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« Qu’est-ce que tu fais, Heisuke ?
- Rien, vous verrez plus tard !
- C’est un rien qui t’occupe depuis un moment, apparemment.
- Ah, Shinpat-san, Sano, vous êtes agaçants ! Entrez et fermez vite avant que quelqu’un n’arrive. »
Les deux capitaines passèrent la porte et le second la fit coulisser avant de reprendre :
« Alors, pour quelle raison monopolises-tu la cuisine depuis tout à l’heure ?
- Je prépare, enfin j’essaye de faire un castella. Et… »
Il s’interrompit et soupira.
« Je reconnais que j’aurais besoin d’aide.
- Compte sur nous ! répondit Nagakura.
- Je fais plus confiance à Sano, mais tu pourras toujours te rendre utile.
- Répète un peu ça ! fit mine de s’énerver l’aîné.
- Calmez-vous, intervint Harada, de toute façon aucun de vous deux n’est en mesure de critiquer les talents culinaires de l’autre. Avant toute chose, Heisuke, tu voulais faire ce gâteau pour quelqu’un en particulier ? »
Le plus jeune hésita devant son air entendu avant d’avouer :
« C’est pour Chizuru. Je l’ai entendue dire il y a quelques jours qu’elle aimerait en manger alors j’ai pensé que ça lui ferait plaisir.
- C’est trop mignon ! s’exclama l’autre capitaine.
- Chut ! réagit son cadet. Tu vas nous faire repérer !
- Mais oui ; dis-moi, c’est la chaleur des fours qui te fait des joues si rouges ?
- Arrête et lis-moi plutôt ça. »
Il lui fourra la recette entre les mains et les deux plus grands commencèrent à la lire.
« Ça a l’air plutôt simple, commenta Harada, où en es-tu ?
- J’ai commencé la pâte mais je n’arrive pas à faire monter les œufs.
- C’est parce que tu n’as pas une force d’homme, le taquina l’aîné, laisse-moi faire ! »
Et il se mit à l’ouvrage sans attendre, bientôt rejoint par les deux autres. Ils passèrent un moment à mélanger les ingrédients, jusqu’à ce qu’une voix à l’extérieur les interrompe.
« Excusez-moi, puis-je entrer ? »
Les trois capitaines cessèrent toute activité et échangèrent un regard. C’était Chizuru. Après un instant de flottement Harada répondit :
« La cuisine n’est pas très visible, c’est urgent ?
- Plutôt, je dois apporter son thé à Hijikata-san.
- Je vais m’en charger ! » déclara Nagakura.
Un silence s’ensuivit pendant que ses deux comparses le fixaient d’un air incrédule. De l’autre côté de la cloison la jeune fille reprit :
« Vous êtes sûr ?
- Oui, profites-en pour te reposer.
- Bon… d’accord. »
Et elle s’en alla. Harada et Nagakura soupirèrent de soulagement tandis que Heisuke réprimait un début de fou rire.
« Hijikata-san va être surpris ! s’esclaffa-t-il. Je payerais cher pour voir sa tête quand tu lui serviras son thé.
- Continue comme ça et je t’envoie à ma place.
- Impossible, je dois finir la pâte avec Sano. »
Une ombre de regret passa sur le visage de Nagakura mais le troisième capitaine ajouta :
« Allez, courage, ce sera l’affaire d’un instant. Par contre ne traîne pas trop, le matcha de notre vice-commandant est une boisson sacrée !
- Tu es sans pitié, Sano.
- Il s’agit d’une promesse à Chizuru-chan, tu ne peux pas revenir dessus !
- D’accord, j’ai compris… »
Il fit bouillir de l’eau tandis que les autres poursuivaient la recette, puis prépara le thé et quitta la cuisine avec.
« Je suis plutôt content de vous avoir mis dans la confidence, finalement ! rit Heisuke.
- Son esprit d’initiative nous a sauvés. » s’amusa Harada.
Leur camarade revint quelques minutes plus tard et ils le questionnèrent immédiatement :
« Alors ?
- Il était surpris. Dites, vous n’avez pas fait un peu trop de pâte ? »
Tous trois considérèrent les quatre ou cinq grands récipients remplis de la préparation claire.
« Hum, oui en effet, la quantité est peut-être un peu excessive, concéda Harada, mais il nous suffit de trouver des moules de la bonne taille.
- Le problème c’est surtout qu’on va se retrouver avec beaucoup de castella…
- Compte sur moi pour tout finir, Shinpat-san !
- Je te fais confiance, Heisuke. »
Les trois capitaines fouillèrent la cuisine jusqu’à rassembler un nombre suffisant de plats, dans lesquels ils versèrent la préparation avant d’enfourner le tout.
« Et maintenant, reprit le plus jeune, qu’est-ce qu’on fait ? On en a pour une heure de cuisson environ.
- Je pense que nous pourrions ranger la cuisine, suggéra Harada, ce laps de temps ne sera pas de trop. »
Ses camarades s’aperçurent de l’état de désordre avancé de la pièce – ustensiles éparpillés, taches, boîtes et placards ouverts… – et soupirèrent avant d’acquiescer. La prédiction du premier s’avéra puisque le trio termina juste à temps pour sortir les gâteaux. Ils les démoulèrent précautionneusement pour les déposer sur un plateau et Heisuke les compta.
« Huit castellas ! Je pense qu’on ne va pas mourir de faim. Ah, j’ai oublié un détail !
- Quoi ? s’enquérirent les deux autres.
- Il faut laisser reposer douze heures. Mais je voulais en apporter à Chizuru au plus vite !
- Ce n’est pas grave, déclara Nagakura, ils m’ont l’air tout à fait comestibles comme ça. Et puis, qu’est-ce que ça change ?
- On n’a qu’à dire que c’est ta version de la recette, renchérit Harada, et les servir comme ça.
- D’accord ! Apportons-les dans la cour, et j’irai chercher Chizuru. Et tant qu’on y est, autant prévenir les autres aussi. Ils nous aideront à tout manger au cas où je n’aurais pas assez faim. »
Ils firent donc ainsi et tandis que Harada installait une table avec les gâteaux, Nagakura allait voir les autres capitaines ainsi que le commandant, le vice-commandant et le secrétaire, et Heisuke retrouvait Chizuru. Il la mena à la cour et constata sa surprise avec une joie teintée de fierté.
« C’est toi qui as cuisiné tout ça ? s’exclama-t-elle.
- Les deux autres m’ont aidé, mais l’idée venait de moi au départ. dit-il en rougissant un peu.
- Je suis très touchée, merci beaucoup ! »
Le petit groupe fut bientôt rejoint par un premier capitaine.
« Je me disais bien qu’il y avait une odeur de sucré. commença celui-ci.
- Okita, le salua Nagakura, j’avais parié que tu serais le premier arrivé !
- Pari facile. Si j’avais marché moins vite, Hajime-kun aurait ruiné tes prévisions. »
Saitō se joignit en effet peu après à eux, suivi par Hijikata, Kondō, et enfin Sannan.
« Nous avons même réussi à faire venir le vice-commandant, sourit Harada, l’exploit mérite d’être souligné.
- Puisque nous sommes tous là, poursuivit Heisuke, je vais servir les castellas. Et la première à en avoir sera Chizuru ! »
Il découpa les gâteaux et une fois que chacun eut sa part tous commencèrent à discuter dans une joyeuse ambiance.
« C’est rare d’avoir des moments comme ça ! apprécia Kondō. On devrait le faire plus souvent.
- Je suis tout à fait d’accord, répondit Okita, à plus forte raison quand il y a des sucreries à partager. »
Il regarda la petite assemblée qui profitait de ce moment de pause tous ensemble. Harada s’entretenait avec Saitō et Hijikata, à côté de Nagakura qui pour une fois ne tentait pas de voler sa nourriture à Heisuke. Ce dernier parlait avec Chizuru et avait l’air de lui raconter une histoire drôle puisque tous deux rirent soudain aux éclats. Une ritournelle lui revint en mémoire et il commença à fredonner sans s’en apercevoir.
Vogue autour de Shikoku… Du mont Zōzu, de Konpira… Fais le tour encore une fois…
« Que chantes-tu, Okita-kun ?
- Ah, Sannan-san. C’est juste un air qui m’est passé par la tête. Ça faisait un moment qu’on ne s’était pas croisés, comment vas-tu ?
- Bien, mes recherches progressent.
- Si jamais un jour tu veux reprendre du sake et discuter, n’hésite pas.
- J’y penserai. »
Le secrétaire esquissa un léger sourire. Son ami fit de même, dissimulant son inquiétude pour lui. Le débat de l’autre côté de la table attira leur attention.
« Tu ne vas quand même pas aller faire du thé, Chizuru, argumentait Heisuke, il faut que tu fasses une pause de temps en temps.
- Oui mais ça pourrait accompagner le castella, et ça ferait plaisir à tout le monde.
- Ta générosité t’honore, s’amusa Harada, mais je crois que ce que Heisuke essaye de dire c’est que quelqu’un d’autre pourrait s’en charger, pour une fois.
- J’ai compris, intervint Nagakura d’un ton résigné, je vais en préparer. »
Un bref silence s’ensuivit alors que la plupart le considéraient avec surprise. Il les regarda d’un air embarrassé avant de soupirer :
« C’est une longue histoire… »
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