Le concours
Ce matin d’automne, Charlie, un peu anxieuse, gara son vélo sur le coin d’un mur. Elle poussa avec un peu de brusquerie une porte, et se fit conduire par une hôtesse dans une petite pièce presque vide, où attendait uniquement une jeune fille feuilletant un magasine. La salle était éclairée à la lampe et garnie de petits fauteuils rouges qui entouraient une table en verre. Charlie ôta son béret, se défit de sa sacoche qu’elle posa près d’un des fauteuils, et s’y assit. Elle tira de son sac un petit livre un peu abîmé, et attendit qu’on appelle son nom. Au bout de cinq minutes, elle entendit un bruit de papier manipulé, mais n’osa pas tourner la tête. Au bout de quelques secondes encore, un bras se tendit dans sa direction, avec dans la paume de la main un petit gâteau sec. Charlie le refusa un peu froidement. Puis, elle changea d’avis et le prit. Alors qu’elle croquait dedans, la fille se mit à rire :
« Tu es la première de la journée qui l’a accepté ! D’habitude, les autres à qui je propose m’ignorent. »
Elle avait un accent discret, mais qui trahissait une proche origine tropicale, peut-être Madagascar. Étrangement, le ton cordial de la fille eut pour effet de renfermer Charlie encore d’avantage. Tout en elle, son visage cuivré lumineux, sa cascade de boucles brunes tirant vers le noir et sa robe fleurie, renvoyaient à Charlie la ternitude de son aspect. À partir de ce moment, la fille lui parla avec passion, presque sans s’arrêter. Elle s’appelait Mya, avait quitté la Réunion il y avait de cela plusieurs années, et participait à ce concours dans une démarche de dilettante, sans intention de lancer une carrière de mannequin. Elle lui parla de son père mécanicien, de sa mère actrice assez célèbre sur son île, et également de ses sœurs qui avaient également quitté la Réunion et dont elle ignorait les localisations actuelles. Au bout d’un moment, elle dût sentir que Charlie était mal à l’aise, car elle s’interrompit et reprit son discours au bout de quelques secondes dans un ton plus posé, et l’interrogea sur sa participation à ce concours. Charlie haussa les épaules : elle-même l’ignorait et participait que par curiosité un peu désabusée.
« Vraiment, tu ne sais pas pourquoi tu es là ?
— Non.
— Moi non plus, à vrai dire. »
Cette démonstration de franchise dégela un peu la posture de Charlie, qui se risqua à confier quelques éléments de sa vie. Mya l’écouta avec attention, puis prononça quelques phrases compatissantes. Elle parla de la vie de ses amis en métropole, de la pauvreté et des SDF, puis conclut par : « En tout cas, je suis contente de t’avoir rencontrée. » Puis elle se leva.
« Tu viens ?
— Où ça ?
— N’importe où. Loin de ce concours à la con. »
Au bout de quelques secondes, Charlie quitta son siège. Elles passèrent toutes les deux la porte.
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