5. Envol
Chaque soir en s’endormant, Alex ne rêvait que d’une seule chose : se débarrasser des colonisateurs. À cause d’eux, jamais il ne reverrait ses parents, qui avaient été refoulés aux portes du complexe. Peut-être même avaient-ils essuyé les balles de ces militaires zélés qui n’avaient pas bronché au moment de tirer sur la foule. Depuis que Célia touchait au but avec ses recherches, il caressait l’espoir de parvenir à ses fins. En réussissant à produire de l’énergie à partir du froid, le principal obstacle au décollage de la fusée serait levé. Ces idiots n’auraient alors qu’à aller crever dans l’espace ! Enfin les survivants restés sur Terre pourraient-ils avoir la paix. Alex, voyant là une opportunité idéale pour atteindre son objectif, avait tout mis en œuvre pour que les choses se passent ainsi.
Le Général Abraïmovitch l’avait approché il y a plusieurs semaines de cela. Ce chef arrivé sur le tard avait été envoyé par le Gouvernement français pour trouver des ressources matérielles, humaines ou technologiques pouvant servir le projet Colonia, qui consistait à établir une communauté sur une planète habitable. Le talent et l’intelligence de Célia étaient vite remontés aux oreilles du nouveau maitre des lieux, qui s’était alors mis en tête de la nommer responsable de l’ingénierie du projet. Il s’était douté qu’elle n’adhérerait pas facilement à l’idée, trop affectée par son passif avec les premiers dirigeants du complexe. C’est pourquoi il avait mandaté ce jeune homme timide pour l’observer et soutirer un maximum d’informations à utiliser contre elle, pour la forcer à accepter, si toutefois la promesse d’une place dans les premiers convois vers l’espace devait ne pas la convaincre. C’est ainsi grâce à Alex qu’il avait appris que Célia était à un stade de recherche avancé pour trouver une source d’énergie suffisante pour le projet. Grâce à lui encore qu’il avait su à quel point le lien qui l’unissait à Justine et Maureen était fort.
La décision de coopérer avec les colonisateurs n’avait pas été simple à prendre pour Alex. Il se moquait complètement de leur promesse de pouvoir partir avec eux. Tout ce qu’il voulait, c’était qu’ils disparaissent. Mais le prix à payer était grand : trahir la confiance de Célia. Celle-ci ne partageait pas sa vision. Jamais elle n’aurait accepté que son travail puisse bénéficier aux colonisateurs. Elle était bien trop aveuglée par la haine et le désir de vengeance et pour cause : son père avait subi le même sort que les parents d’Alex. Elle aurait préféré mourir plutôt que de contribuer à leur projet, fût-ce pour qu’ils disparaissent du volcan. Alex avait pu le constater lorsqu’elle avait choisi de sacrifier ses deux amies, un peu plus tôt dans la journée. Bien qu’il ait eu une grande part de responsabilité dans leur bannissement, Célia avait eu à plusieurs reprises le pouvoir de les sauver.
Il admirait cette fille du plus profond de son être. Elle était comme une déesse à ses yeux, elle était une guide vers la liberté, vers la justice, vers la vie. Combien de fois s’était-elle opposée aux décisions arbitraires des colonisateurs ? Combien de fois avait-elle amélioré les conditions de survie dans le complexe, par des astuces aussi improbables qu’audacieuses ?
Pourtant, elle l’avait déçu. Lorsque Gaya lui avait confirmé qu’elle était responsable de la situation de Justine et Maureen, puis qu’il avait compris qu’elle allait sciemment prendre le risque de les condamner, il était tombé de haut. Il la savait obstinée, ça oui, mais jamais il ne l’aurait crue inhumaine. Malgré tout, il ne l’avait pas dénoncée à Gaya quand elle s’apprêtait à sortir. Il l’avait même avertie de l’arrivée des miliciens qui s’étaient lancés à sa poursuite. Du haut de sa corniche, seul et dans le froid, il ne s’expliquait toujours pas ces deux réactions. Comment avait-il pu, en un instant, ruiner tout son stratagème et se rendre responsable du triste sort des deux petites filles ? Quelque chose en lui l’avait poussé à aider Célia, au-delà de toute pensée rationnelle.
Il était déterminé, cette fois, à faire le bon choix. Le temps était venu de réparer ses erreurs. Laisser les amies de Célia livrées à elles-mêmes lui parut inimaginable. Malgré sa jambe inutilisable, il avait emmagasiné suffisamment de connaissances pour survivre un moment dehors avec Maureen et Justine.
Alex s’assit au sol, puis commença à avancer par à-coups en direction des filles. Après quelques mètres, il ne parvint plus à contrôler sa descente. La pente devenait de plus en plus raide. Deux glissades hasardeuses semèrent en lui les graines du doute. Stabilisé sur une sorte de parterre moins incliné, il réalisa qu’il ne pouvait plus remonter, et qu’en descendant ne serait-ce qu’un peu plus, il chuterait littéralement. Dans un élan d’optimisme, il estima qu’en procédant par roulades, il pourrait absorber les chocs et arriver en bas vivant. Dans un sale état assurément, mais vivant. Il tenait ceci de Célia, bien sûr. Le cœur battant la chamade, il se jeta la tête en avant, recroquevillé sur lui-même. Le premier rocher qu’il percuta lui permit de comprendre que les roulades risquaient de ne pas suffire. Un coup sur sa jambe meurtrie lui arracha un hurlement guttural qui se perdit dans le vide. Il ne roulait plus, il volait. Sa chute lui sembla durer une éternité. Il eut le temps de constater, à sa grande surprise, qu’un morceau de ciel était clair. Il n’avait pas vu ça depuis des années. Il crut même apercevoir une étoile dans ce petit espace orangé qui perçait la mer de nuage. Avant qu’il en acquière la certitude, le second rocher lui explosa le crâne. Son âme, son amour et ses rêves s’envolèrent vers cette éclaircie aussi soudaine qu’inattendue.
…
Nelly fut surprise de ne pas trouver Célia dans la grande salle. Elles avaient l’habitude de se retrouver peu avant le début du repas commun. Elle ne l’avait pas revue depuis qu’elle était partie avertir Maxime. Un frisson la parcourut, dans le cou d’abord puis le long de l’échine. Ce merdeux avait fait bannir les filles de Millie et avait balancé à son ordure de père la découverte de Célia. Comment avait-elle pu la laisser seule ? Avant d’aller dans le quartier des colonisateurs, elle décida d’aller vérifier une dernière fois si elle n’était pas revenue dans sa cabine.
Lorsqu’elle y parvint, la porte était ouverte. Elle pénétra dans le nid douillet de Célia : personne. Son bureau était plus désordonné encore qu’à l’accoutumée. Décidément, elle ne changerait jamais… Nelly se résolut à rendre immédiatement visite à Maxime. Avant, elle préféra faire un détour par sa propre chambre pour y récupérer une dague. On n’était jamais trop prudente, surtout dans ces circonstances.
La mère de Célia cachait son arme dans un tiroir scellé, dont la clé était elle-même dissimulée dans la mousse de son oreiller. La clé en main puis le réceptacle ouvert, Nelly fut saisie de surprise. Elle venait de trouver une lettre. Vu l’écriture, il ne faisait aucun doute qu’elle avait été rédigée par sa fille…
Maman, ma place n’est plus ici. J’aurais aimé t’en parler, mais parfois la vie nous pousse à prendre notre envol et nous invite à le faire sans nous jeter au préalable dans des bras qui nous maintiendraient au nid.
Toute l’énergie que j’ai mise dans ce vieux combat est maintenant tienne.
Il faut savoir se pencher sur ce qui est cassé pour trouver les réponses du renouveau.
Quand tu en auras l’énergie, repense à cet adage : de la déception nait la haine, de la haine nait la révolte, de la révolte nait une ère nouvelle.
Ne me cherche pas. Je t’aime maman…
Célia.
Nelly ferma les yeux. Les larmes coulaient sur son visage, qu’elle recouvrit de ses deux mains tremblotantes. Il lui fallait digérer la nouvelle. Il lui fallait comprendre. Elle lut la lettre une seconde fois. Comment Célia aurait-elle pu s’enfuir de cette manière sans y avoir été contrainte ? Elle devina que l’explication se trouvait dans ces mots. Cependant, l’émotion était si vive que sa lucidité en avait pris un coup. Savoir sa fille en danger coupa court à toute possibilité de réfléchir posément.
Pour autant, le temps jouait contre elle. Chaque minute dehors la rapprochait d’autant d’une mort probable. Il fallait qu’elle se ressaisisse. Pour elle et pour Célia.
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Ici, les lecteurs de Votre Récit ont eu pour mission de déchiffrer la lettre de Célia, condition indispensable pour que Nelly elle-même puisse la décrypter. Fort heureusement, ils ont réussi.
D'après les indications de Célia (si vous ne les avez pas devinées, pas d'inquiétude, elles figurent au début du prochain chapitre !) les lecteurs de Votre Récit ont décidé que Nelly devait initier la révolte dans le complexe, plutôt qu'aller récupérer les notes de recherche cachées par sa fille.
Ils ont également décidé que Nelly devait garder la lettre pour légitimer son action auprès des survivants plutôt que de la brûler pour éviter qu'elle ne tombe entre de mauvaises mains.
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