Sixième et dernière partie
Vint le moment où j’ai quitté l’hôpital. J’ai laissé ma boîte et mes tentacules derrière moi. J’ai aussi laissé les autres pieuvres dans leurs boîtes, et je me suis senti coupable.
Mais je savais qu’eux aussi, un jour, seraient libres et pousseraient leur premier cri.
Et j’ai grandi. J’ai appris à marcher, à parler, à compter. À courir et à rire jusqu’à perdre le souffle. J’ai aussi appris à pleurer, et à cacher mes larmes dans ma chambre. J’ai appris à faire des câlins, à demander de l’aide, et à dire je t’aime. J’ai appris à avoir peur, et à me réfugier sous mes couvertures car elles sont de formidables forteresses. J’ai appris à grandir et à ne pas en avoir peur. J’ai appris à aimer si fort qu’on se sent capable de tout. J’ai appris que les gens dansent quand ils sont tristes et qu’ils chantent quand écrire n’est plus suffisant. J’ai appris que les livres peuvent nous emmener au-delà du monde, que les mots peuvent être puissants. J’ai appris que parfois nous faisons au mieux, et que le pardon est possible. J’ai appris que l’homme peut être stupide et tortionnaire, que nous ne sommes pas toujours innocents, et que l’univers est infini. J’ai appris que notre soif de vivre l’était aussi.
J’ai eu dix ans un jour, et j’ai découvert l’océan.
Le sable chaud sous mes pieds, et le vent dans mes cheveux.
L’eau salée sur mes lèvres, et l’horizon que je ne pourrai jamais toucher.
J’ai plongé dans l’eau froide.
J’ai ouvert les yeux ; ils m’ont piqué, et je voyais flou.
J’ai écouté la mer ; elle sifflait, vibrait et rugissait.
J’ai déplié mes bras et tendu mes jambes.
J’ai regardé mon ombre se dessiner sur le fond marin.
J’ai laissé le soleil la rendre gigantesque.
La transformer en pieuvre.
J’ai vu mes tentacules me revenir.
Puis j’ai relevé la tête, et j’ai ri aux éclats.
Fin.
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