quatre
Comment on arrête ça, Nooroo ?
Juleka n’avait jamais eu à utiliser son pouvoir auparavant. Le sujet avait été vaguement abordé lorsqu’elle avait rencontré Nooroo, au tout départ, mais ils avaient considéré que ce n’était pas important étant donné qu’elle ne comptait pas utiliser son Miraculous.
Lorsqu’elle était transformée, Juleka ne pouvait pas parler à son kwami. Elle doutait que même en étant sous sa forme civile, l’Aile d’Alya ne disparaisse pas. La seule solution était d’arrêter sa victime par ses propres moyens. Mais comment faire ? Elle n’avait aucune pratique !
Morpho se tenait donc assise au sol, dans une position des plus inconfortables, et regardait avec des yeux effarés le combat qui se déroulait devant elle sans savoir comment procéder. Puis elle se souvint des précédents affrontements entre les victimes du Papillon. Son pouvoir était logé dans un objet. Et Jagged pouvait communiquer avec l’Akumatisé. Alors Morpho ferma les yeux et se concentra.
Arrête toi. Arrête toi. Arrête toi, Alya.
Elle retourna l’ordre dans tous les sens, le pensa sur tous les tons, mais rien n’y faisait. Comment rappeler à elle l’Ailée ? La porteuse du Papillon comprit qu’elle devait agir physiquement. Elle devait elle-même neutraliser Alya. Elle se redressa, saisit sa canne, et se prépara à se joindre au combat quand le célèbre bâton gris orné d’une patte de chat verte surgit juste sous sa gorge. Elle s’immobilisa et leva les bras au ciel en signe de paix.
« Toi, tu ne bouges pas, » siffla LadyNoire.
Morpho acquiesça et se rassit. LadyNoire la lorgna d’un œil mauvais. Elle semblait vouloir l’insulter, mais n’en eut pas le temps : Alya lui décrocha un coup de pied vif, qu’elle évita de justesse, et elle repartit à l’assaut. D’où elle se tenait, Morpho pouvait voir l’Ailée évoluer. Où avait bien pu se cacher le papillon ? Sa combinaison ne comportait aucun détail particulier. Seule ressortait la broche dans ses cheveux, mais la portait-elle avant leur rencontre, ou était-elle une création de son pouvoir ? L’unique manière d’en être sûre était de s’en saisir.
« MisterBug, la pince ! » s’exclama-t-elle en pointant sa propre tête du doigt pour indiquer ses soupçons au héros.
Il lui adressa à peine un regard et acquiesça. Mais Alya était loin d’être stupide : elle passait entre les coups du duo de héros aisément, plus agile qu’eux deux réunis. Elle avait la force nécessaire pour protéger Morpho et combler ses faiblesses.
Ce fut là que Juleka réalisa la puissance du Miraculous qu’elle avait entre les mains. Elle pouvait créer de véritables monstres surhumains et incontrôlables tant qu’elle n’apprenait pas à se servir correctement de son pouvoir. Elle sentit un frisson désagréable parcourir son dos et réprima les tremblements de peur qui lui venaient. Qu’avait-elle fait ? Les conséquences de cet acte seraient lourdes. On ne lui laisserait pas conserver Nooroo.
Sauf qu’il était hors de question qu’on les sépare ! Elle devait leur prouver qu’elle était de leur coté, et que donner une Aile à Alya n’était pas son but. Alors elle ignora l’ordre de LadyNoire et se joignit au combat. Aussitôt, Alya se mit dos à elle pour la protéger des deux héros.
Parfait, songea Morpho. Elle s’approcha à pas de loups d’Alya et saisit sa broche qui se détacha de ses cheveux sans que l’Ailée ne sente rien.
Morpho n’hésita pas. Elle tira le plus fort possible sur le bijou qui se brisa en deux et libéra un léger papillon blanc aux ailes tachetées de mauve. Il avait été corrompu. Le cœur lourd, Morpho captura le papillon dans sa canne en regardant Alya reprendre connaissance.
« Où… » commença la jeune femme.
Morpho s’accroupit à coté d’elle en prenant garde à rendre son Miraculous inaccessible.
« Je suis désolée Alya, c’était un accident, s’excusa-t-elle d’une voix tremblante. Je ne voulais pas... Est-ce que tout va bien ?
– Éloigne-toi d’elle, » s’écria LadyNoire.
Morpho s’exécuta, le regard infiniment triste. Alya semblait avoir du mal à se situer. Mais elle était bien entourée. Les héros prendraient soin d’elle. Alors Morpho recula discrètement avant de s’enfuir à toutes jambes et disparaître dans le ciel nocturne sans laisser aucune trace.
Juleka n’était même plus surprise de ses défaites, puisque sa vie en était plus ou moins une succession. Lorsqu’elle rentra le lendemain matin chez elle, après avoir erré toute la nuit dans la ville, elle se laissa tomber sur son lit sans même saluer sa mère. Elle n’avait pas envie de travailler, pas envie de savoir ce qu’on pensait de Morpho ou même ce qu’elle mangeait ce matin. Elle n’avait plus envie de rien.
« Juleka… » gémit Nooroo en la voyant se rouler en boule sur le matelas.
Elle sentit son petit corps se nicher contre son cou, et sanglota silencieusement jusqu’à trouver le sommeil.
Lorsqu’elle se réveilla, le soleil était haut dans le ciel. Il devait être aux alentours de quinze heures. Nooroo dormait confortablement enroulé entre ses mèches brunes comme dans une couverture. Le voir se reposer si paisiblement la fit sourire. Du bout du doigt, elle caressa délicatement sa tête. Son esprit encore embrumé par le sommeil avait du mal à se souvenir de ce qu’il s’était passé précisément la veille. Elle gardait juste un sentiment d’échec cuisant mêlé à une peine affreusement intense. Elle n’avait pas ressenti cela depuis près d’un an.
Peu à peu, ses sens s’éveillaient et elle sentit son corps devenir douloureux, conséquence de sa nuit blanche et de la mauvaise position qu’elle avait prise en dormant. Cependant, elle se s’étira pas. Être roulée en boule de la sorte avec les quelques rayons de soleil qui illuminaient son dos la calmait. Ainsi, elle pouvait plus facilement raisonner, sans laisser de place à ses sentiments pour la bousculer et la briser.
Morpho avait échoué à se faire entendre, et les héros n’exauceraient pas son souhait. LadyNoire l’avait attaquée. En voulant fuir, elle avait Ailé quelqu’un et s’était servie de cette personne pour se défendre. Son pouvoir s’était obscurci. Elle avait perdu le contrôle. Et tout le monde en ville devait la haïr – ou l’idôlatrer.
Elle soupira. Que pouvait-elle faire désormais ? Elle avait une panoplie d’idées pour mettre son plan en place, mais il avait échoué. Peut-être devait-elle se résigner à faire preuve de patience, comme lui conseillait Nooroo.
Peut-être devait-elle disparaître, elle aussi ? Quitter la ville avec son Miraculous et se terrer dans une grotte pour le restant de ses jours. Quoique non, pas exactement. Si elle partait, elle ne saurait jamais si Rose s’était réveillée. Elle souffla et ferma les yeux.
On frappa à la porte. Juleka s’empressa de décrocher sa broche pour l’épingler sur son soutien-gorge, à l’abri des regards. Elle attrapa Nooroo en coupe dans ses mains et le déposa dans sa suspension de verre, où il pourrait se reposer dans les couches de mousse sans être vu. Le kwami se rendormit immédiatement une fois installé. Puis la jeune femme s’assit en tailleur sur son lit et essaya de nouer ses cheveux en chignon.
« Entrez, » prononça alors Juleka d’une voix rauque.
Quand elle reconnut son frère, elle ne put retenir un sourire. Luka semblait inquiet, mais rien que de voir son visage éclairait l’humeur de Juleka. Elle supposait que la discussion à venir ne serait pas des plus joyeuses, mais qu’elle était nécessaire pour tous les deux.
« Comment ça va ? » demanda Luka en s’asseyant à coté d’elle.
Juleka déposa sa tête sur l’épaule de son frère.
« Pas super bien, avoua-t-elle. Je pensais qu’on en avait fini avec ce Miraculous, mais il revient toujours. Que faut-il faire pour qu’on ait la paix un jour ?
– Aucune idée. Je suppose que tu n’es pas sortie depuis hier soir.
– Non. J’ai suivi le live chez un collègue et je suis rentrée ce matin. J’ai mal dormi, alors je me suis reposée en rentrant. Pourquoi ? »
Luka l’attrapa délicatement par les épaules et la força à s’asseoir droite. Il s’accroupit face à sa sœur pour la regarder droit dans les yeux.
« Écoute Ju’. Tu sais que si quelque chose ne va pas tu peux m’en parler. Hein ?
– Oui, bien sûr que oui, répondit-elle en haussant un sourcil interloqué. Je suis perturbée par ce qu’il se passe mais pour le reste, ça va. Ne t’inquiète pas Lulu, je ne me laisserai plus jamais couler. Sinon, comment je pourrais revoir Rose ? »
Elle sourit chaleureusement à son frère. L’inquiétude se dissipa légèrement dans les yeux de Luka, mais Juleka comprit qu’il ne posait pas seulement la question pour elle.
« Et toi, est-ce que tout va bien ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette en ce moment. »
Luka détourna les yeux. Il mit un moment avant de parler, cherchant sûrement ses mots.
« Un peu comme pour toi, j’ai l’impression de faire un saut dans le passé. A la différence près que Morpho ne semble pas mauvaise. Je suppose que n’importe qui à sa place ferait tout pour sauver une personne chère.
– Tu penses ? »
Luka acquiesça, puis il baissa le regard sur ses mains en silence. Juleka songea qu’il y avait autre chose, et elle avait bien une idée sur la question. Sauf qu’à cette heure, épuisée et mal en point, elle n’avait aucune idée de la formulation à utiliser. Alors elle demanda d’une voix infiniment douce :
« Luka… comment ça va, avec ta copine ? »
Il se raidit.
« On a rompu, souffla-t-il tristement. Il y a presque trois semaines. »
Il lui adressa un très maigre sourire, avant de souffler lourdement. Juleka se retint de l’interroger sur le nom de cette copine dont Luka taisait l’identité – car s’ils n’étaient plus en couple, son frère aurait pu la lui révéler. Mais elle savait qu’il n’était pas comme cela, et que le lui demander ne ferait que remuer le couteau dans la plaie.
Juleka descendit de son lit pour serrer Luka dans ses bras. Il lui rendit son étreinte. Ils restèrent longtemps ainsi, à puiser en l’autre l’énergie dont ils avaient besoin pour retrouver le sourire. Elle entendit Luka renifler, une seule fois, et s’empêcha de fondre en larmes. Elle ne pourrait jamais se justifier si elle craquait.
Et puis, Juleka sut ce qu’elle avait à faire pour lui remonter le moral. Elle se détacha de lui et remarqua un petit détail un-usuel.
« Qu’est-ce que tu as fait de tes boucles d’oreilles ? questionna-t-elle en récupérant sa guitare acoustique dans un coin de la pièce.
– C’était un cadeau, expliqua Luka. Elles me font trop penser à elle, alors je les ai enlevées. »
Juleka trouva cela curieux. Luka portait ces boucles d’oreilles bien avant de sortir avec sa mystérieuse petite amie. Mais elle ne commenta pas. Ils avaient tous les deux leurs secrets et ce serait injuste de lui demander de dévoiler les siens sans le faire en retour. Et puis, ils avaient besoin de se détendre.
La brune accorda son instrument et gratta ses cordes. Puis l’accord lui vint naturellement, et ils écoutèrent ensemble cette musique mettre des mots sur ce qu’ils ne pouvaient nommer.u’ils ne pouvaient nommer.
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