Le mendiant et le crocodile
Il était une fois un petit bonhomme, rugueux comme un vieux crocodile, qui rechignait à vivre. Il était triste, tout pétri de douleur dans son appartement grisâtre. Son ciel était vide comme un bureau en août. Ses yeux étaient pâles comme un honneur perdu.
Il vivait sans espoir ni couleur. Ses mots étaient grognements, ses cheveux étaient faux, tout hérissés de peur, et il faisait contre mauvaise fortune, con cœur.
Sous sa fenêtre vivait un pauvre hère, parfait anonyme dans les rues de la ville, un mendiant si jeune et déjà usé, blasé, rusé comme un gamin sur un terrain de foot, profond comme une verrue sur le nez d’une belle plante.
Un jour qu’il clopinait en direction du Sud, le bonhomme s’emmêla les jambes, le nez, les pensées, et catastrophe ! tomba tout arrogant, aux pieds du mendiant. Celui-ci était rond, comme bien souvent, comme une barrique égocentrique et alcoolique, bref comme son père avant lui !
Le mendiant hésita, tout confit dans sa vision des choses, dans son rêve de gloire et de bouteilles ; il rêva de donzelles, compta quelques moutons et pensa soudain, à ramasser le vieux écroulé sous ses yeux. D’un mouchoir de fond de poche, il fit un doux coton pour éponger les plaies ; d’un vieil édredon gris, il fit un lit douillet où installer le bonhomme. De deux ceintures mitées, il fit un bon harnais pour le maintenir ferme.
La guérison fut lente ; mais plus un jour ne passe sans que le bonhomme, chapeau bas, ne descende saluer son voisin du bas d’un sonore « Bonjour, Monsieur ! ». D’ici à ce que l’amitié ne germe, il n’y a plus qu’un pas ! Qui rendrait à chacun, comme une élévation, sa belle condition d’Homme.
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