Quelle feignasse, celle-là ! Depuis le temps que je la connais, elle ne cesse de dormir lorsque l'Astre de Jour s'éteint, laissant sa place au noir le plus complet. J'ai pris l'habitude de faire comme elle, à force : je m'allonge contre son dos, ou le long de ses jambes interminables (et dépourvues de poils !), et je l'accompagne dans son sommeil, me levant parfois pour laper quelques gorgées d'eau ou grignotter une part de ma pitence. Pourtant ce soir j'ai l'estomac vide et elle n'a pas rempli ma gamelle. Elle exagère, quand même ! Sait-elle au moins ce que j'endure, toute la journée, dans ce petit appartement à peine plus grand qu'un trou de souris ? Enfin, je dis ça mais je n'ai jamais vu de souris, alors visiter leur trou, vous pensez... Mais c'est une expression qui se dit, alors je me permet de l'employer comme il me miaule.

Autant vous dire qu'être oublié de la sorte me révolte... Si encore, dans la journée, elle me portait un peu plus d'attention je prendrais peut-être mon mal en patience, mais la situation est intolérable ! Moi qui, toutes les deux minutes, suis obligé de faire des pattes et des oreilles afin qu'elle lève le nez de sa grosse machine noire et repoussante sur laquelle elle tape du bout des doigts : je miaule, je cours, je chaute... Mais ce n'est jamais suffisant. Les mêmes sons sortent de sa bouche : Non ! Joker ! Ca, c'est quand je fais des bêtises en faisant mes griffes sur les grandes affiches collées au mur. Bah quoi, vous n'avez jamais essayé, vous, peut-être ?

Je l'admets, il m'arrive d'avoir le droit à quelques séances de papouillages dans les règles. Elle me prend dans ses bras et me serre tout contre son cœur en grattant mes bajoues. Ce qui me dérange, c'est qu'elle ne le fait pas assez souvent. Qui plus est, comme elle ne comprend rien, je dois me frotter contre son pied ou m'agripper à son pantalon pour qu'elle se décide enfin à m'attraper pour me câliner.
Hé ! Vous pensiez que la vie de chat était facile ? C'est tout un art de savoir amadouer. Même quand je dors, je dois prendre la pose, il ne s'agirait pas de faillir à ma réputation... La meilleure technique : se rouler en boule avec une patte devant les yeux. Ca marche à tous les coups. Si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à aller voir sur la page Facebook de ma colocataire : je suis une star. Une trentaine de photos recouvertes de likes et de commentaires.

Pour en revenir à mes croquettes, qu'est-ce que je suis censé faire, moi ? Miauler ? Ca ne servirait à rien, de toute façon. Quand elle dort : elle dort. Je suis tombé sur la pire... Je n'ai donc plus qu'à pousser un petit roucoulement agacé et à m'asseoir sur la table basse pour regarder le ciel étoilé par le velux entrouvert. Je me demande ce qu'il y a par-delà le toit...

Le bruissement des draps de ma colocataire qui se retourne dans son immense panier attire mon attention et je lui jette un regard intrigué. J'hésite un instant avant de m'allonger contre elle. Lorsqu'elle ouvrira les yeux, je sais ce qu'il me reste à faire : ronronner, me frotter contre sa main, et miauler un bon coup pour qu'elle se lève et me donne à manger.

Malinx, le lynx !