Il n’était pas question que je me trouve avec un si joli môme dans une chambre. Même si je désapprouvais mes compagnons, je sentais bien l’irrésistibilité de la tentation.

En sortant, je pensais à son âge. À quelques mois près, cela avait été celui de mon premier émoi en apercevant William. Dix ans déjà ! Mais la fraicheur et la force de mon attachement me paraissaient intactes, aux démons prêts. Pour William, je recommencerai tout, à l’identique. Le conserver éternellement auprès de moi. William…

Je ne faisais pas attention, suivant mon petit elfe. Quand je sortis de mes souvenirs, j’eus un réflexe de recul. Nous étions au pied de la croix.

— Monsieur Nicolas, …

— Non, Nathan ! Si on parle ensemble, tu me tutoies et tu m’appelles Nicolas, ou Nic.

— D’accord ! Tu me racontes ?

— Raconte quoi ?

— La croix.

— Non ! Tu es trop jeune. Qu’as-tu entendu dire ?

— Que vous aviez crucifié pour de vrai un homme !

— Qui a raconté ça ?

— Je ne sais pas. C’est ce que j’ai entendu d’autres camarades.

— Des conneries !

— Pourtant, les traces sur les bras. On voit le trou des clous et des marques de sang.

— Pourquoi tu t’intéresses à ça ?

— Le Christ est mort ainsi. Il parait que ce sont de très grandes souffrances.

— C’est vrai !

— Ah, donc tu l’as vu !

— Mais non ! Je sais, comme toi, que c’est un supplice horrible ! Mais parle-moi plutôt de toi. Ce sera plus gai !

— Plus gai ou plus gay ?

— Cela te tracasse ?

— Oui, beaucoup. Je n’ai personne à qui en parler…

C’est ainsi que commença notre relation. Nous passions de longs moments à causer de tout et de rien. Il me racontait sa vie de lycéen, moi je lui parlais de ma vie. Il me questionnait beaucoup sur l’homosexualité. Il était sûr de lui, mais ne voyait rien venir.

— Tu n’as jamais parlé avec personne de cela ? De l’homosexualité, de tes doutes ?

— Non.

— Pourtant, tous tes camarades scouts ont l’air plutôt ouverts sur le sujet, même avec des vieux ! Sur douze que vous étiez, ils sont tous restés, sauf les plus petits !

— Oui, c’est étonnant. Mais je ne suis pas comme eux.

— Ah bon ! Pourquoi ?

— Je les entends parler. Ce sont de petits machos. Ils ne pensent qu’au sexe, fille ou garçon. Ils s’en foutent. Juste tirer un coup pour leur palmarès !

— Ouais ! Sauf que là, ils vont plutôt se faire sauter que tirer un coup !

— Pas grave ! Ils pourront dire : « Je me suis fait un vieux ! »

— N’empêche que ce sont des rapports homosexuels ! C’est incroyable qu’ils aient tous accepté ! Et toi, tu es différent ? Pourquoi alors es-tu resté ?

— Moi je veux l’amour ! Le grand amour. Mon problème, c’est que je tombe amoureux que de mecs. Aucune fille ne me tente.

— Et alors ? Tu peux trouver un grand amour avec un mec ! Les garçons et les hommes savent aussi aimer !

— Toi, tu as un amoureux ?

— Oui. Nous nous sommes rencontrés quand j’avais ton âge. Je suis toujours fou amoureux de lui.

— C’est vrai ou tu me dis ça pour me rassurer ?

— Non, c’est vrai.

— Pourquoi tu n’es pas avec lui ?

— Il a eu un grave accident, il est à l’hôpital.

— C’est triste.

— Oui, c’est très triste, pour plein de raisons. En ce moment, tu as un amoureux ?

— J’en avais un.

— Qu’est-ce qu’il disait de ça ?

— T’es fou ! Il ne savait pas que j’étais amoureux de lui. Aucun amoureux ne l’a su.

— Mon pauvre Nathan ! Tu n’oses pas leur dire ?

— D’abord, je ne sais pas s’ils sont gays. Je ne sais pas s’il m’aimerait. Et puis…

— Oui ?

— Je ne sais pas si je peux être gay !