La mission

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« Je n'aime pas cet endroit... » Scott sursauta lorsqu'un hululement fit frémir le silence de la nuit. Sekkarys 3 était une planète tempérée, mais en cette saison le temps se rafraichissait. Le jeune homme ne put réfréner un frisson malgré sa combinaison de protection. Il râla : « Qu'est-ce que je suis venu foutre dans un trou pareil ? » Tandis qu’il sanglait une caisse de plus sur un chariot anti-gravité. Sa voisine poussa un soupir d'agacement :

-Arrête de geindre gamin... » Malgré sa bravade elle gardait un œil sur ce qui les entourait.

Le ciel était obstrué par d'épais nuages. Aucune lumière céleste ne filtrait au travers. Leur vaisseau, le Sillon, s'était posé une heure auparavant en creusant une trouée dans une mer de hautes herbes. Depuis, les membres d'équipage craignaient qu'une menace ne jaillisse derrière chaque brin de végétation qui leur faisait face. La corvette utilisait quelques projecteurs pour leur offrir un oasis de lumière au centre de cette immensité obscure. Mais ce qui mettait réellement les nerfs des soldats à vif, c'était le silence. Pas de vent, pas de son provenant de l'herbe, rien... Hormis ces sortes de hululements ponctuels...

« Rassemblement ! » L’appel tonna si fort, que Scott poussa un cri de surprise. Son cœur fit un autre bond lorsque tout autour d'eux, des frémissements dans la végétation s'éloignèrent. Il allait encore se plaindre, quand la femme à ses côtés lui grogna : « Ferme-la... » Ils se dirigèrent vers le Sillon, une silhouette descendit de la rampe de chargement. Un grand gaillard apparut, ses traits usés laissaient à penser qu'il s'agissait d'un vétéran et son allure dégageait une autorité incontestable : « Bon écoutez ! La chamane me dit qu'elle n'est pas encore prête. Une connerie avec un alignement ou un plan astral de mes couilles... » Il balaye l'air devant lui : « Bref ! Nous ne sommes pas prêts de partir. Donc je veux que tout le monde inspecte son équipement et..." Un autre hululement se fit entendre à quelques mètres de la réunion. Le terme n'était pas assez exact... Il s'agissait plus d'un mélange entre un cri de douleur et un rire... Il y eut un silence de mort. Le chef de la troupe se passa une main sur l'arrière du crâne. Scott ne put s'empêcher : « Capitaine ? Est-ce que... ? » L'intéressé leva la main pour l'arrêter :

-Tu sais aussi bien que tout le monde que non. Nous ne pouvons pas faire demi-tour. Nous nous sommes engagés à mener cette mission et je refuse de perdre nos derniers crédits pour une amende... » Un autre soldat, mal rasé, une vilaine balafre sur le menton ajouta :

- La prime n'a fait qu'augmenter jusqu’à devenir juteuse suite aux échecs des compagnies précédentes... » La femme marmonna :

-Il y a surement une raison à ça... » Le capitaine frappa dans ses mains :

-Okay les enfants ! Ça suffit ! Scott ! Prépare le matériel, les autres, vérifiez vos armes. Moi je vais enjoindre notre chère chamane à... accélérer l'ouverture de ses chakras... ou je ne sais quelle autre connerie... » Le groupe se dispersa, le capitaine remonta dans le vaisseau, Scott emboîta rapidement le pas à la jeune femme : « Eris...

-Je ne suis vraiment pas d'humeur...

-Mais enfin, c'est de la folie...

-Je croyais que tu voulais voir du pays ? Que tu mourrais d’ennui dans ton précédent boulot ? Tu voulais des sensations fortes ? Te voilà servi…

-Mais je…

-Tu sais aussi bien que moi que le capitaine ne croit pas à l'ésotérisme. On ne le convaincra pas d'arrêter. » Son compagnon voulu protester, mais elle lui ordonna :

-Vas plutôt t’occuper de ton chariot... » Un nouveau ricanement sinistre tout près lui fit pointer son fusil vers l'obscurité. Scott se mit à trembler lorsque le son diminua pour se transformer en sorte de hoquet étranglé. Eris lui souffla : "Dépêche-toi !" Le pauvre bougre trébucha avant de se ruer vers le vaisseau en gémissant tel un enfant apeuré. Une fois seule, Eris ne put s'empêcher de murmurer : "Bon sang que ça va être long..."

Trente bonnes minutes après, Le capitaine revint, il siffla pour que tout le monde se regroupe. Une fois au bas de la rampe, il aida une femme à descendre. Elle avait à peine une trentaine d'année et ne revêtait qu'une mince robe en lin très échancrée qui laissait peu de place à l’imagination. Dévoilant ainsi un corps couvert de tatouages rituels et de peintures formant des arabesques complexes sur sa peau. Des motifs hypnotisant qui sinuaient le long de ses courbes et formes, accentuant encore sa sensualité. Elle avait une chevelure soyeuse, fine et naturellement argentée malgré son jeune âge. Ses yeux ne possédaient aucun iris ou pupille, elle se déplaçait à l’aveugle mais attrapa le bras offert par le chef de la troupe. Scott la trouva fascinante, ses yeux ne purent résister à l’envie d’explorer ce corps presque nu. Il était comme hypnotisé, malgré la situation précaire dans laquelle il se trouvait, il déglutit lorsque l’entrejambe de sa combinaison devint un peu trop serré. Le capitaine annonça : « Nous allons pouvoir commencer. Je laisse le soin à Karöhl de vous expliquer plus en détails l'opération. » La femme inspira longuement avant de parler d'une voix limpide, claire et ferme, ce malgré le froid qui les entourait :

-Cette nuit est particulière... Les esprits sont agités... Le voile semble plus fragile..." Elle fut interrompue par un soldat qui murmura :

-Kunë sah Jilmahn... » Un grand type assez fin, avec des cheveux châtains longs attachés en un chignon serré. Karöhl hocha de la tête :

-Le danger est réel... Bien que nous faisions face à un esprit… Cependant je crains que cette nuit ne soit pas idéale pour l’affronter… » Elle tourna ses yeux aveugles vers le capitaine qui regarda ses pieds :

-Les exécutifs de CGE veulent reprendre les activités minières sur Sekkarys 3 coûte que coûte. Aucun ouvrier n'a voulu revenir après l'incident. Les rumeurs les plus folles courent sur cet endroit. Tout ça m'est égal, ce sont eux qui payent mais plus nous attendrons... » La chamane hocha la tête :

-Je sais Henry...

-En vérité, c'est sur vous que tout repose... Il faudrait que ce soit fait au plus tôt, mais si vous pensez qu’il faut attendre…

-J’affronterai le Nepharïth ce soir... » Le grand chevelu intervint :

-Nous vous protègerons quoi qu'il arrive votre Grâce... » Elle lui sourit :

-Je doute que vous puissiez nuire au Nepharïth... Mais il y aura bien d’autres menaces... » Comme pour confirmer ses dires, un nouveau cri hoquetant se fit entendre à quelques pas d'eux. La troupe dégaina ses armes pour se protéger du danger, à l’exception du grand chevelu. Karöhl continua : « N’ayez crainte, les Tamaris n’attaqueront pas, ce sont des charognards. » Le soldat calme demanda :

-Le rituel ne risque-t-il pas de les perturber ? » La chamane ne répondit pas. Elle délaissa le bras du capitaine puis attrapa quelque chose à sa taille, sorte de collier auquel était accroché un colifichet. Elle le tendit au grand soldat en lui disant :

-Le Nepharïth est puissant, autant dans son domaine que dans le nôtre. S’il se sent menacé, il lui sera possible d’intervenir directement sur notre plan physique… Il cherchera à influer l’esprit des êtres vivants alentour… » Elle s’approcha puis lui enfila le collier autour du cou. Il murmura en réponse :

-Meh kane sohn… » Karöhl procéda de même avec Eris qui accepta le collier. Scott avait le rouge aux joues, il ne put s’empêcher de regarder le décolleté plongeant tandis que la chamane lui passait le collier autour du cou. Le jeune technicien crut apercevoir un sourire sur les lèvres de la sainte femme, mais elle s’éloigna trop vite pour qu’il en ait le cœur net. Quand vint le tour du capitaine, il hésita. La chamane lui expliqua : « Un charme protecteur. Pour vous prémunir de l’influence du Nepharït… » Le colosse se pencha en exprimant tout son mépris, il brandit un fusil de chasse lourd :

-Je préfère me protéger avec ça… » Karöhl le laissa pour aller vers les deux derniers soldats qui acceptèrent son cadeau. Elle allait ajouter quelque chose, mais s’interrompit pour regarder un point au loin dans l’obscurité. Avec calme elle déclara : « Il est temps... » Puis elle avança dans les ténèbres. Malgré sa cécité apparente, elle semblait savoir où aller. Scott craignit que la troupe ne la perde de vue, mais dès qu’elle quitta le cercle lumineux, sa silhouette se démarqua de l’obscurité, comme éclairée par un léger halo bleuté. Le capitaine beugla : « Aller tas de feignasses ! On se bouge ! »

Scott conduisait lentement le chariot anti-gravité. Un petit véhicule de logistique qui s’élevait à quelques centimètres du sol en transportant de lourdes charges. Il avait allumé tous les phares que possédait l’engin, mais il peinait à faire reculer le mur ténébreux qui lui faisait face. Il suivait un sillon de hautes herbes aplaties par le reste du groupe devant lui. Il finit par rattraper le grand chevelu puis cala la vitesse du chariot sur celle du soldat pour lui demander avec inquiétude : « Jähk ? Qu’est-ce que c’était que tout ça ? » L’autre s’arrêta, laissa le chariot le dépasser. Il posa un pied sur une marche, s’agrippa à une poignée puis jeta un coup d’œil confus au conducteur qui précisa : « Ces trucs que tu as dis à la chamane ?

-Oh ça ? Des formules consacrées, rien de plus.

-Je… J’ignorais que tu étais croyant…

-Normal… Tu ne fais partie de la troupe que depuis quelques semaines Scott… » Le jeune homme marmonna :

-Je n’imaginais pas que l’on pouvait traverser la galaxie et tout de même croire aux esprits… » Jähk sourit avant d’ajouter :

-J’étais comme le capitaine il y a quelques années… Mais depuis j’ai fait face à un… ‘phénomène’ comme vous les appelez… Une anomalie dans le voile qui sépare nos deux plans d’existence… Depuis, je me suis intéressé à l’ésotérisme, pour finir par me convertir… » Il y eut un léger silence. Le soldat balaya l’obscurité avec la torche installée sur le côté de son fusil d’assaut. Scott regardait devant lui, il demanda :

-Je… Je n’avais encore jamais vu de chaman… Elle… » Jähk lui sourit :

-Elle est fascinante n’est-ce pas ? » Le jeune technicien hocha la tête, le soldat continua : « Les saints, hommes et femmes naissent avec le don d’ubiquité… » Un regard confus de Scott l’encouragea à expliquer davantage : « Ils vivent à la fois parmi nous et parmi les esprits… Le voile qui sépare nos deux réalités est un chemin sur lequel ils évoluent sans difficulté, tandis qu’il nous est impossible de le voir… »

-Est-ce pour cela qu’elle ne ressent pas le froid ? Ou qu’elle est aveugle ? » Jähk hocha la tête. Il sursauta lorsqu’un mouvement sur leur droite secoua des hautes herbes. Cependant il reprit son calme en un clin d’œil. Scott l’interrogea :

-Et ces Tamaris ? Qu’est-ce que c’est ? » Jähk lui fit une grimace :

-Tu n’as pas lu le chapitre sur Sekkarys 3 dans le briefing de mission ? » Le jeune homme fit non de la tête. Son camarade lui tapota amicalement l’épaule :

-J’espère que tu as les tripes solides Scott… » L’intéressé allait le questionner davantage, mais son attention fut attiré par autre chose. En tête de colonne, la torche du capitaine venait d’éclairer un immense véhicule excavateur laissé à l’abandon. Les hautes-herbe avaient repris leur place sur le chantier de la CGE, donnant à l’endroit des airs de fin du monde. Leur progression prit fin lorsque Karöhl s’arrêta devant une immense pierre dressée. Le minéral semblait antédiluvien, comme laissé-là par une civilisation immémoriale. Sa présence aurait pu être surprenante, mais sa surface était striée de profondes griffures laissées par une créature aux proportions inimaginables, lui donnant un aspect inquiétant, voir terrifiant. Eris clama : « Capitaine ?! Le briefing n’a jamais mentionné ce rocher ! Et le Sillon ne l’a pas capté lors de la descente ! Je viens de vérifier ! » Jähk lui répondit :

-C’est parce qu’ils n’existent pas… Ils ont traversé le voile… » Scott continuait de faire avancer son chariot, la lumière de ses phares éclaira quatre autres monolithes presque identiques, formant un cercle dans lequel aucune végétation n’avait poussé. Le technicien serra les dents lorsqu’il remarqua que les traces de griffes se concentraient sur l’intérieur de la ronde de pierre, mais pas à l’extérieur. Une voix au fond de son esprit lui criait de faire demi-tour, de ne pas entrer dans ce cercle. La chamane annonça : « Nous y sommes… »

Il avait fallu presque une demi-heure à Scott pour installer les éclairages autour du cromlech des pierres géantes. Il faut dire qu’il avait du mal à décrocher son regard de Karöhl. La chamane avait préparé son rituel, elle avait tracé des sillons au sol en se penchant, sans prendre la peine de couvrir son corps qui se dévoilait sans honte. Chaque fois que le technicien posait ses yeux sur la sainte femme, elle était penchée ou courbée de manière suggestive. Quand le regard du jeune technicien ne s’égarait pas sur un recoin indécent, il se perdait en suivant les tatouages qui courraient sur les courbes sensuelles.

Par la suite Jähk était venu aider Karöhl, ils avaient mis des épices dans des encensoirs avant de les allumer. Enfin quelques flacons contenant des objets impossibles à identifier avaient été disposés à distance égale du centre du cercle.

Le moment approchait, Scott pouvait le sentir. Un malaise lui donnait la chair de poule. Il hésita à demander s’il pouvait retourner au Sillon mais les jacassements macabres des Tamaris l’en dissuadèrent. Eris s’approcha de lui : « Tu as une arme ? » Il attrapa un pistolet à sa hanche, elle hocha la tête : « Tiens-toi prêt… » Puis s’éloigna pour aller monter la garde entre deux dolmens.

Le silence de la nuit ne faisait qu’exacerber la tension sur le groupe. Si bien que lorsque Karöhl leur annonça : « Je vais commencer… » Tous furent presque soulagés. Mais leur répit fut de courte durée lorsque la chamane ajouta : « Quoi qu’il arrive… Ne laissez rien m’interrompre… » Elle marcha jusqu’au centre du cercle, s’y assit en tailleur puis entama un chant. Une litanie dans le langage des esprits, aux syllabes étirées et mélancoliques. Encore et encore, les lamentations de la chamane résonnèrent contre les pierres, avec le silence pour seule réponse. La voix de Karöhl diminua, comme une sorte d’accalmie dans la chanson puis elle se tut. Scott resta tendu, avant d’enfin oser reprendre son souffle. Tout semblait calme. Jähk grogna : « Il est ici… »

Les mains du technicien se crispèrent sur la crosse de son arme. Il jetait des regards alarmés autour de lui. Son souffle saccada… Où ? Où pouvait bien se cacher l’ennemi ? En essayant de reprendre sa respiration, il s’étrangla. L’air autour de lui semblait s’être figé ou avoir disparu. Il fut assourdi par les battements de son propre cœur, enfin c’est ce qu’il crut. Jusqu’au moment où le Nepharïth se montra. Sa présence provoqua une sorte d’onde sonore à basse fréquence, qui fit trembler les dolmens, décrochant de la poussière des pierres ancestrales. Le son fit vibrer Scott jusqu’aux os, ses organes lui faisaient un mal de chien, jusqu’à ce qu’il mette un genou à terre.

Puis, le ciel s’éventra, les nuages furent troués par un cercle gigantesque au creux duquel ils purent enfin voir les étoiles… Ainsi qu’un astre abominable… Une lune à la silhouette distordue, une sphère cabossée à plusieurs endroits, dont la surface semblait avoir été vitrifiée par un feu solaire. L’objet céleste tourna lentement sur lui-même, changea de couleur, virant vers un verdâtre maladif, baignant le cromlech et ses alentours d’une lueur morbide. Scott poussa un cri terrifié, Eris s’exclama : « C’est impossible ! Sekkarys 3 n’a pas de satellite ! » Jähk tenta de lui crier quelque chose en retour, mais sa voix fut couverte par un tonnerre venu de nulle part qui fit trembler les dolmens :

-Uhm sharruk ! Ehn Karrou ! » Le Nepharïth s’exprimait tel une divinité furieuse dont la parole provoquait des cataclysmes. Karöhl lui répondit en psalmodiant de nouveau, l’air dans le cromlech trembla, la chamane fut lentement soulevée du sol, ses yeux s’illuminèrent, projetant des rayons bleutés vers la lune verte. Sa robe glissa de son corps pour rester au sol, mais elle continua de chanter malgré tout, flottant désormais à quelques centimètres de la terre. Scott en resta bouche bée il eut l’impression d’être en présence d’un être divin tant la scène était surréaliste et parfaite. Le capitaine s’approcha d’un pas décidé, comme pour rattraper la sainte-femme qui semblait s’envoler vers les étoiles. Mais Jähk l’en empêcha, il se rua sur lui en hurlant : « Non ! Surtout pas ! Laissez-la faire ! » La silhouette de la chamane se stabilisa à deux mètres du sol, la confrontation reprit.

Scott ne comprenait pas un traitre mot de ce qu’ils se disaient, mais chaque fois que le Nepharïth s’exprimait, son corps était secoué de douleurs sourdes. Il espérait que les choses en restent là, mais son cœur manqua un battement lorsque la surface de l’objet céleste se déchira. Il ne s’agissait pas d’une fissure ou d’un craquement, non : c’était une déchirure. De cette plaie sinistre, dégoulina un liquide noir répugnant. Sorte de fluide glaireux, qui tomba en un torrent gluant sur les environs du cercle de pierre. Au contact de la terre, il émit un crissement similaire à celui produit par une brûlure. Un gaz sombre en émana, Scott resta figé, jusqu’à ce que le capitaine hurle : « Masques ! Enfilez vos masques ! » Le jeune technicien se rua vers son chariot pour attraper son matériel de protection. Il l’enfila en tremblant, alors qu’une odeur de pourriture et d’excrément lui parvenait. Une petite clochette à son oreille lui signifia que l’étanchéité de sa combinaison était complète. Il se retourna, prêt à demander ce qu’il se passait. Lorsqu’il aperçu enfin un Tamaris. Il tomba au sol en voulant s’en éloigner, le pointa du doigt en hurlant de manière inarticulé.

Ce n’était ni insecte, ni un animal. Au travers de son masque, Scott identifia plusieurs longues pattes telles des échasses de plus de deux mètres. Le tout rattaché à ce qui ressemble à une grande poche de chair sous laquelle une gueule difforme s’ouvrit en trois. Des crocs, plus qu’il n’était possible d’en compter ainsi qu’une langue tentaculaire. La chose progressait sans faire bouger les herbes au sol. Le corps arrondi de la bête fut secoué comme d’une quinte de toux lui faisant produire un sinistre caquètement étranglé. Scott parvint à mettre la créature en joue, mais une rafale de tirs le fit sursauter. L’animal explosa dans une gerbe de sang rendu vert par la lumière du Nepharïth puis s’écroula lourdement au sol.

Le jeune technicien eut à peine le temps de se relever, qu’il aperçut d’autres silhouettes arachnéennes pénétrer dans le cercle de lumière qu’il avait installé. Le capitaine beugla : « Feu à volonté ! » Déclenchant l’enfer dans le cromlech de pierre.

Tout fut si confus, si bruyant. Les tirs, les cris d’agonies des horreurs sur pattes, les hurlements de la lune et de la chamane. C’était la folie, Scott ne comprenait rien. Il tentait fébrilement de couvrir ses camarades lorsqu’ils avaient besoin de recharger, mais il n’était pas vraiment efficace. Les Tamaris se ruaient sur le cromlech sans considération pour leur vie. Ils étaient comme possédés par une fureur vengeresse… Scott écarquilla les yeux, dans un éclair de terreur, il tourna son arme vers les cieux, vida son chargeur dans la direction du Nepharïth, en vain. Il n’avait plus de munitions. Il se réfugia dans son chariot, se mit en position fœtale où il supplia pour que ce cauchemar prenne fin. Autour de lui, les tirs diminuèrent, pour être remplacé par des cris rageurs, des provocations bestiales. Les armes de corps à corps avaient remplacé les fusils.

Il osa regarder, mais le regretta en un instant. Le pus céleste se répandait partout autour d’eux, les corps des Tamaris jonchaient le pourtour du cromlech. Les pierres étaient souillées des fluides des bêtes mortes. Mais surtout, il vit Eris se faire jeter au sol par trois échasses des créatures puis ces mêmes appendices perforer l’armure de la jeune femme pour lui écraser le ventre dans un craquement si sonore, que même au travers du vacarme, Scott le perçut.

Il fut impuissant, Jähk fut dévoré vivant par deux abominations qui le soulevèrent du sol à l’aide de leurs affreuses langues. Scott ne vit pas si les autres membres de l’équipe étaient tombés, mais il n’entendait plus leurs cris. Après ce qui sembla être une éternité, un calme relatif revint dans le cercle de pierre. Ne restait que les chants sinistres du Nepharïth et de Karöhl.

Scott jeta un œil en direction de la chamane, il aperçut le capitaine, qui se tenait le flanc, appuyé sur un menhir. Il allait le rejoindre, trop content de retrouver son meneur, mais le grand gaillard se tortilla sur lui-même. Il tomba à genoux, poussa un hurlement de douleur rageur, avant d’arracher le masque de sa combinaison. Avec horreur, Scott le vit inhaler la fumée, l’instant d’après, le visage de son capitaine semblait avoir perdu toute couleur, hormis ses veines qui semblaient prêtes à exploser. Il haleta, hurla, puis se mit à grogner tel un animal, tout en avançant vers Karöhl. Scott comprit que son camarade était sous le contrôle de l’ennemi. Il devait l’arrêter avant qu’il ne perturbe la chamane. Mais le pauvre technicien, n’avait plus d’arme et il était bien trop terrifié à l’idée d’attraper l’un de ses outils pour aller défendre la sainte-femme. Frustré par son manque de courage, désespéré par son impuissance, il poussa un cri à mi-chemin entre la colère et la douleur, il se cramponna aux commandes du chariot en serrant les dents à s’en faire mal à la mâchoire.

Malgré sa blessure, Henry s’était traîné tant bien que mal jusqu’au centre du cromlech où il tentait pitoyablement de lever un bras en direction de la chamane. Il ne vit pas le danger, ou du moins bien trop tard. Le chariot anti-gravité n’était pas ce que l’on pouvait appeler un bolide, mais lancé à pleine vitesse, il percuta le mercenaire, avant de s’écraser brutalement dans la pierre la plus proche, tuant le bougre sur le coup. Scott fut projeté de la cabine, il vit trouble pendant quelques secondes avant de parvenir à ramper jusqu’au centre du cercle.

Karöhl semblait flotter au cœur d’une tornade invisible, sa voix se fracassait contre celle du Nepharïth. Une joute verbale d’une violence cosmique, l’esprit malfaisant semblait déverser une haine sans fin. Scott n’avait aucune idée de ce qu’il se passait. Une nouvelle onde sonore à basse fréquence le frappa, l’écrasant au sol. Il avait l’impression qu’un géant appuyait son pied gargantuesque sur lui. Il en eut le souffle coupé, fut incapable de respirer pendant ce qui sembla être une éternité. Puis il y eut une détonation, un hurlement déchirant enfin… le silence.

Scott releva les yeux, le ciel était à nouveau couvert de nuages. Karöhl se posa en douceur au centre du cromlech, la lumière qu’elle émettait diminua, jusqu’à s’éteindre. Elle tomba à genoux, le jeune technicien rampa douloureusement jusqu’à elle, il retira son masque, dévoilant un visage et des cheveux inondés de sueur. Il haleta : « Que… Que s’est-il passé ?! » La chamane sembla soudain frappée par une profonde fatigue, elle se mit à trembler, tenta de se protéger de l’air glacial avant de dire d’une voix tremblante :

-C’est terminé… Nous l’avons banni… »

Le lendemain matin Scott et Karöhl retournèrent au Sillon, ils annoncèrent leur réussite à leur employeur. Quelques heures plus tard, le service de sécurité et les avocats de la corporation reprenaient possession de l’avant-poste minier. Le jeune technicien effectua un rapport complet de ses mésaventures, mais avec horreur, il découvrit que le site de l’affrontement entre son équipe et le Nepharïth avait disparu sans laisser de trace.

Il toucha la récompense, décida de vendre le Sillon ainsi que tout le matériel qu’il contenait. Trois jours plus tard, un officiel de la corporation les accompagna jusqu’au petit spatioport de l’avant-poste : « Cosmos Genesis Entreprise vous remercie encore pour votre contribution. Le pilote a pour ordre de vous ramener à la station de transit GHT-X53. Nous espérons pouvoir collaborer à nouveau avec vous dans le futur. Il les accompagna jusqu’au sas puis les laissa embarquer. L’appareil était un transporteur de passagers avec des cabines individuelles. Scott avait posé le sac contenant ses maigres possessions dans un coin de la pièce, puis s’était allongé. Le bâtiment avait décollé, le voyage allait durer quelques jours. Il s’assoupit légèrement, mais à sa surprise, quelqu’un toqua à sa porte. Il alla lui ouvrir pour trouver Karöhl dans sa robe rituelle si légère, si dénudée… Elle lui demanda : « Je peux entrer ? » Un peu désemparé, Scott la laissa passer. Une fois de plus ses yeux se mirent à courir sur la peau de la sainte femme. Elle s’installa au bord de la couchette : « Je venais voir si tout allait bien… » Le jeune technicien déglutit, hocha la tête :

-Je… Oui…

-Je suis là si tu as besoin de quoi que ce soit. » Son regard se perdit vers le nombril de Karöhl, il secoua légèrement la tête :

-Je… Je vous remercie… Mais je vais bien… Je crois…

-Il est toujours difficile de surmonter un deuil… Les questions sont souvent les mêmes : Pourquoi moi ? Pourquoi ai-je survécu ? Si tu as besoin de parler, je peux écouter. » Il hésita, soupira, puis vint s’installer à côté d’elle. Il eut un moment de flottement lorsque le parfum naturel de Karöhl lui arriva aux narines. Mais il murmura :

-En vérité… Je crois que je suis encore sous le choc… Je ne suis pas si triste que cela… Je les connaissais à peine… Je… Je n’arrive pas à oublier ce… Cet esprit, cette chose… » Il regarda les yeux vides de la chamane : « Comment surmontez-vous une telle horreur ? » Il y eut un silence, la sainte femme tourna son visage vers le plafond :

-Je me dis que je suis en sécurité… Qu’ils ne peuvent pas nous atteindre… Même si le risque qu’ils traversent le voile est toujours présent…

-Vraiment ? » Le cœur de Scott se serra, Karöhl posa une main sur celle du jeune technicien. Elle avait la peau si douce et tiède. Elle lui chuchota d’une voix calme :

-Les chances sont infimes… Aussi infimes que de ne pas arriver à notre destination dans ce vaisseau. Nous vivons chaque instant sur le fil d’un rasoir, il faut apprendre à reléguer ces idées à l’arrière de nos pensées. » Il murmura :

-Je ne crois pas que j’arriverais à oublier une telle horreur… » Elle lui fit à nouveau face :

-Pourtant… Un jour, tu te réveilleras, tu vaqueras à tes occupations… Puis à un moment tu réaliseras… Tu réaliseras que tu n’as pas pensé au Nepharïth… Ce jour là, tu pourras aller de l’avant…

-Quand ? » Elle lui caressa la joue :

-Je ne sais pas… Mais il existe des moyens d’accélérer ce processus… L’univers est maintenu par un équilibre fragile. Tu as… Non… Nous avons vécu un choc, j’aime à croire qu’il faut le contrebalancer… » Scott ne s’était même pas rendu compte qu’il était à ce point pendu aux lèvres de Karöhl, ses mots lui chatouillaient les lèvres :

-Comment… ? »

-Quelles forces s’opposent à la mort et la violence ? » Il hésita, il pouvait presque sentir l’haleine de Karöhl se mêler à la sienne. Il hasarda :

-La… La vie et… l’amour ? » Pour seule réponse, il reçut un baiser. D’abord timide puis lorsque le consentement mutuel fut certain, bien plus passionnel. La chamane se pencha sur lui, grimpa à califourchon sur les hanches de Scott. Il tenta de parler : « Je… » Mais elle le fit taire en plongeant sa langue dans la bouche du jeune technicien qui finit par s’abandonner complètement.

Il suivait un tatouage en arabesque le long du sein de Karöhl qui poussait un petit couinement à chaque fois que ses lèvres entraient en contact avec la peau de la chamane. Il s’amusait à faire courir sa langue le long des lignes sombres, explorant chaque recoin du corps de sa partenaire. Jusqu’à ce que ce chemin le mène à l’intimité de la femme sainte. Il l’embrassa, l’aspira, la lécha. La faisant ruer du bassin et pousser des gémissements sensuels. Jusqu’à ce qu’ils soient prêts tous les deux. D’un accord muet, il l’empala lentement, elle l’enlaça, croisa fermement ses jambes dans le dos de Scott, l’empêchant de prendre trop d’amplitude. Mais ainsi, ils savourèrent ensemble cette vie à laquelle ils s’accrochaient… Cette vie si agréable. Ils s’embrassèrent, ondulèrent de plus en plus vite. Couinant de concert entre leurs lèvres, jusqu’à pousser un râle de délivrance conjoint…

Plus tard, sous le drap, dans les bras l’un de l’autre, Karöhl lui demanda : « Et maintenant ? Que comptes-tu faire ? » Il soupira d’une voix sans vie :

-Aucune idée… » Il y eut un silence :

-Je dois me rendre auprès de mes frères et sœurs, afin de me ressourcer, de m’assurer que le Nepharïth ne sera plus une menace avant bien longtemps... » Elle se tourna, lui caressa le visage : « Peut-être voudrais-tu m’accompagner ? » Il fronça les sourcils puis murmura :

-Après tout… Pourquoi pas ? »

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