La vérité aura toujours un train de retard
Un marasme noirâtre s’élevait au dessus des aulnes derrière la gare de Sébastopol. Des gouttes cinglaient le verre des carreaux. Le blé s’agitait dans les champs ; leurs reflets d’or s’inclinaient sous le vent soudain brutal, ondulant comme des vagues. La pluie frappait le macadam ; le temps d’orage embrumait l’horizon ; le train venait d’arriver en gare.
L’instant peint du Monde.
Le Monde est intention.
L’inspecteur jeta son journal dans une grosse benne à ordure et fit disparaître ses gants en cuir marron dans son imperméable un ton plus clair. Invité par la compagnie qui gérait la nouvelle ligne vers Moscou, son enquête terminée, le meurtre du gouverneur résolu, il allait monter dans le wagon l’esprit léger avec les preuves sous le bras. Cependant, devant la porte, une femme en uniforme aux traits secs s’interposa.
Le destin implacable de la Justice
La Justice est illusion.
Elle lui tendit la main. Il croisa son regard. Elle lui sourit. Il hésita. Elle prononça le nom de sa fille. Il comprit aussitôt. Elle acquiesça d’un air compatissant. Il empoigna ses doigts sans trembler. La piqûre fut désagréable.
La négociation éternelle de la Vie
La Vie est ironie.
Le train partit sans lui.
Les plus puissants menteurs manipulent les foules,
Détruisent les belles nations,
Font souffrir les enfants,
Dénigrent les scientifiques et loin les refoulent.
Aujourd’hui, demain comme aux origines
En Russie, à Washington comme en Chine,
Sur un lit, au Capitole, dans une gare,
La vérité aura toujours un train de retard.
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