Jeudi 1 février

Je reprends enfin ma plume. Bientôt trois semaines qu'Edmara est arrivé dans notre vie. Les journées et les nuits sont bien remplies avec elle. Elle réclame à manger toutes les quatre heures environ, même après que la nuit soit tombée. Plus jeune, chez Maman, quand un nouveau bébé arrivait, il ne se nourrissait que la journée, mais il devait certainement être plus vieux. J'imagine donc qu'un jour tout va rentrer dans l’ordre, mais je m'impatiente. Si nous ne faisions pas un roulement avec Tommy, je ne sais pas comment je ferais pour récupérer. Entre les tétées, les changes de couches, les lessives et toutes les tâches habituelles, nous avons du mal à nous en sortir.

Mais parfois, quand elle a fini de boire et qu'elle s'est endormie, la bouche ouverte, le lait coulant sur sa joue et que, plongée dans ses rêves, elle sourit aux anges, j'oublie toute ma fatigue. Edmara est un concentrée de bonheur à l'état pur et je ne comprends pas pourquoi nos communautés nous ont privés de celui-ci. Pourquoi nous empêcher de nous câliner, d'être heureux, de ressentir ses sentiments puissants que nous partageons ensemble depuis bientôt un an. Tout ceci reste un mystère, qu'aucun de nous n'arrive à comprendre.

Samedi 10 février

Aujourd'hui Edmara à un mois et j'ai la certitude qu'elle m'a souri à moi, alors que je lui racontais ma journée. Avant son regard semblait toujours dans le vide et louchait même parfois, comme si ses yeux ne savaient pas où regarder. Mais là, c'était différent, elle m'écoutait attentivement comme fascinée par le récit de la potée que j'avais préparé. Et là, sans savoir pourquoi, son visage s'est illuminé d'un large sourire baveux, dont une petite langue toute rose s’échappait. Je suis impatiente de le montrer à Tommy quand il rentrera de ses collets.

Samedi 17 février

Edmara ne fait toujours pas ses nuits, mais j'ai fini par trouver le rythme. Je suis toujours fatiguée, mais je sens que les choses se mettent en place doucement. Hier, il y avait un temps magnifique et nous sommes tous allés nous promener. Tommy avait mis notre fille dans un grand tissu qu'il avait noué autour de son buste. Nous avons parlé des travaux d'agrandissement des maisons d'Octavio et Fabien pour les nouveaux bébés à venir. Charlotte pour laisser plus de temps aux bricoleurs s'est proposé de reprendre la tâche des cueillettes et de la levée des collets. J'aurais aimé le faire, mais je dois m'occuper continuellement du bébé.

Vendredi 23 février

Victoire ! Cette nuit Edmara a sauté une tétée et j'ai pu dormir d'une traite de vingt-deux heures à six heures. C'est peut-être bientôt le retour des nuits normales. Je tiens donc presque une forme olympique, si on ne regarde pas de trop près, mes poches sous les yeux.

J'ai l'impression que toute ma vie tourne autour d'Edmara, pourtant, les jours rallongent bien et les premiers chatons apparaissent sur les saules et les noisetiers. Nos champs de blé sont devenus tout vert et Octavio a même commencé à semer certains légumes, comme les carottes, la laitue, le céleri, les navets et certains choux.
Mais le beau soleil qui nous réchauffe le cœur s'accompagne de fortes gelées. Nous devons donc faire tourner la cheminée, jour et nuit.

Edmara se réveillait doucement et commençait à pleurer. Il était treize heures et son estomac devait crier famine.
- Bonjour ma belle, tu as faim, dis-je en la sortant de son lit.

Je m'installais confortablement dans le lit, en ajoutant dans mon dos deux oreillers. Ni une ni deux, elle attrapa le mamelon et manqua, comme à son habitude, de s’étouffer.

- Quand arriveras-tu à boire normalement, petite chipie ?

Mais au bout de quelques gorgées, le rythme était pris. Tommy arriva au même instant ce qui déconcentra Edmara qui lâcha mon sein.

- Hop, hop, hop, ma chérie, dis-je à Edmara, alors que de mon sein sortaient trois jets de lait. Reviens par là et bois.
- Bonjour mes chéries, vous allez bien toutes les deux ?

- Oui. Tu rentres tôt.

- Et bien nous avons dû nous arrêter, car Octavio a dû aller voir Charlotte.
- Ah bon et pourquoi ?

- Je crois qu'elle a de la fièvre.

- Ah, ça doit être pour ça qu'elle n'est pas venue aujourd'hui.

- Elle vient tous les jours ?

- Depuis la naissance, oui. En tout cas, j'espère qu'elle va vite se remettre.

Le lendemain matin, Octavio m'avait donné l'autorisation d'aller la voir, mais en gardant mes distances pour ne pas tomber malade à mon tour et donc contaminer Edmara. Je toquais doucement à la porte, pour qu'elle ne l'entende que si elle était éveillée.

- Entrez, dit une voix rauque.

- C'est moi. Je viens prendre de tes nouvelles.

- Et bien ça ne va pas fort. Hier matin, j'ai eu du mal à me réveiller et quand Fabien est venu me chercher pour le repas, j’étais encore au lit, avec de la fièvre.

- Et qu'a diagnostiqué Octavio ?

- Il n'est pas vraiment sûr, au début, il pensait à un rhume ou la grippe, mais j'ai aussi des nausées.

- Ça arrive avec la grossesse.

- Oui, mais je n'en ai jamais eu, jusqu'à maintenant. Il veut que je reste au lit, que je boive beaucoup, que je mange léger et il me donne des médicaments et des tisanes pour faire baisser la fièvre.

- Tout est rentré dans l'ordre pour moi la dernière fois et je suis sûre que ça sera la même chose pour toi.

- Je l'espère.