Chapitre 16.3 : Yunni
L'Invoqueur posa violemment les poings contre le sol herbeux tout en se redressant.
« Tu as commencé donc tu termines maintenant !
‑ Tu risques de ne pas sortir indemne de cette discussion. »
Yunni leva un sourcil, comme si elle voulait lui dire « Arrête de te moquer de moi » !
« Mais bon, puisque tu insistes, je ne peux pas te laisser en plan comme ça… »
Yume prit une grande inspiration, cherchant profondément les mots qu'il pourrait employer.
« Comme tu t'en doutes, commença-t-il, Astrid et moi avons eu une grande discussion hier. Et j'estime que tu es en droit de connaître tout ce qu'elle m'a dévoilé. »
Yume lui raconta tout ce qu'il savait. Il lui expliqua les rêves faits par Astrid. Le village en feu, le bébé, le combat entre la petite Invoqueur aux yeux rouges ainsi que l'étrange chevalier en armure argentée. Sans oublier l'essentiel : lui-même agonisant, en sang, sur le sol, suppliant qu'Astrid lui vienne en aide.
Yunni écouta le récit les yeux grands ouverts, n'en perdant pas une seule miette. Elle tentait d'assimiler le plus rapidement possible le plus d'information pour ensuite essayer de trouver une suite logique à tous ces rêves étranges. Mais surtout, trouver une réponse qui puisse satisfaire Yume quand à la nature de leur monde : un monde réel.
Après avoir expliqué les rêves, l’Épéiste poursuivit en lui dévoilant son hypothèse : Astrid, selon lui, aurait juste eu quelques visions. Ce qu'elle pensait être un village, n'était en réalité que la Cité des Invoqueurs lors de la fameuse nuit sanglante où plus du tiers de la population fut décimée. Ensuite, le bébé, il pensait qu'il s'agissait de Yunni. Mais sur ce point-là, le jeune homme n'avait aucun argument, si ce n'était la couleur blanche de ses cheveux. Par contre, le fait qu'elle l'ait vu en sang n'augurait rien de bon, ça, il en était certain, et c'était l'une des choses qui l'angoissait le plus. Il ne possédait en revanche aucune explication sur la signification de son dernier rêve.
« Je vois…, fit Yunni en se prenant le menton pour réfléchir. Ta théorie est intéressante, je n'en vois même pas de meilleure. Je ne sais pas que rajouter de plus…
‑ Cela ne te remets pas en question ? »
L'Invoqueur secoua négativement la tête.
« Non. Comme tu l'as dit, il doit s'agir de vision. Je pense même que… »
Yunni n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Astrid courut dans leur direction, complètement paniquée. L'expression sur son visage rond laisser à croire qu'elle venait de faire la rencontre d'un fantôme !
« Qu'est-ce qui se passe ? » s'inquiéta Yume qui s'était immédiatement remis sur ses deux jambes.
Ce dernier avait par la même occasion matérialisé son épée dans sa main, pensant qu'elle venait de rencontrer des ennemis.
« Je… Je crois que… J'ai fait une bêtise ! » avoua-t-elle tout en essayant de reprendre son souffle.
Le dos courbé et les mains sur les cuisses, la brune tentait désespérément de retrouver un rythme cardiaque normal.
« Comment ça ? questionna Yunni, elle aussi très inquiète quand à la nature de la fameuse « bêtise ».
‑ J'ai… Non, c'est trop horrible ! »
La jeune fille plaqua ses mains sur son visage, luttant contre les sanglots.
« Mais qu'est-ce que tu as fait bon sang ?! s'énerva Yume qui commençait à désespérer de ne jamais avoir la suite.
‑ J'ai tué deux petits animaux sans défenses ! » pleurnicha-t-elle, le visage toujours pris dans ses mains.
Yunni lâcha un soupire de soulagement, constatant que ce n'était rien de trop grave, tandis que le blondinet dématérialisait son épée.
« Mais comment tu as pu les tuer sans le faire exprès ? » questionna l'Invoqueur, avec toute l'innocence d'une enfant.
Les deux amis durent attendre qu'Astrid finisse sa crise de nerfs pour qu'elle dévoile enfin le fin mot de l'histoire. Elle s'était placée sur une branche d'un Herazonier pour tirer sur les Herazons qui, selon-t-elle, faisaient des cibles parfaites. Quand, tout à tout, sans qu'elle ne les remarque, un étrange couple d'animal s'était précipité sur ce même fruit. La flèche avait déjà été tirée, et le drame n'avait pas pu être évité.
« C'était tellement… triste ! poursuivit la brune. Le mâle a propulsé la femelle en arrière pour se prendre la flèche, et est mort à sa place ! Seulement, dans son élan héroïque, il a envoyé sa compagne en plein dans une branche effilée. La pauvre n'a rien compris à ce qu'il lui est arrivée, et elle s'est retrouvée empalée ! »
Astrid repartit dans des sanglots incontrôlables.
« Et ils sont où, du coup, ces bestiaux ? questionna Yume, indifférent aux larmes de son amie.
‑ Je les ai laissés dans la foret, répondit Astrid en essuyant ses yeux humidifiés d'un revers de bras.
‑ Pour quoi faire ? s'étonna Yunni.
‑ Bah, pour les manger, répondit-il le plus naturellement du monde.
‑ QUOI ?! s'écria le brune, visiblement indignée. Mais c'est dégueulasse ! »
Le blond haussa les épaules.
« Quand on a faim, on fait avec ce qu'on a. Tu me remercieras quand tu n'auras plus rien à te mettre sous la dent à part ça.
‑ Même pas en rêve !
‑ Ca, c'est ce qu'on verra. Bon, tu me montres où ils sont ? »
Dégoûtée par l'attitude de Yume, Astrid accepta à contre-coeur de les emmener jusqu'à la scène du crime. Il s'agissait d'un petit coin plutôt tranquille, où les rayons du soleil étaient de nouveau filtrés par le feuillage des arbres. En plus de cela, les Herazons semblaient pousser en de très nombreuses quantités dans cette zone.
Astrid désigna d'un air fatigué le corps des deux animaux inanimés au sol. Curieuse, Yunni s'en approcha à son tour. Quelle ne fut pas sa surprise de voir qu'il s'agissait d'un étrange mélange entre un écureuil et un chat ! En effet, cet animal possédait un long corps de couleur roux surmonté d'une queue épaisse dont l'extrémité était teintée de noir. Puis, au niveau de la gueule, celle-ci avait des babines à l'instar des félins ainsi que deux grandes oreilles pointues. Un mélange tout à fait mignon ! Cependant, ce type d'animal disait vaguement quelque chose à l'Invoqueur…
Yume s'accroupit pour prendre le couple d'écureuils-chats par la queue et les soulever à hauteur de ses amies.
« Bon, et bien je crois qu'on a notre repas pour ce soir !
‑ Je sais ! » s'écria soudainement Yunni.
Toutes les têtes se tournèrent immédiatement vers elle.
« Tu as trouvé ce que l'on pourrait en faire à part les manger ? espéra Astrid. Moi, j'ai pensé à leur faire de jolies petites pierres tombales, avec un petit texte qui relaterait la terrible histoire de leur mort, et puis…
‑ Je sais où j'ai déjà vu ces animaux ! continua la jeune fille aux cheveux blancs sans prêter attention à la remarque de son amie. Ce sont des Quiròucats, une espèce très protégée car ils sont presque en voie de disparition ! »
Ce commentaire ne fit qu'augmenter le malaise d'Astrid, qui se sentit d'autant plus coupable de nuire à l'écosystème animal de ce Royaume dont elle ignorait encore beaucoup de choses.
Yume, indifférent à la disparition d'une espèce animale, ouvrit le sac que leur avait offert les Falkies. Il y fourra sans ménagement les corps inertes des Quiròucats puis le referma avant de l'attacher de nouveau à sa ceinture.
« Je les mangerai pas, bouda Astrid.
‑ On verra si tu diras la même chose ce soir, quand tu n'auras rien d'autre à te mettre sous le dent » se moqua le jeune homme.
Yunni leva la tête et remarqua qu'à cet endroit se trouvait un nombre incroyable de fruits.
« Dites, peut-être qu'on devrait prendre quelques Herazons avec nous aussi non ? Juste au cas où…
‑ Le sac est sans fond, autant en profiter ! » compléta Astrid qui se jetait sur l'occasion pour manger autre chose que ces pauvres Quiròucats.
Il s'apprêta à grimper dans l'un des arbres pour cueillir les fruits, quand Yunni lui dit soudainement :
« Ce que j'ai voulu te dire tout à l'heure, c'est que je pensais qu'Astrid avait été envoyé ici parce que la Déesse l'a voulu. »
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