CHAPITRE VII - PARTIE I
« Je comprends tu sais, ne t'inquiète pas. Comment va Coy ? je demande précipitamment, soucieuse de ce dernier. J'imagine que les parents ne l'ont pas laissé m'accompagner avec toi...
Il déglutit difficilement avant de s'engager dans ce sujet délicat.
- Coy va très bien, évidemment, il t'envoie ses excuses les plus sincères concernant son absence. Mais comme tu l'as dit, les parents lui ont strictement interdit de sortir de Phir pour venir te rendre visite, cède-t-il gêner de devoir me l'avouer. Puisqu'il n'a pas encore 18 ans, le pauvre ne peut pas jouir d'une complète liberté et quitter le territoire de notre tribu quand cela lui chante. Comme tu le sais, il doit disposer d'une autorisation signée de nos représentants légaux. Ils pensent qu'il en va de leur réputation, en le laissant mettre les pieds à Elario, le désastre serait inévitable, déplore-t-il secouant la tête indignée par de telles croyances. Moi je n'en ai rien à foutre de ce que leurs opinions. Quoiqu'il arrive, je ferais ce que je veux qu'on me pointe du doigt ou non.
J'affiche un large sourire amusé par son discours. Le connaissant ses paroles ne resteront stagner en l'air sans l'aube d'une action les justifiant. Sa simple présence, aujourd'hui, en est bien la preuve.
Un léger silence s'installe entre nous, le brun déstabilisé par cet environnement déplaisant n'a pas la complète emprise sur ses agissements. La situation est complexe certes, mais je reste tout de même très heureuse de le voir. Il s'est déroulé un nombre incalculable d'événements, après mon mariage, qui ont changé la donne.
Nous n'avons cesser, pour autant, durant ses dernières années de nous écrire pour garder contacte. D'une bonhomie sans égale qui a toujours eu le de don de me m'être à l'aise, Lane est sans doute l'être en lequel, j'ai le plus confiance. Le jeune homme reprend la parole avec une voix solennelle:
- Toutes mes plus sincères condoléances, Anda, je ne peux pas imaginer à quel point tu dois souffrir de son absence... Je serai toujours là pour toi quoiqu'il arrive. N'oublie pas de rester forte, tu as fait preuve d'un grand courage jusqu'à maintenant. Fais-en de même aujourd'hui.
Les larmes me montent aux yeux, mais je persiste à ne pas les faire couler, il est le seul devant qui je désire témoigner de ma robustesse négligée.
- Merci, Lane... Mais je ne suis plus la même, tu sais. Les circonstances sont différentes. Dorénavant, je ne suis plus une enfant. Malheureusement, je ne suis plus la petite fille avec laquelle tu adorais te balader en forêt, je ne suis plus celle qui arranger les chamailleries entre toi et tes frères... Je suis plus la petite fille avec qui tu as grandi pendant 12 ans.
Mes paroles me trahissent sans un regret. Suis-je sur le point de lui dire de ployer à ma disparition ?
- Tu es ma soeur, Andorra, la seule et l'unique, déclare-t-il avec une conviction sans faiblesse, bombant le torse en s'affirmant.
Il espère me redonner foie en la vie. Il a bien compris que celle-ci ne m'inspire plus aucune palpitation. Le brun plonge ses yeux dans les miens me laissant me baigner dans la culpabilité qui le tracasse. Après tant d'années et d'épreuves vécues à ses côtés, j'ai assimilé jusqu'à la plus insignifiante des aléas qui constituent sa personnalité.
Oui, Lane est mon frère, celui dont je ne pouvais me séparer, celui qui protégeait sa petite soeur, envers et contre tout. Le lien du sang ne nous unit pas, seulement, cela n'a en rien changé notre relation. Nous sommes de la même famille et cela ne s'extirpera jamais.
- Tu n'es pas coupable dans cette histoire. Ce qui m'arrive n'est pas de ta faute. Ne te torture pas l'esprit. Surtout pas pour moi.
Évitant mes yeux noircis par l'accablement, il ramène ses mains sous la table de fer pour les tripoter. Le jeune homme semble angoissé. Il ne parvient plus à me faire face. Est-ce que je le dégoûte ?
- J'aurais dû faire quelque chose, j'aurais dû empêcher ce mariage. Et surtout j'aurais dû dénoncer Bewen ! crache-t-il presque en criant.
Il serre ses poings.
- C'est ton frère... Tu ne pouvais pas le trahir de cette façon... Il est trop tard pour avoir des remords. Si tu avais révélé cette histoire à qui que ce soit, notre famille, Bew...
J'ai du mal à prononcer son nom. Je ravale ma salive. Il n'est en réalité jamais trop tard, pour apercevoir l'éruption de nos remords.
- Bewen serait mort. Tu n'aurais rien pu faire d'autre. Je me suis mise dans le pétrin toute seule. Il était en mon devoir d'en assumer les conséquences pour protéger la réputation de notre famille. C'est mieux ainsi, je cède alors non convaincu par le choix de quelques-unes de mes paroles.
Aurais-je été triste si celui-ci avait été happé pas la mort ? Je pense que oui, c'est même certain. C'était l'amour de ma vie. Je le hais autant que je l'aime. Sans omettre de mensonge, je ne m'en serais jamais remise... Lane aurait été hanté à vie par un tel agissement. C'est mieux ainsi, enfin, je crois.
- Tu sais très bien que c'est faux. La justice n'a pas sa place à Koram. On la considère comme une peste. Alors qu'elle est la ménagère de la vérité. Une chose que parfois certaines personnes ont du mal à affronter. Tu ne mérites absolument pas ce qui t'arrive. Sinon l'amour est un péché. Et tu serais la seule en assumer les conséquences. »
Une sonnerie retentit de plein fouet. La fin de notre entrevue est déclarée. Je donnerai n'importe quoi pour la prolonger. Si seulement je pouvais rester ne serait-ce qu'une minute de plus pour discuter avec lui. Il se lève et me prend dans ses bras pour probablement la dernière fois avant des mois ou pour toujours.
Je m'accroche à lui, appuyant ma tête contre son torse, consciente que je vais devoir lui dire au revoir, un moment ou un autre. Notre relation n'a pas lieu de se terminer de cette manière.
« Le combat pour la liberté n'est pas fini, je crois en toi. Je t'aime, murmure-t-il à mon oreille.
Ces mots chatouillent ma conscience.
- Moi aussi, je glisse au bord des larmes, tremblantes.
Ma voix me trahit. Je voudrai me montrer beaucoup plus forte pour qu'il se rassure, mais surtout pour qu'il garde une dernière image de moi souriante.
Il pose sa délicatesse légendaire dans un ultime baisée sur mon front. Il verse en celui-ci tout l'amour qu'il peut encore m'offrir. J'ai cette envie dérangeante de hurler au désespoir. Je sens mon coeur brisé gigoter pour une énième fois. Je succombe et mes yeux se remplissent d'eau, malgré moi.
Si j'avais le pouvoir d'arrêter le temps, je l'aurai immédiatement fait pour garder Lane auprès de moi.
- On se reverra bientôt, dit Lane tout en essayant de se convaincre par la même occasion.
- Oui bien sûr, je réponds dans un but similaire.
Il me ment. Je lui mens. On s'en rend évidemment compte, mais aucun de nous ne veut briser cet instant précieux. C'est une promesse inachevée qui persistera dans nos mémoires.
Il me regarde droit dans les yeux n'oscillant à son devoir d'adieu.
- Que la paix s'imprègne te ton être et prospère jusqu'à ton dernier souffle.
- Que la paix s'imprègne de ton être et prospère jusqu'à ton dernier souffle, je lâche en priant avec une fervente attention que cela ne soit des paroles irrévocables. »
23 ans. Avons-nous le temps de connaître toutes les facettes de la vie à 23 ans ? L'amour, le pouvoir, la solitude, la tristesse, la colère, l'espoir, le désespoir, l'ennui, l'aventure, la déception, la surprise, le bonheur... Et tant d'autres encore.
Les émotions que l'espèce humaine réussit tant bien à exploiter. Je crois qu'en temps normal personne ne sait ce que l'existence a à offrir à un âge aussi précoce. Pourtant moi si. J'ai l'impression d'avoir vécu, à travers, tous les états d'esprit possibles, d'avoir pu jouir d'un bonheur exacerbé comme d'une tristesse intraitable. Ce monde n'a plus rien n'a m'apprendre. Il me dégoûte sur tous les points de sa carte. Qu'est-ce qui aurait encore le goût de m'exalter ? La déception ne s'est que trop de fois acharnée sur moi. Comment suis-je censé aborder la vie autrement qu'avec mélancolie ?
Depuis le jour de ma naissance, les pires horreurs me sont tombées dessus. Ils s'accumulent avec le temps et ils ne sont pas près d'arrêter de me pourchasser. Ils souhaitent à tout prix me faire couler, me démembrer jusqu'aux portes de Lucifer, m'abandonner au sort qui m'a été promis: le chagrin infernal. J'avoue croire à l'inconscience même de ma propre existence. Je ne demande que miséricorde et rédemption, mais elles me sont or de portée, ne voulant m'être accordé.
J-11 avant l'envolée de l'espoir noir. Trois jours sont passés depuis la visite de Lane. Je possède la vive impression de l'avoir touché, il n'y a que quelques minutes. Je me rappelle de tous les plus petits détails soient-ils. Du temps qu'il faisait dehors aux couleurs de son costume. Et bien sûr, je me souviens de son apparence, cette journée-là.
Sa chevelure bouclée d'un brun crème se balançant dans tous les coins ou encore ses yeux verts qui reflètent la forêt dense. Grand, très grand, assez costaud et des mains comparables à celle d'un géant. Il ne ressemble, en rien, à son Frère Bewen. Autant du côté physique que caractérielle.
Coy lui est un mélange des deux, à la fois aimant et parfois hargneux, un gamin très curieux et loquace qui cherche véritablement à s'identifier. Il aime prendre exemple sur ses frères. Même si de temps à autre, il reproduisait certains gestes, de façon assez maladroite, il demeurait un garçon d'une honnêteté sans égale et ça il n'avait à l'envier ni à Lane et en tout cas pas à Bewen.
Je prends une grande inspiration et dédaigne enfin à ravaler mes doutes. J'ai encore du temps devant moi avant de trancher sur ma décision. Je ne désire de me précipiter, je ne veux pas faire en sorte que mon état moral et psychologique s'empire. Et puis depuis la rencontre de mon frère, je dois me faire violence pour ne pas songer à Bewen...
Il y a quelques jours, il envahissait entièrement mes pensées, avec sa lettre sordide qui me donne envie de gerber. Mais maintenant qu'une autre bombe et tombée sur ma tête, je ne lui ai pas consacré une seule seconde. Pourtant lui aussi vient de perdre un fils. J'aurais dû m'attendre à un signe de sa part, mais pas une lettre, rien. Même Lane n'a abordé ce sujet. Ce qui finit par presque me surprendre. Je trouve cela bizarre.
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