Prologue
Mon bus arrive.
Il est à bloc, je sens que le trajet va être long.
Je monte, je suis chargé comme une mule. Deux énormes valises.
Ben ouais, il prend de la place le lapin.
Je trace vers le fond et cherche une place libre.
Le bus redémarre.
Je demande à une petite vieille assise côté fenêtre.
- Bonjour, il y a quelqu’un ?
- Oui, me fait la vieille.
Je regarde les passagers, ils sont tous assis, elle me prendrait pas pour un con celle-là ?
J’installe mes valises sur le porte-bagage, ça pèse une tonne, je galère un peu.
- Et ben, y’a quoi dans vos sacs ? elle me demande d’un ton sec.
Qu’est-ce que ça peut lui foutre.
- Si je vous le dis, je devrais vous tuer, je lui murmure en la fixant.
Elle devient toute blanche.
- Non, je déconne, madame c’est pour rire, je la rassure.
J’enlève ma veste, m’assois et entame la discussion, histoire de la rassurer qu’elle n’est pas assise à côté d’un tueur en série mais juste d’un type qui s’habille en lapin et qui a passé ses soirées à massacrer des moustachus multiplicateurs, une fillette sanglier-garou et divers pervers mutants …
- Ça va ? je lui demande.
- Non pas vraiment, j’ai perdu mon mari il y a deux semaines, je vais passer un peu de temps chez ma fille à la campagne.
- Ah, désolé …
- Elle vient de se séparer la pauvre, son compagnon est parti avec la meilleure amie de leur fille, vous vous rendez compte ?
- Ben c’est vrai que…
- Non mais vraiment ça ne se fait pas, surtout en ce moment, pendant les périodes d’examens, elle n’a pas besoin de ça, Maggy.
- Maggy ?
- Ben oui, Maggy leur dernière, manquerait plus qu’elle loupe sa scolarité, la pauvre, déjà qu’elle n’est pas bien belle, c’est pas comme ça qu’elle va trouver un mari celle-là.
J’arrive pas à en placer une, merde elle enchaine.
- Si elle bouffait un peu moins aussi, mieux vaut l’inviter au cinéma qu’au restaurant, et ses cheveux ?
J’en ai marre.
- Quoi ses cheveux ? je lui dis sans conviction.
- Incapable de se coiffer correctement, en même temps avec sa tignasse, qu’est-ce que vous voulez faire, un bon coup de ciseaux, moi je vous dis et hop ! Un bonnet, ça ne pourra pas être pire. Et puis elle est ingrate, je ne l’aime pas cette petite mais je leur avais dit de ne pas en faire une deuxième, et puis vous ne m’enlèverez pas de la tête que si son père est parti c’est aussi un peu à cause d’elle. Il ne pouvait pas assumer. Cette fille est un échec, de la conception à son éducation ils ont tout... lou... pé ! Ils auraient dû prendre un chat, j’adore les chats, vous aimez les chats ?
J’ai envie de mourir. Pourquoi je lui ai demandé si ça allait ?
J’adore les chats mais je ne rentrerai pas dans son jeu.
- Vous m’excusez, je vais dormir un peu, j’ai eu une dure journée.
Elle me fixe, plisse les yeux et se retourne contempler le paysage par la fenêtre.
Elle a compris.
Ça va me faire du bien de revoir ma Lucy.
Deux mois déjà qu’elle s’est barrée, elle a fait le bon choix, les flics sont au taquet, ils recherchent toujours « La faucheuse », c’est comme ça qu’ils ont surnommé la fille qui a tranché la gorge à une famille entière.
La pauvre elle est dans la merde jusqu’au cou, ils ont commencé à faire circuler un portrait-robot, c’est assez ressemblant.
Je sors la carte postale.
Pas de texte, rien, une carte postale vierge.
C’est elle, je le sais.
Sur le recto, une photo d’un bled paumé avec écrit « Á Meat River, on respire le bonheur »
Elle est chez sa sœur, elle m’en avait parlé un soir. Un petit séjour au vert, ça ne peut que me faire du bien. Et en plus, si sa sœur est aussi bonne qu’elle, je devrais passer un agréable séjour.
Ça fait trois heures qu’on roule.
Le bus ralentit. Le chauffeur annonce au micro.
« Meat River, arrivée dans deux minutes, préparez vos affaires et tenez-vous prêt. Merci »
Je me lève pour prendre mes valises. Tout le bus me regarde avec effroi.
La vieille est redevenue toute pâlotte, elle m’attrape le bras et me chuchote.
- Vous allez à Meat River ?
- Euh, oui pourquoi ?
Elle me tire le bras vers elle, m’attrape par le cou et me dit à l’oreille.
- Vous êtes inconscient, n’y allez pas, cette ville est maudite, personne ne s’arrête à Meat River.
N’importe quoi.
Je me dégage la tête et la rassure une fois de plus.
- Ne vous inquiétez pas madame, je suis un grand garçon, j’ai l’habitude, je vis dans un appart qui a été construit sur un cimetière indien.
Elle ouvre grand la bouche mais rien ne sort. Je lui referme et lui dis.
- Je déconne. Ouh ouh, c’était pour rire.
Elle bronche pas.
Bon, on s’en branle. Je sors du bus et dis au revoir au chauffeur.
Il me fixe.
Sans un mot, il referme les portes. Le bus repart à toute allure.
Tous me regardent par la fenêtre, j’aperçois ma petite vieille, je lui fais un coucou de la main comme le mec de Car Glass dans la pub. Elle me répond par un signe de croix et s’en va dans un nuage de poussières.
Ils vont me faire flipper ces cons.
Je me retourne et contemple le paysage.
C’est paumé. Je chope mes valises et trace.
Un grand panneau défraichi m’annonce la bienvenue, suivi d’un plus petit avec écrit dessus
« Ce week-end le temps s’arrête, c’est la fête de la Tritette ! »
Elle ne s’est pas foutue de ma gueule la Lucy, je me marre et rentre dans Meat River.
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