le village en flammes, dit-elle dans un souffle. Comment tu l'expliquerais ? »
Yume croisa les bras sur sa poitrine. Les yeux clos et les sourcils froncés, il n'avait jamais réfléchit avec autant de sérieux de toute sa vie.
« Puisque tu as rêvé de moi en premier à chaque fois, il s'agit peut-être de la destruction de mon village natal ? »
Astrid secoua la tête timidement.
« C'est une hypothèse envisageable, mais ça ne colle pas avec les paroles de la petite fille lors de mon dernier rêve. « Tu as vécu mon passé ». Peut-être que vous venez du même village ?
‑ Tu as bien dit que cette même petite fille avait invoqué un dragon, exactement de la même manière que Yunni ? »
La jeune fille opina du chef, attendant patiemment la fin de son explication.
« C'était donc une Invoqueur elle aussi. Tu as peut-être vu la destruction de la grande Cité des Invoqueurs.
‑ « La Cité des Invoqueurs » ? répéta Astrid en levant les sourcils, surprise.
‑ Oui, c'était la grande ville où vivaient autrefois tous les Invoqueurs, avant qu'ils ne rejoignent l’Élite. »
Le jeune homme expliqua que cela faisait des siècles désormais qu'une tragédie l'avait frappée. L'on racontait qu'en une seule nuit, un Invoqueur en armure argenté aurait mis à feu et à sang la ville entière. Certains auraient réussis à s'enfuir pour rejoindre Fikternand, jadis la seconde ville la plus prospère du Royaume d'Onyrik. Les plus vieux Invoqueurs devinrent alors des Anciens. Plus tard, ce titre fut accordé également aux meilleurs Invoqueurs, ceux qui dépassaient le quota de trois Chimères en leur possession. Ce fut ainsi qu'ils gagnèrent leur place dans l’Élite de Seven.
« Donc, j'ai vu la destruction de la Cité des Invoqueurs pour quelle raison ? Je ne vois toujours pas le rapport avec moi.
‑ Cette ville est reliée à tous les Invoqueurs du Royaume. C'était donc une manière de te faire comprendre que ton destin serait lié à celui de Yunni » proposa Yume, qui mine de rien usait de toutes ses capacités intellectuelles pour la réconforter.
Astrid parut se pencher un petit peu plus sur la question, puisqu'elle mit un certain temps avant de répondre. Finalement, elle approuva l'idée de Yume.
« Bon, on ferait mieux de rentrer, déclara soudainement la jeune lycéenne. Les autres vont commencer à s'inquiéter. »
Elle se leva.
« Et il fait froid en plus ! » ajouta-t-elle en reniflant bruyamment.
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