Chantage sur la Presse écrite ?

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Au bar PMU de Villers, on retrouvait les mêmes habitués, le plus souvent des hommes mais aussi quelques femmes.

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Chacun y allait de sa consommation de café, chocolat chaud ou boisson gazeuse tout en s'activant à du grattage. Et pour cela, la Française de Jeux trouvait des noms évocateurs : Scorpion, Morpion ou Banco. Certains comparaient entre eux leurs pronostics avec force de conviction, voire de persuasion, pour le tiercé du jour sur Deauville en trot attelé. Les biens nommés piliers de bar, s'affairaient à refaire le monde, en vidant des demis de pression de bière les uns à la suite des autres, dès dix heures du matin.

Et de leur point de vue, le monde ne tournait pas rond ! Et pour cause !

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Antonin prit ses quartiers dans un coin de la salle, disposée en estrade, ce qui lui permettait d'embrasser du regard, cette sorte de pièce de théâtre qui se jouait tous les jours, avec la même troupe de comédiens. Mais dans cette sorte de vaudeville, il n'était pas question de comique de situation, de portes qui claquent ou de maris trompés. Non, chacun s’improvisait commentateur de l'actualité du moment en prenant les autres à témoin avec force d'interprétation.

En ce samedi matin, la presse locale donnait matière à nourrir les conversations. Et celles-ci rebondissaient sans cesse, en s'amplifiant par la présence active d'un petit marché, installé sur la place centrale de la ville, surplombée par la statue impassible d'Alexandre Dumas. Ce dernier très volubile et prolixe en son temps, aurait volontiers exposé son opinion à qui voulait l'entendre. En dehors de ses pièces de théâtres et de ses ouvrages fort réputés, il entreprit de nombreux voyages en Europe et tint des conférences en Normandie entre 1865 et 1866, lesquelles rencontrèrent un franc succès.

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Les commentaires, disais-je, se répandaient comme trainée de poudre dans tous les commerces, et plus encore à la boulangerie, la pharmacie et la librairie. Certains se précipitaient au bar-tabac pour prendre un chocolat chaud, le visage teintée de violet en raison du froid matinal. Le meurtre du patron de presse en pleine salle de rédaction lors de la nuit précédente enflait à vue d'œil les échanges et les ragots, chacun se prétendant mieux informé qu'un autre, connaissant personnellement des élus ou des journalistes proches du défunt.

Dans la salle du bar, on recommandait à la serveuse des boissons et sans doute que les dernières nouvelles n'étaient pas étrangères à une telle surenchère consumériste. Antonin tenait dans ses mains la une de l'Union Charitable, un quotidien très connu dans le département. On revenait sur l'assassinat du patron de presse du Grand Journal de l'Aisne. Tout le personnel s'émouvait et certains leaders syndicalistes s'inquiétaient du devenir de l'entreprise après le décès du principal actionnaire. Les obsèques devaient avoir lieu la semaine suivante, mais dans la plus stricte intimité, selon un faire-part des enfants.

Sur le bandeau déroulant d’un grand écran plasma du bistrot, une conférence de presse devait se tenir vers 19 heures et diffusée en direct lors du journal de France 3 Picardie, sous la présidence du substitut du procureur. Antonin pensait, à juste titre, que l'on voulait maîtriser la communication en raison d'un deuxième évènement dramatique qui semblait en lien avec le premier.

En effet, un autre article, avec force de photos en partie centrale, relatait la disparition, lors de la même nuit, de la dernière compagne du patron de presse, assassinée dans sa loge selon une source autorisée auprès de la PJ. Le journal titrait en chapeau :

Vendredi noir à la salle Desmoustiers

La célèbre pianiste Jasmin Bronze assassinée !

Pour être honnête, le jeune homme quelque peu décontenancé, ne savait que penser, mais un doute s'installait. Selon lui, tout cela sentait très mauvais et sans doute étions-nous seulement au début d’une série de meurtres et de règlements de compte. Aussi, les neurones d'Antonin tournaient à plein régime, en quête de trier mille recoupements possibles.

Derrière le fameux Liberté de la Presse, il fallait tout de même rémunérer des employés. Certains ne manqueraient pas de dire, un rien mauvaise langue, que cela favoriserait la concurrence, à la fois féroce et solidaire dans ce milieu. De là à ce que le Grand journal de l'Aisne se cherche un repreneur !

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D’un autre côté, on s'était chargé de liquider la compagne.

Alors tout cela dégageait un parfum de magouille politique. Des officines agissaient dans l'ombre des cabinets ou des partis. À moins que ce ne soit la perspective d'un scandale industriel ou financier, soulevé par les enquêteurs du journal et dans le but de les faire taire. Donc, certains devaient savoir des choses. Mais cela pourrait être plus banal, des dettes de jeu, l'influence des réseaux maffieux.

Tout cela tournait à plein régime dans la tête d'Antonin et dans le tumulte qui grandissait en ce samedi matin, le jeune homme crut percevoir le long du bar, de véritables vociférations, plutôt imbibées. Les auteurs réclamaient des têtes à couper ou à balancer au bout d'une pique, au nom du sacro-saint " Tous pourris ".

Pour ceux-là malheureusement, le monde serait sans cesse sous pression.

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