Chapitre 6
– Tous les risques seront pris pour sauver Paul — représentait le Leitmotiv de Miss Chatterton depuis des années. Cette notion s’appliquait évidemment quand elle n’eut d’autres choix que de trahir ses partenaires de confiance, dont ceux de son propre gouvernement. Ce moment arriva lorsque la milliardaire fut expulsée de la chambre d’Élisabeth et qu’il devint évident qu’elle avouerait tout ce qu’elle savait à Steve Kalagan.
Dans cette optique, la marchante d’armes aurait pu envoyer un missile sur l’atoll pour interdire à Élisabeth de parler, mais la manœuvre aurait été trop suspecte et sans garantie de succès, car sa chambre de trouvait à cent mètres sous terre. De plus, d’après Nicolai, la généticienne n’avait pas eu connaissance de la liste des dates et des lieux de rencontre du carnet de voyage.
Quoi qu’il en soit, une guerre plus ou moins ouverte allait commencer entre la milliardaire et le gouvernement américain, même si celui-ci n’en avait pas encore conscience. Cette stratégie allait être déclinée en plusieurs phases.
D’abord, à peine la dame de pierre monta-t-elle dans son jet privé pour quitter l’île de Los Placos, qu’elle passa un coup de fil à Prizileski. Dix minutes plus tard, le bâtiment du GFA et son supercalculateur furent réduits en cendre, à la suite d’un — inexplicable — incendie. La milliardaire avait compris qu’Élisabeth n’avait aucune chance de résister à Kalagan et elle ne voulait pas que monsieur Gentil mette son nez dans les travaux de l’association trop tôt.
Suite à cet évènement, la dame de pierre hésita à engager quelqu’un afin de supprimer le prix Nobel — car elle savait qu’il n’y a que les morts qui ne parlent pas —, mais après réflexion s’y refusa également. La raison était liée au niveau de confiance qu’elle accordait à ce collaborateur. En effet, sa femme cancéreuse était la suivante, après Paul, sur la liste des êtres à soigner — dans la mesure du possible — ce qui leur donnait un intérêt convergeant et par conséquence, un niveau de confiance acceptable. De plus et selon son extrapolation, Miss Chatterton avait besoin de Nicolai pour une autre raison : Kalagan allait exiger le carnet de voyage — qu’Élisabeth ne manquerait pas de mentionner — et une réponse adéquate devait être apportée. Le GFA était encore en feu lorsque deux agents de la CIA arrêtèrent Nicolai et lui demandèrent le fameux tableur. Le prix Nobel s’exécuta à un détail près, le document avait été falsifié par sa patronne. En effet, si la milliardaire avait remis une série de dates et de lieux, elle en avait supprimé certains, dont le prochain. La manœuvre était habile, car sans supercalculateur, impossible de vérifier rapidement la découverte des trois chercheurs. Le plan de la dame de pierre était donc de gagner du temps par rapport au gouvernement afin de pouvoir rencontrer les extraterrestres la première et faire en sorte qu’ils guérissent son fils. Après cela, advienne que pourra pour les relations avec les visiteurs de l’espace.
Ensuite, la milliardaire était maintenant la seule — à part Prizileski et Graham — en possession de l’information la plus importante de la planète : où et quand était prévue la prochaine venue des extraterrestres ? Un comité d’accueil était donc à préparer... au Nigéria, plus précisément à vingt kilomètres au nord de Lagos et dans dix-huit jours. Selon ses sources, il s’agissait d’un pays d’Afrique où la loi du plus fort prédominait, ce qui représeait une facilité qui ne fut pas pour déplaire à la femme d’affaires. Celle-ci savait que ce serait sa meilleure chance de négocier une rémission pour son fils et décida de superviser personnellement l’opération.
Dans cette optique, deux éléments étaient à prendre en compte : sécuriser le lieu de la rencontre et transporter Paul jusqu’au Nigéria. Le troisième paramètre provenait de l’éventualité de faire participer ceux qui avaient été désignés comme les représentants des extraterrestres, William et Élisabeth, afin de faciliter les négociations. Idéalement, les deux employés devraient démissionner et dans la foulée proposer Helen Chatterton comme nouvelle ambassadrice. Si Graham était introuvable, la position de Ralsan était connue par la dame de pierre. Celle-ci engagea un groupe de mercenaires dans un temps record afin de la faire libérer, sinon la supprimer — les deux solutions étant pour la milliardaire aussi avantageuse l’une que l’autre, par rapport au fait qu’elle devait s’éloigner de Kalagan —. Cependant, dix heures avant le début de l’opération, un appel de Paul vers sa mère fit annuler cette mission.
- Maman, c’est moi.
- Oui, mon grand. Comment te sens-tu, depuis ce matin ?
- Ça va.
- Tu as fait ta valise ?
- J’sais pas.
- Ce n’est pas grave. Passe-moi Rosa.
- Elle n’est pas là, mais un monsieur veut te parler.
- Qui est-ce ?
Après quelques secondes d’hésitation, une voix familière lui répondit.
- Bonjour Helen, c’est Steve. Votre maison est magnifique. Au fait, j’ai vu de la lumière, alors je me suis permis d’entrer. Va donc jouer dans ta chambre Paul — déclara Kalagan en s’adressant à l’enfant et en lui donnant un bonbon —, j’ai des choses à dire à ta maman.
Une fois l’adolescent sorti, l’officier fixa l’horizon par une des superbes baies vitrées de l’immense villa, puis il s’exprima sur un ton monocorde.
- Il fut un temps où je me serais montré moins ingrat, Madame Chatterton.
Pas une parole ne fut prononcée par la milliardaire, de peur que son garçon ne soit tué sur-le-champ. Après quelques secondes, elle eut la force de bafouiller quelques mots.
- Vous me menacez à travers mon fils. Puis-je en connaître la raison ?
- Je sais que vous me cachez deux choses. La première est liée à de votre découverte sur l’ADN et j’affirme que vous avez détruit votre superordinateur pour que je ne puisse pas la vérifier. Ce n’est pas une attitude qui incite à la confiance, mais rassurez-vous, ce n’est pas trop grave, car ce n’est qu’une question de temps avant que ce problème ne soit réglé.
- Vous avez eu les résultats de la découverte. Je ne suis pas responsable de l’incendie des locaux de Los Angeles, car je n’étais même pas là, quand c’est arrivé.
- Helen, si vous continuez à me prendre pour un imbécile, votre fils va mourir plus ou moins lentement, douloureusement ou avec des souvenirs des îles.
- Il est rare qu’un soldat fasse preuve d’initiatives sans argument valable.
- Je ne peux vous donner tort et c’est ce qui m’amène à la seconde raison de ma venue chez vous. Tous les hommes de l’île de Los Placos ont été réduits en fine poudre, comme pour l’attaque de la Maison-Blanche. Cependant, aucun résidu ne fut trouvé dans la cellule d’Élisabeth Raslan. De là à penser qu’on l’a aidée à s’évader, il n’y a qu’un pas, vous en conviendrez. Alors, s’est-elle envolée toute seule ou avez-vous engagé des mercenaires avec des armes révolutionnaires afin de réaliser cet exploit ?
La dame de pierre se tut une seconde afin de mieux recentrer son esprit, puis elle s’exprima le plus calmement qu’elle put.
- Comme vous le savez, mon but est de sauver mon fils du cancer. Si j’avais les moyens d’entrer en contact avec une race extraterrestre, pensez-vous que je perdrais mon temps à faire évader une simple employée, quitte à subir votre courroux. Bien sûr que non, je leur demanderais d’abord de soigner mon enfant.
- Ce n’est pas faux, indiqua l’officier. Certains indices quant au fait que vous auriez engagé…
- Je comprends vos craintes, mais quelles sont vos preuves ? déclara Helen Chatterton en lui coupant la parole. Sauf erreur de ma part, il y a des caméras sur l’île. Je vous conseille de les regarder et de me dire si cela ressemble plus à une attaque extraterrestre ou de soldats. De plus, si j’avais accès à de telles armes, ne pensez-vous pas que je les utiliserai sur mes ennemis — sous-entendant Kalagan — ?
- Vous avez raison chère amie et c’est pour cela que je vais inviter votre fils à me suivre. J’en profiterais à la fois pour vérifier s’il a été guéri, mais également pour me porter chance, car je suis un homme superstitieux.
- Vous n’avez pas le droit.
- En vérité, je les ai tous, car nous ne sommes pas dans une de vos réunions pour managers sous cocaïne. Au fait, vous avez demandé tout à l’heure à Paul s’il avait fait sa valise, où devait-il se rendre ?
- En Floride, au parc Disney, mentit-elle.
- Et bien, la destination a changé, mais le plaisir devrait être identique. À propos, la sucette que je lui ai donnée était empoisonnée, mais rassurez-vous, je lui offrirai un peu d’antidote tous les jours, juste assez pour qu’il ne meure pas. J’espère que cette précaution sera suffisante afin qu’il ne joue pas les filles de l’air comme le docteur Raslan.
- Je comprends, mais...
- Non, vous ne saisissez pas l’erreur que vous avez commise. Oh, je vois Paul finir sa sucrerie et monter dans l’hélicoptère d’évacuation. Je lui fais signe de la main pour lui dire au revoir, il est si gentil.
Juste après, des coups de feu furent tirés. Les employés de maison et le personnel médical présents dans le bâtiment furent tués. Chatterton entendit tout, mais ne put rien faire pour leur venir en aide — à condition que cela ait été son attention —.
- Avez-vous des questions, Helen ?
- Je veux votre parole que mon fils sera cliniquement suivi.
- Soit, mais il ne me semble pas si malade que cela.
- Je vous assure qu’il l’est. Je vous transmettrais son dossier médical dans l’heure.
- C’est sûr qu’il vaudrait mieux pour lui qu’il n’ait pas été soigné par des extraterrestres, car ce serait la preuve de votre trahison.
- Je ne suis pas en position de négocier, cependant je souhaiterai lui parler tous les jours afin de m’assurer qu’il est vivant.
- Cela me semble raisonnable, dit l’officier après un moment de réflexion. Mais que se passerait-il si ce n’était plus le cas ?
- Alors, je n’aurais qu’à disparaitre en emmenant tous ceux qui voudraient bien me suivre.
- Dès que cette affaire sera réglée, je vous rendrais votre enfant, dit Kalagan, conscient que son interlocutrice avait assez de poids politique auprès de certains pays afin de déclencher une troisième guerre mondiale. Quand nous aurons noué un rapport de confiance avec les extraterrestres, nous leur demanderons s’ils peuvent guérir votre fils. Pendant ce temps, je vous conseillerais de ne plus faire de bêtises comme nous cacher des informations ou engager des mercenaires. Est-ce clair ?
- Limpide.
Une fois qu’ils eurent raccroché leur téléphone, les deux experts en manipulation ne perdirent pas une seconde. Kalagan se dirigea vers le responsable du commando qui avait investi la villa et demanda si une certaine Rosa était vivante, mais on l’avertit que ce n’était plus le cas. L’officier aurait voulu savoir si Paul devait vraiment se rendre en Californie, mais manifestement il était trop tard pour questionner la gouvernante. Monsieur Gentil ne perdit pas plus de temps et s’envola pour le porte-hélicoptère où se trouvait déjà le fils de la femme de pierre. De son côté, cette dernière commença par contacter le chef des mercenaires et à annuler la mission — obsolète à présent — en utilisant son téléphone habituel. Ensuite, elle se saisit d’un appareil sécurisé afin de préparer personnellement son voyage au Nigéria, car de nombreux détails étaient à régler.
Si Kalagan et Chatterton n’avaient pas perdu leur temps en querelles intestines, ils auraient pu se poser certaines questions liées à la rencontre avec d’éventuels visiteurs de l’espace. Parmi celles-ci, la plus judicieuse aurait pu être de savoir pourquoi les extraterrestres ont-ils ajouté un gène à notre ADN. Était-ce afin de nous identifier, nous asservir ou nous prémunir d’une menace ? Cette réponse, un seul humain la possédait, il s’appelait William Graham et il allait l’offrir à Elisabeth Raslan.
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