Souvenirs vagues
Je me souviens parfaitement à quel point j'eus ressenti de la frayeur quand I. vint m'annoncer que c'était "l'heure" pour tous de se faire couper les cheveux.
Les seuls choses que je possédais à l'époque étaient mes vieux bouquins, mes clopes ; mon esprit, mon corps et mon coeur. De plus mes cheveux étaient longs, bouclés, beaux et blonds...
Les premiers jours si je me souviens bien, je n'avais qu'un seul vêtement. Il était sale et ce fut uniquement quelques jours après que je reçus de nouveaux vêtements.
Le simple fait de pouvoir porter un pantalon propre, un caleçon propre, une chemise et un pull propre, était comme un véritable don du ciel. Je devinais dans le ciel Dieu qui daignait me regarder de nouveau, et me tendre la main.
Dans la chambre, je tentais de trouver refuge dans quelques bouquins compliqués ; sur des thématiques qui semblaient n'exister qu'au sein d'eux-mêmes, dans un univers totalement opposé à la réalité pure, réelle et brute de ce monde.
Beaucoup plus tard après cet incident, un viel ami me demanda de lui écrire une sorte de prose, qui résumerait de manière très brève toute cette douloureuse expérience. Dans un excès de rage et de panique, je lui écrivis ceci :
" Je vais écrire pour ceux et celles qui n'ont pas la possibilité de le faire. Je vais écrire pour ceux et celles qui ne savent exprimer leurs sentiments à travers l'usage des mots. Je ne vais pas écrire pour satisfaire mon égo ; bien que j'en possède un comme tous les hommes en possèdent.
Je vais écrire pour dénoncer les atrocités de ce monde que j'ai vues.
Je vais crier s'il le faut. Je vais hurler s'il en devient nécessaire. Je ne suis d'aucun parti politique mais je respecte les points de vue de chacun ; il semblerait que je sois quelqu'un de tolérant va-t-on dire. C'est pour cela que je n'oserais pas faire part de mes idées politiques.
Je n'ai point de formation littéraire ; si par méprise je réalise quelques fautes odieuses ; ô chers intellectuels et chers penseurs : veuillez s'il vous plaît m'en excuser. Vous savez, il y a des gens qui savent penser sans pour autant avoir étudié durant des années et des années... Mais vous le savez bien, je le sais au fond de mon cœur.
J'en ai vu un qui a trimé toute sa vie dans une usine pour finir au fond du trou
J'en ai vu une qui pleurait parce qu'elle ne pouvait plus voir son chien
J'en ai entendu un crier dans la camisole chimique
J'en ai entendu une se briser le nez parce qu'elle était en crise
J'en ai vu un qui parlait tout seul dans sa chambre
J'en ai vu un piquer les cigarettes des autres quand ceux-là dormaient
J'en ai vu plusieurs se battre pour une tasse de café supplémentaire ou bien pour une cigarette industrielle
J'en ai vu une cogner contre la porte
J'en ai vu un pleurer dans sa chambre en se disant : « Mais qu'ai-je fait pour finir ici ? »
J'en ai vu un critiquer la nourriture alors que chaque repas offert est précieux, selon mon avis
J'en ai vu une qui savait qu'à sa sortie elle finirait à la rue
J'en ai vu une qui baisait pour obtenir sa drogue
J'en ai vu un manipuler les autres alors qu'il était lui-même manipulé par son idiotie et sa malveillance
J'en ai vu un qui harcelait une femme : alors que cela se voyait dans son regard qu'elle n'était point intéressée
J'en ai vu une qui ne savait lire mais qui adorait les poèmes que je lui lisais
J'en ai vu une qui ne voulait pas manger car elle voulait maigrir
J'en ai vu qui était mon plus grand ami devenir un monstre terrifiant
J'en ai vue une à l'hôpital qui était devenue toute maigre à cause d'un homme qui l'a brisée en mille morceaux
J'en ai vu un s'enfuir! J'en ai vu un pleurer! J'en ai vu un crier!
J'en ai connu un qui avait fini à l'hôpital car il s'était donné des coups de marteaux parce qu'il avait cru avoir violenté une femme. Son plus grand malheur était de l'avoir trop aimée.
[ ... ]
Le soir constituait le monde le plus propice à la réflexion, à la mélancolie ; et à la contemplation du ciel, des quelques fleurs et petits arbres qu'il y avait. À l'image de l'aube. Je n'étais réellement heureux qu'à ces deux instants du jour. Mais le matin il semblait que j'étais davantage un homme heureux. Je ne saurais pas dire exactement pour quelle raison. La nuit me fait pleurer, sangloter ; et me fait peur car au fond, si l'on y réfléchit bien, on ne peut pas prétendre avec exactitude que l'on va se réveiller le lendemain. Tout cela teinté de l'idée de la mort.
[ ... ]
Souvent, afin de passer le temps et pour ne pas perdre la tête j'essayais de me souvenir de tout et de rien. Des fragments de pensée me venaient et des bribes de mon passé m'envahissaient. Comme on ne pouvait pas sortir, je n'avais pas beaucoup de papiers et je tremblais trop des mains pour dessiner. Ainsi, j'écrivais des poèmes sur les personnes que j'avais connues, sur les personnes que j'avais aimées mais aussi sur les personnes qui m'ont fait mal :
I
Je me rappelle d'une jolie blonde aux lèvres rouges qui s'appelait Mélodie
Je devenais sous ses pulls fins de petits seins roses
Le soir Elle s'épilait les jambes de manière minutieuse
Parfois Elle portait de petits shorts et l'on pouvait alors apercevoir ses belles jambes
Sexuelles et merveilleuses
II
Elle portait des lunettes et ses cheveux blonds rayonnaient à travers la nature et le monde
Dès qu'on discutait un peu En parlant des tâches ménagères à faire
J'entrais dans un moment de plaisir et de volupté
Elle était très intellectuelle Elle lisait d'immenses bouquins de psychologie
Et s'intéressait fortement à la lange anglaise
Elle ne fumait pas Elle ne buvait pas
III
J'étais intimidé par elle et tentais toujours de paraître brave
J'étais jeune Enfin plus jeune qu'elle
C'était la seule qui me respectait et m'encourageait dans l'travail
Je m'arrangeais toujours pour être avec elle dans les balades qu'on organisait
Elle conduisait et je me taisais
Je regardais les paysages et J'écoutais la radio
Je n'osais pas trop parler Ce devait être gênant pour elle
Elle était très « arts plastiques » avec les vacanciers
Moi je discutais avec les vacanciers dehors
En fumant mes cigarettes
[ ... ] Mais également des souvenirs de certaines femmes que j'avais rencontées à l'université:
Elle portait un simple pull orange
Sa coiffe était simple et ses cheveux étaient noirs
Pas de maquillage Nuls artifices Pas de frange
On m'a dit qu'elle conduisait Qu'elle tenait le mors
D'une Citroën jaune pâle Petite et simple
Sa peau était d'un velours rose et blanc
Elle est calme et silencieuse
Elle est très belle et très ambitieuse
Elle se baladait en rollers à l'université
J'ai essayé d'entamer un dialogue vite écourté
Son ami n'aime pas le parfum du tabac et il a horreur des cendres
J'ai pas trop communiqué avec le groupe social établi et je ne faisais que descendre
J'allais souvent cloper Deux trois cigarettes Devant l'entrée
Dans une conversation pleine de banalités
J'ai deviné qu'elle avait un copain à Rouen
Pas de sanglots Pas de regrets
La suite Je ne l'ai pas écouté attentivement
C'est une jeune femme studieuse
Son visage aux traits simples disait d'elle
Qu'elle était de nature anxieuse
Je ne toque pas à une porte quand elle est fermée
Je n'essaye même pas d'y entrer
Je rebrousse chemin et je rentre avant la fin de la journée
[ ... ]
Ainsi je tentais de m'évader à travers la poésie. Mais c'est aussi à l'hôpital, que je découvris de nouveau le goût à la musique. En effet, lors des premiers jours, je dus faire une multitude de prise de sang et un jour je remarquai qu'il y avait une guitare dans le bureau des infirmiers. Timide, fatigué et barré, je discutais avec les infirmiers, lorsque je leur dis: " Ah, je n'avais pas vu, mais il y a une guitare ici, vous en jouez? ". Ils me regardèrent, étonnés, et me dirent : " Oui il y a deux trois infirmiers qui en jouent, pourquoi? Vous vous en jouez? ". Je leur dis que oui et leur demandai si je pouvais en jouer un peu ; que cela me détendrait... Au tout début, ils étaient très méfiants mais dès que je pris la guitare et l'accordai ; ils me regardèrent avec étonnement et me laissèrent en jouer dès que je le souhaitais...
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