Depuis cette soirée, j’ai continué mon chemin, le cœur plus léger à défaut du portefeuille beaucoup mieux garni. Je n'ai pas à me plaindre, cependant. Si la gloire ne m'a pas souri, je n’ai pas arrêté de peindre. J'ai trouvé des amateurs, de loin en loin, juste assez pour me convaincre de ne pas changer de route. J’ai trouvé un emploi – un vrai métier, comme aurait dit maman – dans une banque, parce qu'on ne vit pas souvent de son art, mais que rien n'empêche de vivre avec. Et puis j'ai trouvé Maria, et tout ce qui va avec Maria. Maman est toujours là, je le sais. Il m’arrive encore, certains soirs, seul devant une toile difficile, de sentir la violette, et parfois même ses bras autour de mes épaules. Mais ils ne me font plus mal, maintenant. Ils me réchauffent, simplement.

Je n'ai plus jamais assisté le docteur mais, comme tout le monde, j’ai beaucoup entendu parler de lui. Ses travaux en ont vite fait l'un des esprits les plus influents de Vienne. Il n’y est, bien sûr, plus question de golems ou de fantômes. Il a vite compris, je pense, qu’il faut à cette époque nouvelle des termes nouveaux, qui sentent le progrès technique et social.

Je l'ai revu hier soir, à une exposition où j'avais pu accrocher quelques toiles. Nous avons discuté de nos parcours respectifs. Il ne fut pas question de notre première rencontre, ni des fantômes. Mais au moment de prendre congé, il me dit simplement :

- Vous transmettrez mes amitiés à Madame votre mère.

Et je lui répondis :

- Je n'y manquerai pas, docteur Freud.