Deuxième partie
– Son état s’est encore dégradé pendant la nuit. Il s’est bien remis de son opération du canal artériel, mais il a aujourd’hui beaucoup de mal à respirer, et sa fatigue est extrême.
– Je croyais qu’il allait mieux hier après-midi… Vous nous aviez dit qu’il allait mieux…
– Malheureusement, l’état de santé des bébés prématurés peut changer radicalement en moins de quelques heures, surtout lorsqu’il s’agit de très grands prématurés comme Nathan. La nuit est toujours un passage difficile pour eux. Je suis désolé.
Le son de leurs voix me réveille. La lumière est forte derrière mes paupières fermées, et je comprends qu’il est déjà tard. J’ai encore beaucoup dormi. Beaucoup trop dormi.
Je connais cette scène par cœur. Ils sont postés devant ma boîte. Le docteur explique à mes parents des choses que je ne comprends pas. Je le pourrais, si j’en avais le courage,mais je les vois si tristes que je ne veux pas en savoir plus.
Je me sens faible, aujourd’hui, et j’ai mal. Plus que d’habitude. Je sens que j’ai besoin, plus que jamais, de mes tentacules.
– Dites-moi ce que je peux faire, alors… Je ne peux pas rester là à attendre…
J’ai toujours connu cette voix, bien avant la boîte. Mais elle était lointaine, elle chantait, elle rassurait. Maintenant elle ne fait plus que murmurer, elle tremble et elle angoisse. Je sais que ma mère est assise dans un fauteuil roulant, car elle est trop faible pour se lever. Je sais que son ventre lui fait encore mal, que ses yeux sont ternes et rougis d’avoir trop pleuré. Je les connais tellement bien, quand ils se posent sur moi. Parfois je m’imagine lui tendre la main. Mais il y a tellement de choses que je peux seulement imaginer.
– Votre présence à ses côtés fait déjà beaucoup, je vous assure.
Le docteur cherche ses mots. Ma mère est un petit escargot des mers, enfoui dans le sable ; sa coquille est tellement fissurée qu’elle pourrait se briser.
Je n’ai pas la force d’ouvrir les yeux. J’entends ma mère qui respire, et je sais qu’elle me regarde. J’attends que sa main s’avance vers moi et traverse la boîte : quand sa peau est contre la mienne, j’ai souvent moins mal après, je respire mieux, je dors mieux.
Mais aujourd’hui, sa main ne vient pas.
– Alice, je t’avais dit de m’attendre…
Mon père est à côté d’elle maintenant. Il la prend dans ses bras, la serre si fort qu’ils semblent disparaître l’un dans l’autre, si fort qu’ils brisent les derniers morceaux de sa coquille.
Je ne veux pas en être responsable. Je ne veux pas qu’ils soient malheureux à cause de moi. Ils devraient me laisser. Partir. Se reposer. Aller nager dans l’océan.
Peut-être devrais-je partir moi aussi.
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