Un samedi de début mai

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J’avais passé l’après-midi à lire à l’ombre des chênes verts, à vingt minutes de marche de Mantayer, sur un balcon rocheux qui surplombe la Vaire de quelques dizaines de mètres, un peu en amont du dernier virage à angle droit qu’elle fait avant de traverser le village.

La Vaire est notre fleuve local, que des touristes mal informés qualifient de vulgaire « rivière ». Prononcez « Va-ï-re » pour vous éviter les mesquineries des autochtones.

L’endroit est délicieux. La vue y est superbe et l’ombre à point. Je ne résiste pas à l’envoûtement du lieu qui bénéficie en outre d’un statut privilégié : personne n’y monte jamais ! Seul défaut : le retour est dévastateur pour mes pantalons, car la descente est ardue et les rochers sont coupants. Je n'imagine même pas y monter en jupe ou en short, alors je me change une fois arrivée, puis avant de redescendre.

Ce samedi, bercée par les cigales, tantôt assise, tantôt allongée sur le calcaire érodé par le temps et recouvert d’humus bien sec, j’avais petit à petit traversé le balcon pour rester à l’ombre, au fil des heures, débitant les pages comme on découpe un jambon, en tranches très fines.

C’était un roman passionnant, un hybride de fiction mathématico-futuriste et de policier(1). Malgré une histoire glauque à faire frissonner, la densité du récit et la crise imminente qui approchait avec une lenteur insupportable, ou peut être à cause de tout cela, il devenait à chaque instant plus irrésistible. Je dévorais, le cœur serré, tournant les pages d’une main moite, espérant arriver avant la tombée du jour à un dénouement ou au moins à un intermède.

Las ! Une feuille de chêne vert tombant sur la page me fit sursauter et m'extirpa du récit. Je pris conscience des ombres envahissantes et du soleil qui chevauchait déjà l’horizon. Je laissai la feuille sèche en guise de marque-page et fermai le tome doucement, évitant le moindre bruit, scrutant l’air autour de moi. J’eus presque l’impression d’avoir sombré dans cette histoire lugubre et mon estomac se noua.

Il me fallut un temps pour reprendre mes esprits et mon courage. Je me levai enfin, ombre parmi les ombres plus noires des bosquets trouant la nuit grandissante qui rampait tout autour de moi. Un ver luisant me fit frissonner, puis subitement et inexplicablement, une onde de paix m’envahit et c’est le cœur léger que je descendis lentement le chemin caillouteux et roulant, l’esprit ailleurs.


(1) « Au-delà du rien », Gillies Bartszochki.

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