Nouvelle ère
Un éclair d'une éclatante lumière bleutée fusa des mains tendues et serpenta dans l'atmosphère saturé d'énergie mystique. Il frappa de plein fouet sa cible, qui n'eut pas le temps de se protéger. Elle fut projetée sur des dizaines de mètres avant de rebondir plusieurs fois sur le sol et de finir sa course contre le mur opposé. Un deuxième vint aussitôt la percuter puis un troisième, ce qui lui arracha un cri de douleur. Elle répliqua pourtant immédiatement. Son agresseur s’affaissa face contre terre, comme écrasé par un poids invisible. Il grogna de mécontentement et fit bouger son index. Un craquement sec plus tard, une barre en métal fendit l'air à une vitesse fulgurante et percuta l'abdomen de la jeune femme qui ouvrit grand la bouche, soudainement privée d'oxygène. Elle tenta de repousser la poutre à la seule force de ses bras, cherchant à tout prix à avaler une goulée d'air. L'assaut de son assaillant lui avait fait relâcher son attention, et il fut libéré de son emprise. Tout en gardant sa main devant lui, il se releva, en profita même pour épousseter son manteau en fourrure bleue d'un geste altier de la main. Il savait qu'il avait remporté la bataille et par extension, la victoire. Mais il n'allait pas pour autant prendre le risque de laisser ne serait-ce qu'une seconde de répit à sa victime. Elle était dangereuse et féroce, et n'hésiterait pas à le mettre hors d'état de nuire à la moindre ouverture.
Il plongea ses yeux dans celle de la jeune femme toujours coincée entre le mur devant lui, ses pieds touchant à peine le sol. Ses perles de sueur se coulaient le long de ses tempes et une grimace de douleur tordait ses lèvres. Un étau compressa le cœur de l'homme à la vue de sa victime souffrante. Il savait qu'il n'allait jamais pouvoir se pardonner ce qu'il allait faire. Mais il en était de la sauvegarde du monde et il ne pouvait pas continuer à fermer les yeux sur ses agissements.
Il s'approcha d'elle, tandis qu'elle se débattait toujours comme un beau diable. Soudain, elle s'immobilisa et une lueur mauvaise traversa ses pupilles entourées de rouge. Il réagit une fraction de seconde plus tôt qu'elle. D'un mouvement si rapide qu'il aurait paru être invisible pour des yeux inhabitués aux arcanes, il dressa son index et son majeur, abaissa les autres doigts et poussa. Le corps de la femme s'enfonça d'un bon mètre dans le mur en béton et elle cria de douleur. Il en profita alors pour faire jouer sa main gauche, et quelques secondes plus tard, deux autres barres en fer se plaquèrent sur les poignets de la frêle créature.
Comprenant qu'elle était piégée, elle hurla sa frustration.
— Je n'ai jamais voulu ça, Sierra... murmura l'homme d'une voix douce.
La femme le fusilla du regard.
— Tu ne comprends rien, Lukas, cracha-t-elle. Nous aurions pu régner sur le monde comme des rois. Tu ne vois donc pas à quel point nous sommes puissants ?
Le dénommé Lukas secoua tristement la tête.
— Tu as toujours été assoiffée de pouvoir, et ce, depuis toute petite. Je n'aurais jamais dû t'entraîner dans tout ça. Pardonne-moi.
L'enchanteresse ricana avec dédain.
— Ne me prends pas pour une faible d'esprit. Tu avais besoin de moi pour percer tous les secrets de la magie. Maintenant que tu les connais, je ne te sers plus à rien. J'aurais dû me servir de toi comme tu l'as fait pour moi. Mais aujourd'hui, tu ne fais que me mettre des bâtons dans les roues et tu m'empêches d'accéder à la quintessence de la magie.
— Nous avons exploré ensemble toutes les possibilités que pouvait nous offrir cette énergie, rétorqua Lukas. Toi seule est persuadée qu'il existe autre chose.
Sierra plissa les yeux.
— Tu es faible, Lukas, et peureux. Tu es et tu ne resteras qu'un couard. Quant à moi, je te surpasserai et tu me supplieras de te pardonner lorsque j'aurais atteint la toute-puissance.
Lukas baissa les yeux et soupira lentement. Lorsqu'il les posa de nouveau sur elle, la jeune femme comprit la décision qu'il venait de prendre.
— C'est là que tu te trompes. La magie est bien trop dangereuse et il ne faut pas qu'elle tombe entre de mauvaises mains. Je ferai tout pour protéger notre monde. Et s'il faut te neutraliser pour cela, alors soit.
Il leva la paume de sa main et dessina un symbole complexe dans les airs, sous les yeux horrifiées de la magicienne.
— Lukas, ne fais pas ça ! cria-t-elle.
Elle tenta de se libérer mais elle savait que son frère était plus puissant qu'elle dans la manipulation de la matière. Une sonnerie stridente s'échappa des haut-parleurs aux quatre coins de la pièce tandis que la boule d'énergie bleuâtre au centre de celle-ci vira dangereusement au rouge ardent.
— Adieu, souffla-t-il.
— Attends Lukas ! le supplia Sierra dans un dernier cri.
Mais la silhouette de son frère s'évapora dans les airs, la laissant seule dans la pièce. Autour d'elle, les murs commençaient à se fissurer et des morceaux du plafond tombèrent dans un fracas assourdissant, faisant voler une montagne de poussière. Exécutant les ordres donnés par l'incantation du mage, le bâtiment entamait sa lente destruction.
Puisant dans ses dernières forces, elle tira de toutes ses forces et parvint à décrocher la barre enserrant sa main droite. Un bloc de roche tomba et la toucha au même moment, lui éraflant le bras. Elle retint un gémissement et leva les yeux sur la boule devant elle, qui ne cessait de grossir. Elle engloutissait maintenant le mécanisme qui l'entourait, faisant fondre le métal qui la touchait. Elle voulut lever sa main pour user de sa magie, mais son membre ne lui répondait plus. Un nerf devait avoir été sectionné, la privant de sa liberté de jouer de son bras.
Toute la pièce craqua dans un bruit assourdissant, les étagères renversèrent leur contenu en tout genre sur le sol. La chaleur qui émanait de la sphère au centre faisait fondre la matière autour d'elle, créant une flaque de magma qui s'approchait dangereusement de la prisonnière.
La femme leva alors son visage en direction du ciel et hurla sa rage et son désespoir.
— Je te hais, Lukas !
Lorsqu'il réapparut sur le toit d'une bâtisse quelques centaines de mètres plus loin, Lukas fut parcourut d'un frisson de dégoût. Il avait envie de vomir pour ce qu'il avait fait. Au moment où il se retourna, ce qui avait été son refuge pendant toutes ses années disparut dans une effroyable explosion. Le souffle l'atteignit et souleva son grand manteau bleu. L'incendie illumina le ciel d'une couleur rougeâtre. Des centaines d'années de recherche s'évaporèrent dans la nuit noire à travers la fumée dense. Il ne restait plus aucune trace de l’abomination qu'ils avaient créée. Plus aucune trace si ce n'est lui-même.
Pris d'un haut le cœur, il se pencha par dessus le vide et recracha le contenu de son estomac.
Il venait d’assassiner froidement sa sœur.
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