3. Sortie
Célia était assaillie de questions. Si Maureen et Justine avaient été bannies, pourquoi les aurait-on fait revenir ? L’avaient-elles vraiment été, finalement ? Pourvu que tout ça ne soit pas de ma faute, angoissa-t-elle. Elle s’arrêta net. Si ce qui leur arrivait était une conséquence de ses recherches, elle ne pouvait pas les laisser livrées à elles-mêmes, aux mains d’un homme dont tout le monde connaissait la cruauté. Gaya ne lésinait jamais sur le zèle envers ses supérieurs. Envahie par l’émotion, elle prit le temps de respirer profondément pour retrouver un semblant de lucidité. Scientifique de formation, elle avait assimilé très tôt l’importance de préserver la raison de toute influence extérieure. Le travail de recherche représentait pour elle un devoir à l’égard de l’humanité, tant passée que future. Quel que soit le contexte, elle se devait de protéger coûte que coûte ce qui pourrait constituer une découverte fondamentale.
La mort dans l’âme, mais convaincue de faire le bon choix, Célia reprit sa marche d’un pas rapide pour rejoindre Alex.
— Tu as vu, c’était…
— Je sais, je les ai reconnues. Alex, j’ai peur que ce soit à cause de moi…
— C’est le cas, répliqua sèchement le jeune homme. J’espère que t’as une bonne raison de faire tout ça.
Célia fut étonnée par le ton employé par son ami. Cela ne lui ressemblait pas.
— Comment tu peux le savoir ?
— Le gars, Gaya je crois. En passant près de moi, il a dit que ce qui se préparait avec les petites me couperait le sifflet, et que tu en étais responsable.
Les yeux de Célia s’embrumèrent.
— Mes sœurettes…
— Je sais pas ce qui se passe, et je crois que je veux pas le savoir. Mais Célia, s’il arrive quelque chose aux gamines, t’as intérêt de faire en sorte que ça soit pas pour rien.
L’attitude d’Alex perturbait la jeune femme. D’habitude si timide et si révérencieux à son égard, il lui avait asséné cette dernière phrase avec un aplomb et une autorité des plus surprenants. Elle avait même cru voir dans son regard un filet de haine et une bribe de déception. Comment lui donner tort ? Elle le dépassa, direction la sortie 22. Avant de franchir la première des trois portes qui protégeaient l’intérieur du volcan du froid et des radiations, elle ordonna à Alex de rester en place, pour qu’il puisse la couvrir de nouveau à son retour.
Dans le dernier sas, elle enfila une des combinaisons jaunes accrochées au mur, laissées à disposition des survivants suffisamment téméraires pour mettre le nez dehors. Au-delà des températures négatives, l’air extérieur était exposé à une légère dose de radiation. Mieux valait s’en prémunir, car le taux de radioactivité augmentait un peu plus chaque mois. Elle poussa la porte qui donnait sur le tunnel qui rejoignait le flanc du volcan. Arrivée au bout, elle fut saisie par une bourrasque glaciale. Fort heureusement, le temps était clément. En cas de blizzard, elle n’aurait pas pu sortir sans risquer de se perdre ou de chuter dans le vide.
Célia contempla la Chaine des Puys qui lui faisait face, en léger contrebas. Des dizaines de volcans de toutes tailles et de toutes formes la constituaient. Ils n’avaient en commun que le manteau de neige et de glace qui les habillait. Elle prit sur sa droite pour rejoindre un chemin qui la mènerait au Temple de Mercure, vestige gallo-romain qui sommeillait depuis des millénaires au sommet de la montagne. Elle y avait aménagé un petit espace secret, dans lequel elle se réfugiait lorsque le froid était supportable et la météo indulgente. Ce serait l’endroit idéal pour entreposer toutes ses notes : introuvable par les colonisateurs, pas trop éloigné en cas de besoin et à l’abri des intempéries.
Alors qu’elle entamait sa montée, Célia entendit un sifflet aigu derrière elle. En se retournant, elle reconnut Alex. Non seulement il lui avait parlé comme jamais il ne l’avait fait, mais voilà qu’en plus il lui désobéissait. Il agitait ses grands bras en criant. Il semblait lui dire de se dépêcher. Elle s’apprêtait à repartir au pas de course quand elle aperçut deux hommes, des miliciens, agripper violemment Alex et le plaquer au sol. Lorsqu’il fut immobilisé, l’un d’eux leva la tête en direction de la jeune fille.
Célia ne perdit pas une seconde et fonça vers le sommet. Malheureusement, avec une pente abrupte et une neige épaisse, elle ne pouvait se mouvoir aussi rapidement qu’elle l’aurait voulu. Toutefois, grâce aux nombreux lacets qui jalonnaient le chemin, elle savait que ses poursuivants la perdraient de vue en peu de temps. Il lui faudrait agir vite une fois arrivée au Temple , et repartir illico dans le complexe par une autre porte pour fausser les pistes. La montée l’épuisait et ses poumons brulaient à force d’inspirer puissamment cet air polaire. Alors qu’elle était presque parvenue à sa destination, son cœur manqua un battement. Elle venait de réaliser sa bêtise. Dans la précipitation, elle avait négligé les traces de pas laissées dans la neige, qui rendraient la chasse au trésor enfantine à qui voudrait les suivre. Finalement, un bon blizzard n’aurait pas été de refus...
Que faire alors ? Retourner à sa cabine avec ses recherches sous le bras reviendrait à capituler devant l’ennemi. Dehors, hormis le Temple de Mercure, aucune solution ne s’offrait à elle. Aucune solution, à part peut-être la station militaire désaffectée, située non loin d’elle, au pied du pylône… On saurait qu’elle était allée là-bas, mais le bâtiment était assez grand pour y dissimuler des notes sans qu’on les retrouve. Au rez-de-chaussée, un accès souterrain donnait sur le complexe. Il avait initialement été condamné pour que personne ne puisse y rentrer de l’extérieur, peu après l’ouverture du bastion de survie. Depuis, les risques d’intrusion étant devenus quasi nuls, le passage avait été rouvert pour permettre une éventuelle évacuation d’urgence.
L’idée de pénétrer cet endroit, bien que ce fut là son dernier recours, angoissa profondément Célia. Il renfermait une mémoire tragique, que chaque survivant, quel que soit son camp, s’était forcé d’oublier au fil des ans. Ultime témoin de leur culpabilité collective, personne, à sa connaissance, n’y était jamais retourné. La jeune fille prit sur elle et évacua ces mauvais souvenirs, plein de cris, de douleurs et de déchirements. Elle entra par une fenêtre brisée. Le froid empêchait l’ouverture des portes sans matériel adéquat. En parcourant les pièces, Célia remarqua qu’une sorte de tableau de bord était endommagé. Elle le souleva puis mit ses notes dans le fond, non sans difficultés. Puis, elle rabaissa le panneau composé de multiples touches et de petits écrans. De loin, son carnet était invisible. Personne n’aurait l’idée de chercher à cet endroit.
Sa mission accomplie, Célia devait maintenant envisager la suite. Devait-elle retourner dans le complexe, où elle serait capturée comme Maureen, Justine et Alex ? Elle avait réussi à protéger le contenu de ses notes, mais sa fuite était comme un aveu de leur existence. Qui sait jusqu’où les colonisateurs seraient prêts à aller pour lui faire cracher le morceau ? Sinon, il lui faudrait partir loin du volcan, pour de bon. Sans vivres et sans matériel, ce serait du suicide. Si elle choisissait cette option, un dernier passage dans sa cabine s’imposerait pour récupérer de quoi avoir une chance de rester en vie.
En jetant un coup d’œil dehors, pendant sa réflexion, un détail attira son regard. Du côté nord de la station, la neige était enfoncée en plusieurs endroits. Étant rentrée par l’ouest du bâtiment, elle ne pouvait pas en être l’auteure. En observant plus attentivement, elle comprit qu’il s’agissait de traces de pas. Toutefois, elles ne ressemblaient pas à ce qu’un humain pouvait laisser derrière lui...
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Ici, les lecteurs de Votre Récit ont décidé que Célia devait fuir le complexe au plus vite plutôt que de se rendre aux colonisateurs.
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