CHAPITRE XIII - PARTIE II

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Une coupure nette se propage dans l'océan d'obscurité qui m'entoure. Subitement, je me retrouve propulsé dans un milieu dissemblable. Une salle de danse, mais pas n'importe laquelle. Ma salle de danse, celle qui m'a vu transpirer et sauter des heures durant dans les airs. Des entraînements, j'en ai vécu des centaines dans cet endroit. La stupéfaction m'engourdit, comment peuvent-ils avoir accès à un tel de mes souvenirs ?

J'inspecte la pièce et aperçois une personne près du miroir. Les rayons du soleil pigmentent sa peau au lissage doré, ses cheveux châtains sont parfaitement réunis en un chignon au sommet de sa tête. La jeune fille se lève d'un mouvement aussi gracieux qu'un cygne.

Une boule se bloque dans ma gorge. Déchanté par cette illusion, prête à suffoquer, mes larmes perlent le long de mes joues, sans que je n'en sois consciente. C'est insensé... Comment se peut-il que ce soit elle...? Je... Je ne comprends absolument rien. Ma présence la laissant indifférente, elle se prête à ses habituels étirements.

Son regard vert électrique finit par rencontrer ma silhouette, tout au fond, collée au mur. Elle s'approche de moi, l'air de rien, dans une démarche délicate. Son visage ne trahit pas une poussière d'émotion, je suis fortement affectée de revoir la jeune femme devant moi après tant d'années...

Celle-ci s'immobilise près de moi et me tend franchement la main.

  • Nina..? Je marmonne prise atteinte de timidité.

Elle insiste en désignant d'un bref coup d'oeil le bout de ses doigts. Je l'enlace avec précaution et une tempête s'abat sur nous. Un tourbillon de fumées grises et charbonnées nous étouffe. Je tousse fortement, ma gorge me brûle et la chaleur du contact de Nina a disparu. Je l'appelle:

  • Nina ! Nina ! Nina !

En vain. Son nom se perd dans la nuée. Que lui est-il arrivé ? Tout d'un coup, la tempête s'arrête et j'atterris sur un canapé de soie rouge. J'entends une sonnerie de téléphone retentir, il est juste à côté de moi.

J'hésite sincèrement à satisfaire la demande. Au fond de moi, une voix lointaine s'éveille sous cette puérile chanson. Ma main divague dangereusement vers le combiné. La lutte contre ma curiosité est des plus cinglante. Je succombe à l'attendrissante voix, oui celle qui murmure doucement et vaillamment dans la cage de mon esprit: cela ne te coûte rien d'essayer... Je décroche et porte l'appareil à mon oreille.

  • Allo? Oui, madame c'est votre passé, acceptez ou déclinez-vous l'appel ?

C'est une sombre blague. Mon existence antérieure désire discuter avec moi ? Dois-je le lui accorder, en a-t-il le mérite ? Je ne pense pas... Néanmoins j'aspire à entendre ce qu'il a à me dire.

  • J'accepte. Très bien.

Bip !

  • C'est moi Andorra.

Cette voix m'est étrangement familière.

  • Qui êtes-vous ?
  • Enfin, voyons, tu ne reconnais pas ma voix ? Tu me vexes, rétorque celle-ci avec sarcasme.

Non... Encore ? Ce n'est pas possible, pourquoi elle ? Que me veut-elle pour finir ?

  • Nina, je certifie.
  • He oui ! Cela ne pouvait être que moi. J'ai des choses à te rappeler, j'ai peur que tu oublies qui je suis avec tout ce qui se trame dans ta vie en ce moment, cela serait véritablement humiliant.

Ses paroles me tordent l'estomac, une sueur froide effarante s'abat sur moi.

  • C'était avant la grande prestation du lac des cygnes. Je jouais le cygne blanc, tu étais venue me voir avant que je rentre en scène. Je t'ai avoué connaître la vérité et tu m'as supplié de ne surtout rien dire à Bewen de n'aborder le sujet avec lui, sous aucun prétexte.
  • Je voulais te protéger, tu ne m'as pas écouté, je conclus sans une once d'hésitation.
  • Me protéger ! Rétorque sèchement cette dernière.
  • Tu ne m'as pas écouté ! Je t'avais prévenue ! Pourquoi tu as fait ça Nina ? Hein ! Pourquoi tu as fait ça ! Je m'acharne.

Je n'ai pas les nerfs assez solides pour poursuivre une conversation d'une envergure aussi dévastatrice. Mes joues sont entièrement mouillées. Je déteste pleurer. Cette douleur est insoutenable. Comment avais-je pu être si égoïste ? J'aurais, au moins, pu le faire pour elle, pour Nina.

Un éclair brouille ma vision. Je suis de retour sur le canapé rouge, le téléphone sonne à nouveau. Bon sang, mais que se passe-t-il ? Je dois impérativement reprendre mes esprits. Je ne suis pas folle, je viens de vivre exactement la même scène, il y a quelque seconde.

Ma main serpente dangereusement vers le combiné. Dépossédé du contrôle total de mes gestes, je décroche une seconde fois.

  • Oui, madame c'est votre passé, acceptez ou déclinez-vous l'appel ?
  • J'acc..epte. Oui, j'accepte l'appel, j'hésite. C'est entendu!

Bip!

  • C'est moi Andorra.

Je connais cette voix, celle-ci m'a accompagné lors d'une bonne partie de mon enfance. Elle est douce ne sondant aucune méchanceté, cependant elle dissimule un soupçon de défiance et d'accusation que seul moi ai la capacité de discerner sous cette facette angélique.

  • Je sais qui tu es. Nina, pourquoi m'appelles-tu ? Je ne comprends pas, explique-moi, je capitule.
  • Tu n'es digne de recevoir aucune explication. C'est à moi de poser des questions, crache-t-elle d'un ton glacial. Tu ne penses pas que je mérite des réponses ? Te rappelles-tu ? Oui, je suis sûr. Pourquoi ne m'as-tu pas tout raconter ?
  • Je t'ai prévenue.
  • « C'est un homme qui cache plus que tu ne peux le croire, un virtuose accru de l'illusion. Éloigne-toi de lui. Mais surtout, ne lui procure jamais l'opportunité de découvrir ton avis à son sujet. Car, il te le fera amèrement regretter. » Voilà exactement ce que tu m'as dit le jour de la représentation: ce fût confus, largement trop. J'avais un serment à honorer.
  • Je t'ai prévenue...
  • Non ! Non ! Pourquoi ne pas m'avoir clairement dit toute la vérité?

L'entier de mes muscles se tord. Mon pouls s'accélère dangereusement. Aurais-je dû raconter l'ensemble de l'histoire ?

  • Arrête Nina ! Arrête ! Je la supplie à bout de force.
  • Non ! Pourquoi, Andorra, m'as-tu caché une chose aussi grotesque ! J'aurais pu t'aider et tu le sais très bien ! À la place tu as choisi la méfiance et tu as promis assistance à lui plutôt qu'à moi, m'accuse-t-elle avec aigreur.
  • C'est faux ! Tu te trompes sur ce point, tu penses vraiment qu'en te disant cela je voulais le protéger lui ? Rejeté-je avec virulence.
  • Je n'en ai aucun doute. Tu es ingrate de m'avoir avoué une chose pareille.
  • Arrête de dire des conneries !

Un fort choc métallique résonne. Il n'est plus question que je réponde à cet appel. Il me lancine le coeur. Les accusations découlant de cet appareil m'écorchent. Comment et pourquoi étions-nous arrivés à nous faire des reproches aussi violents ? Avais-je tort depuis tout ce temps ? Oui, certes, j'approuve avoir fait preuve d'égoïsme et de jalousie, au départ, alors que je savais pertinemment que la situation ne pouvait en être autrement. Néanmoins, je m'étais entièrement lancé sur une perceptive positive sur le long terme. Ce fut rude, seul moi comprenais la source de mes tourments. Je m'étais promis de la préserver de l'influence néfaste et destructrice de cet homme.

Un flash m'éblouit. Canapé en soie rouge. La sonnerie toujours la sonnerie. C'est une blague. Je décroche. Oui, j'accepte, le passé, encore.

  • Nina ?
  • Andorra ? Pourquoi ne m'as-tu rien raconté ? Renouvelle-t-elle.
  • Je voulais te protéger, affirmé-je.
  • Tu es sûr ? insiste-t-elle.
  • Oui.
  • ALORS POURQUOI NE M'AS-TU PAS DIT LA VÉRITÉ ? hurle-t-elle à plein poumon.

Je raccroche et ça recommence sans interruption. À aucun moment, je n'entrevois la fin de cette torture. Tous les appels me ramènent à sa voix, à elle. Nina m'aboie dessus, me désignant coupable d'abandon et trahison. Le doute s'insinue en moi, ma raison est victime de l'éclosion d'une lésion. Qui désirais-je bel et bien sauvegarder ? Nina ou Bewen et moi ? Au fil des conversations que nous échangeons, les souvenirs se fragmentent venant à composer une mosaïque disloquante. Je ne vois plus la différence entre le mal et le bien que j'ai jadis pu accomplir. Étais-je une personne aussi malveillante qu'elle le soutenait ? La jeune femme le clame avec une ardeur sans limites, une haine m'étant presque compréhensible.

Cette satanée lumière m'aveugle pour la millième fois. J'ai arrêté de compter le nombre d'appels que j'ai reçus. Combien de temps s'est consumé depuis mon arrivée ici ? Je ne connais même plus les causes de ma présence en cet endroit. À plusieurs reprises, je me suis écroulée, tremblante de sanglot arrachant des cris de supplice. Un tas de téléphones ont été fracassés contre le sol, martyr de mon chagrin converti en fureur dévastatrice.

Il me semble que je passe une sorte de test. Un teste que je rate lamentablement, vu les conséquences de mes actes, je ne pense pas accomplir des merveilles. On me surveille de près depuis le début de cet acharnement.

Que disait-il déjà ? Ça me revient gentiment, les mots s'alignent, les uns après l'autre, sans que je ne sois capable de former la phrase à voix haute et pourtant celle-ci fait fortement écho dans mon cerveau pétri.

C'est ta faute, si je suis morte. Andorra, tu aurais pu me sauver. Tu étais la seule de taille à me sortir de ce pétrin. Et tu as échoué, non, enfaîte, tu as pris une décision et tu as préféré épargner votre relation, au lieu de mon existence. La petite fille qui t'a incessamment soutenue malgré tes erreurs et parfois ta méchanceté brûlante. Je n'aurai eu à réfléchir deux fois, sans l'ombre d'une hésitation, je t'aurai choisi.

Silence. Je ne peux répliquer ma voix est encastrée dans le creux de mon thorax noué. Un liquide venimeux s'écoule le long de mes veines crispées par ce flot de paroles cruelles. Je baisse la tête et regarde mes mains. Elles tremblent et mon crâne va exploser. J'ai besoin de le dire, oui c'est une nécessité pas une envie. Un désir brûlant de m'arracher les cheveux m'accapare. Cette douleur est incomparable.

« Je ne dois pas me laisser pas dévorer par ce qui n'est plus. Après les nuages, mon regard rencontrera des pages de convoitise. Là est mon combat. »

Enfin... Le calvaire s'est évaporée de mon corps. Je sais à présent ce que je dois faire.

Le flash lumineux.

Le canapé rouge en soie.

Le combiné.

Le passé désire discuter.

Je décroche.

Cette la dernière.

  • Andorra, c'est Nina, m'imposé-je. Cette fois, c'est moi, qui parle Nina. Ce que je t'ai dit ce jour-là, je le pensais vraiment. Je voulais t'aider. Mais je ne t'ai pas tout raconté par peur des conséquences. Je te faisais confiance, mais lui non. À l'époque, j'étais si minablement faible face à lui. J'ai prié pour que tu écoutes mes conseils. Je t'ai mis en garde tellement de fois. Mais je ne pouvais lutter contre ces éclats de névroses incontrôlables. Tu as été la victime de sa folie. Et j'en suis sincèrement désolé. J'aurais tellement voulu faire plus.

Le flash lumineux.

Le canapé rouge en soie.

Le combiné.

Le passé désire discuter.

Je ne décroche pas.

C'est comme promis, c'était la dernière fois.

Je bouge, lentement, les doigts. Il fut difficile de reprendre mes esprits. J'eus l'impression d'avoir dormi plus de dix longues années. Je chancelle sur mes pieds en me relevant, reprennent conscience des membres de mon corps encore somnolent. Quand j'arrive dans la pièce principale, tout le groupe de travail de Mitai ainsi que Monsieur Albert se retournent vers moi.

Et bien vous avez failli y passer, commente mon guide.Pardon ?

Mitai enchaîne, instantanément, sa bouche débordant de paroles, tout en m'aidant à m'asseoir sur le canapé ou je me suis préparée.

  • Vous avez traversé exactement 6 minutes et 37 secondes dans notre espace de projection nommé la boucle. En passant, c'est l'un de mes épisodes préférés ! Elle fait partie du rang P dit périlleux de nos séries, car une fois rentré, le seul moyen d'en sortir et de vous convaincre vous-même. Cela représente un processus inimitable et très complexe, en conclusion, vous êtes l'unique personne capable de vous sauver. La plupart du temps, il faut s'affronter soi-même et excepter même si vous assumez complètement vos actes, vos valeurs et l'image que vous reflétez. Dans ce cas cette épreuve est un jeu d'enfant. Ce n'est pas ce facteur individuel qui détermine la boucle comme compliquée à franchir, les conséquences de nos actions à l'intérieur sont irréversibles. Une fois que vous y passez plus de 15 minutes, vous restez indéfiniment bloqué dans ce cercle infernal et bien sûr éternel ! Vous ne pouvez pas mourir, mais vous stationnez dans le coma pour une durée indéterminée. D'ailleurs, c'est Léon qui détient le record avec 27 ans ! Vous imaginez ? C'est dingue ce que l'on peut faire croire à notre cerveau avec un peu de développement technologique. Certainement, je le conçois, je dois avouer pour ma part que c'est terrifiant.

Je suis scotchée, personne ne m'avait mis aux courants de tels dangers concernant cette seconde épreuve.

67%. Un résultat nettement préférable à la suite de mon aventure au sein de la sélection que le précédent. Cette pointe de victoire accroît, après bien des périples, un tant soit peu mon moral décrépit. M.Albert ne décroche pas une remarque et tant mieux, je ne veux plus entendre le son de sa voix, après ce qui s'est passé aujourd'hui.

L'équipe me juge apte à gagner à nouveau mes cartiers, ce que je fais sans prier, au côté de mon guide silencieux. Les mots qu'il a prononcés à mon intention, tout à l'heure, ont eu une répercussion inattendue. Pourquoi me suis-je senti autant touché par cette déclaration ? Je n'en interprète pas l'orientation.

De nouvelles interrogations se soulèvent. Tout ça, la sélection, les jeux, The Tower... C'est de la folie. Comment en est-on arrivée à un stade aussi critique ? Je me demande si je n'aurai pas dû raisonnablement purger ma peine à Elario... Les racines du chagrin et du déchirement intense qui ne cesse de s'accentuer en moi m'ont conforté dans l'appel au danger. Il aurait été sage de concevoir l'acceptation comme une amie. Désormais, elle est lointaine. Je ne pourrai me concilier à ses conditions. Par contre, je ne refuse en rien l'épaule que me propose la vengeance en guise de soutien.

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