Mon Dieu que cette journée allait être longue. Rien à écrire de nouveau dans mon journal de bord. Pas moyen de se lever pour donner un coup de main, ni même la possibilité de préparer le repas de midi. Heureusement, le temps était au beau fixe et me permettait de profiter des nouveaux paysages qui allaient faire mon quotidien maintenant.

Je me rendis compte que je n'avais jamais vraiment observé la nature, comme j'étais contraint de le faire en cet instant. Il y avait autour de nous des végétaux très variés, qui ondulaient sous l'effet d'une brise légère. Parfois, leurs vagues étaient perturbées par un animal qui sautillait entre les graminées et les fleurs sauvages. Étonnamment, ils n'étaient pas apeurés par ma présence immobile et un écureuil vint même à quelques dizaines de centimètres de moi, avant de gravir le tronc sur lequel j'étais adossée. Tous mes sens étaient en éveil maintenant. Je prenais conscience, des sons imperceptibles, des odeurs subtiles, de la chaleur des rayons qui traversaient le feuillage et de la variété infinie de couleurs qui s'offrait à moi.

N'ayant aucune indication sur l'heure qu'il était, je dus simplement attendre sagement le retour de Tommy. Mais, pour atténuer mon impatience, je m'inventais un petit jeu. Il y avait non loin de moi un arbre mort, dont l'ombre se déplaçait au rythme du soleil. Des cailloux étant répartis autour de lui, j'essayais de deviner celui qui serait atteint par l'obscurité au retour de mon bien-aimé. Mon choix étant fait, je pouvais quelque peu faire abstraction de mon attente, même si régulièrement, je jetais un coup d'œil à ma pierre.

- Naïa, réveille-toi. Je t'ai apporté à manger, dit doucement Tommy.

Ouvrant mes yeux endormis, je vis Tommy accroupi à mes côtés. L'ombre n'arrivait pas encore à mon repère, mais mon jeu m'avait permis d'alléger mes pensées et ainsi de m'assoupir quelques minutes.

- Oh, mon ange, je suis tellement contente de te voir. Je me suis beaucoup ennuyée ce matin.

- Oui, je m'en doutais et je crois que j'ai trouvé une solution.

- Et j'ai droit de la connaître.

- Bien sûr, j'ai installé un petit endroit à proximité de nos élevages. Tu pourras ainsi être près de nous, et même participer. J'ai pensé que tu pourrais nous aider à préparer des liens à base de ronce. Je t'expliquerais comment faire. Et pour t'y emmener, je te porterai dans mes bras.

- Tu es vraiment adorable. C'est exactement ce qu'il me faut, car j'ai vraiment besoin de me sentir utile. Mais je pense que je peux marcher, tu sais.

- Je ne veux pas prendre de risque, et il n'y a que cinq cents mètres à parcourir, ça ne me fait pas peur.

- Bien Monsieur, je vous fais confiance.

- Donc, là-bas, il y a du fromage, de la viande séchée et des fruits, qui t'attendent. Ça te va, dis-moi ? me demanda-t-il.

- Oui parfait, de quoi reprendre des forces pour cette après-midi. Et où est Charlotte ?

- Je lui ai demandé de préparer quelques fagots de ronce, pendant que j'allais te chercher.

- Et au fait ça va mieux ?

- Il semble. Mais je crois que tu avais raison. J'ai vraiment l'impression étrange qu'elle cherche à me séduire. Et en plus, elle a fait des allusions à ton impossibilité de faire des coquineries dans ton état. Je crois qu'elle voulait me proposer de te remplacer, mais j'ai coupé court à la discussion, pour aller te chercher et lui demander de préparer les ronces.

- Je vais donc devoir te protéger de ses assauts, dis-je en rigolant. Sauf si tu veux profiter de la situation.

- Je t'ai déjà dit que je ne la désire pas du tout. Je ne veux vraiment rien d'elle.

- Pourtant, c'est une belle femme.

- Oui, mais... non merci. Elle me met mal à l'aise parfois, dit-il agacé.

- Promis je n'en reparlerai plus.

Tommy replia délicatement mon duvet, me le tendit et me souleva de terre avec une étonnante facilité. Mes bras autour de son cou, pour soulager le plus possible ses bras, j'étais bien. Après un peu plus de cinq cents mètres, nous étions arrivés au lieu de nos futurs élevages.

- Regarde, sous cet arbre, j'ai fait un petit tas de foin, me fit remarquer Tommy. En y mettant ton duvet, tu auras le moelleux sans les démangeaisons.

Charlotte arriva avec un fagot de ronce qu'elle jeta à côté de moi.

- Bonjour Charlotte, dis-je en souriant.

- Bonjour, répondit-elle avec une certaine froideur.

- Il y a quelque chose qui ne va pas ?

- Non, non, tout va bien.

- J'espère que tu ne m'en veux pas de ne pas pouvoir vous aider plus.

- Disons que pour l'instant, tu me donnes du boulot supplémentaire.

- Comment ça ?

Elle me montra ses mains pleines de griffures.

- Ce n'est pas de sa faute Charlotte, nous avons besoin de lien pour construire les enclos provisoires, dit Tommy pour me défendre. Donc bien qu'elle doive se reposer elle va pouvoir participer aux tâches. Tu devrais donc lui dire merci.

Charlotte tourna les talons et alla s'installer un peu plus loin pour manger.

- Je crois qu'il va falloir que j'aille parler avec elle plus tard, dis-je. Il faut crever l'abcès tout de suite, avant que ça ne crée des conflits ingérables.

- Pour l'instant, c'est l'heure de manger, dit Tommy en me tendant une petite planche de bois avec fruits, jambon sec et fromage. Pour le pain, il faudra attendre de trouver une solution, même si j'ai déjà ma petite idée.

- Raconte-moi, j'adore écouter ton cerveau en ébullition.