Qui perd gagne

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Je me contrefous de débarquer dans son bureau sans prévenir. Ecarte-toi de mon chemin ou tu t’en prends une espèce de conne ! Je suis même sûre que tu es au courant de tout depuis longtemps. Il t’utilise pour se couvrir. Tu lui inventes des excuses et tu me les sers de ta voix de blonde. Si tu n’étais pas si moche je pourrais même croire que c’est toi.

Bon t’es où ? Tu te caches ? Tu es devenu lâche à ce point ? Je n’arrive pas à croire qu'après toutes ces années, tous ces combats, ces nuits blanches de pleurs et d’angoisse, tu puisses nous faire ça. Que tu ne m’aimes plus, pas de problème, ça je peux l’accepter. Je le sais. Que tu m’humilies en inventant des excuses à quatre sous, me prenant pour la dernière des connes, ok. C’est risible mais ça va, ça ne concerne que nous.  Par contre, que tu rates l’anniversaire de ta fille pour aller baiser avec ta pute ? Tu as oublié les heures à lui tenir la main, dans sa chambre d’hôpital, la veillant pendant qu’elle se battait pour rester en vie ? Tu as oublié les promesses que tu lui as faites, lui assurant que jamais tu ne l’abandonnerais ; que si elle se battait il ne pourrait rien lui arriver ? Que nous serions la plus heureuse des familles ?

Mais merde Sam, tu crois qu’elle ne voit rien ? Tu penses réellement qu’elle t’imagine au travail quand tu ne rentres pas pendant deux jours ? Mes pleurs et insomnies, elle ne les subit pas peut-être ?

T'es un lâche Sam, prend ton courage à deux mains et parle nous, quitte nous. On trouvera un moyen pour qu’Ella souffre le moins possible mais pour ça il faut que tu arrêtes de te cacher et qu’on crève le mur de silence que tu as fabriqué pour t’entourer. Je suis fatiguée Sam, je ne partirai pas d’ici sans avoir fait le tour de tout ça, quitte à continuer mon petit scandale le temps qu’il faudra. Plus tu tarderas à te montrer, plus de gens dans ta boite apprendront tout sur notre vie de merde.

 


 

Merde !

Chérie, qu’est-ce que tu fais ? Ne t’en prends pas à Suzie, elle n’y est pour rien la pauvre. Elle essaie juste de te protéger. Si seulement tu savais dans quelle situation inconfortable elle est! Obligée de mentir pour moi, de t’inventer des excuses vides de sens alors qu’elle sait parfaitement que tu ne vas pas en croire un mot. C’est un ange ma Suzie, heureusement qu’elle veille sur moi, sinon, je ne sais vraiment pas où… Enfin ! Ne t’en prends pas à elle s’il te plaît.

Je sais que tu veux des réponses, que tu exiges des réponses. Je le sais et je le comprends. Tu en as le droit, après tout ce qu’on a vécu, tu ne mérites pas ça. Tu n’as pas traversé presque trois ans de calvaire pour que je te lâche maintenant qu’elle va bien.

De nos jours, vivre sans un parent est une situation normale. Elle va en souffrir au départ mais elle est forte, incroyablement même, elle l’a prouvé pendant qu’elle luttait contre la maladie. Tu devras trouver les bons mots pour lui expliquer, la soutenir quand ses genoux trembleront un peu. Et puis ça ira. Tu seras là.

Je t’aime tu sais ? Je ne t’en ai plus trop parlé ces derniers temps mais je t’aime toujours autant. Peut-être même plus que jamais. Mais comment tu veux que je te dise la vérité ?

Un mois que je tourne en rond et que je me torture l’esprit pour savoir comment te parler, comment parler à Ella, comment avouer ? Impossible de reculer maintenant, tu es en train d’ameuter l’ensemble du personnel. Il faudra aussi que je leur parle, à eux. Ou pas. Je m’en fous d’eux. Ici il n’y a que Suzie et mon boss au courant, pas besoin d’en faire un avis public non plus.

Merde chérie, je l’ai bien mérité mais quand même, si tu pouvais arrêter de hurler ça m’arrangerait. J’arrive, on va dans mon bureau, on va avoir besoin de café.

 


 

Non, non, non Nicole, ne fais pas ça, je t’en supplie. Ce n’est pas ce que tu crois, il te cache des choses et il te ment mais ce n’est pas pour ce que tu crois. Je sais bien que tu n’y crois pas quand je t’appelle pour te dire qu’il ne rentrera pas. Ne fais pas de moi une ennemie, je veux simplement aider. Vous aider tous les trois. S’il y a bien quelqu’un de bien placé pour savoir par où vous êtes passés ces dernières années c’est bien moi. Je suis à vos côtés depuis le début, discrète mais toujours présente.

C’est bien que tu sois venue, il fallait que ça cesse, que la vérité sorte. C’est la seule solution pour que les choses s’arrangent un peu. Il ne peut pas partir comme ça, sans explications et sans vous avoir dit au revoir correctement.

Il va partir Nicole. Il va mourir et personne n’y peut rien. Il n’avait juste pas les mots pour vous l’annoncer. Tu aurais dû le voir à son retour de l’hôpital. Je n’avais jamais rien vu d’aussi blanc de ma vie. Il est venu lâcher chez nous tout ce qu’il serait incapable de dire chez vous. Pour le coup, on a tout pris en pleine poire : cancer, foudroyant, quelques mois, maximum, traitement possible pour soulager mais inefficace, mort. MORT.

Je ne pensais pas qu’un homme pouvait pleurer comme ça. Il ne pleurait pas sur son sort, il ne pensait qu’à vous deux. Comment vous annoncer qu’il allait mourir. Comment te demander, à toi, après les trois années d’hôpital, de souffrances et de désespoir, de repartir pour un tour ? Lui qui n’avait plus aucune chance. Comment expliquer à Ella que son papa n’allait pas réussir à vaincre la maladie comme elle l'avait fait?

Pour Ella vous étiez ensemble pour la soutenir mais là, tu vas devoir être forte, vraiment forte. Je sais que tu l’es. Et puis je serai là moi, jamais trop loin, discrète mais présente.

 


 





Putain de bordel de merde !

Comment un truc pareil a pu arriver. En 2015. Dans un pays occidental. On se gausse d’être à la pointe de la technologie, de la médecine, de la communication et on n’est pas foutu de bien nommer une putain de plaquette ?

J’ai un patient qui, depuis près d’un mois, est persuadé qu’il va crever dans quelques semaines. Je ne peux même pas imaginer comment sa vie a pu tourner depuis. Il a fallu qu’il aille dans un autre hosto pour qu’ils se rendent compte de l’erreur. Et encore heureux pour lui !

Et la réputation, elle va être belle. Ils ne vont pas se gêner pour nous tailler un costard les autres. On sera la risée du monde médical. Et le pire, c’est que c’est mérité, amplement !

Quoi qu’il en soit il faut l’appeler ce mec. Je dois lui annoncer la meilleure nouvelle possible et pourtant j’ai l’impression d’aller à l’abattoir.

La petite a raison, il faut que j’arrête. Je pense que cette histoire est un signe. C’est fini. Près de quarante ans de service, passé par tous les échelons, amené l’hôpital parmi ceux qui comptent, qui ont un nom. Je ne suis plus qu’un gestionnaire. Directeur ? Et alors, je ne suis plus médecin. Et c’est ça que j’aime moi, aider les gens, les guérir, pas signer des papiers à longueur de journée et faire des courbettes à des politiciens et des requins de la finance.

Allez Paul, prends ton courage à deux mains et décroche ton téléphone. Tu vas aider une dernière personne avant de fermer le rideau. 

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