Le bateau de cuivre

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C’est pas tous les jours qu’on a le kairos et l’essor pour une grande aventure… Mais j’ai embarqué, en rêves, dans un bateau de cuivre.

Il fait « pam », « pom », parfois « piiin » contre les remous des houles, et la cloche à son mât s’agite avec le vent, respire avec la bonace, tinte à peine quelque éclat quand quelque éclair annonce orage ; c’est une drôle de musique, comme des nues hachées par les élans d’un peintre. Son ventre grouille de secrets et de possibles, comme un grand coffre au trésor ! j’y ai déjà mis le mien, pris par l’espoir accompli que certains puissent s’y glisser… Comme c’est bon de se sentir franchir l’embrun, d’engloutir à bord d’un navire des milles d’ondées portées ! Il rutile avec superbe et candeur à travers l’océan, tressant aux coquillages son épopée marine.

Savez-vous, le cuivre ne flotte pas bien ; aussi le bateau plonge sans cesse par la proue ! mais par quelque miracle, peut-être le rebond des vagues, il bascule aussitôt et c’est la poupe qui renverse. C’est assez embêtant, mais aussi très rigolo : il faut courir d’un bout à l’autre, se gonfler, se dégonfler afin de suivre l’harmonie. Il tangue tant que la question se pose : le calme de la mer ne l’y condamnerait-il pas ? Faut-il prier pour tout ce trouble et ces chavirements ? À mon grand étonnement, il fonce aussi bien par temps calme et par tempête ; rassurons-nous. Et puis, les rêves sont les rêves.

Je ne suis pas le capitaine, et ne veux pas l’être encore ; j’ai bien assez à mener ma propre bouteille (qui ne m’écoute jamais !), à griffonner des souhaits et songes sur mes papiers d’écume. Non, le capitaine est un monsieur charmant au visage d’une étrangeté nouvelle (j’ai longtemps peiné à m’en souvenir), un genre de dandy posé aux sourires constellés de préoccupations. Il rayonne de l’air quiet et tranquille de ceux qui savent, j’aime la bulle que ça tisse et qui m’échappe ; son solaire lui a valu mil triomphes et coquillages ! Nostalgie conte ses éclats, j’y goûte en airs d’anemoïa ; lui inflexible, et moi courant d’un bout à l’autre du navire. Vraiment, les bateaux, ça n’est pas pour moi… mais bon, les bouteilles non plus.

Il s’occupe de tout, mais principalement d’être là ; de regarder tantôt au loin, tantôt les interrogations que mes sourcils, fronçant, font naître. Dans cette affaire, je suis plutôt bien loti, je n’ai pas grande œuvre à penser : faire la vigie ; déchiffrer les instructions des machines ; calculer les trajectoires ; activer les soupapes ; bondir parfois très haut, parfois très bas, pour gérer le balancement ; gonfler, dégonfler ; gonfler, dégonfler ; gonfler… Pas de cadeau ! au moindre écart, ça ripe d’un côté, de l’autre ; son navire change ses tendres chants en stupeurs et fracas et heurts sur les remparts des vagues. Quel bazar alors, quand l’eau s’amasse dans ses tubes, glisse jusqu’au pavillon… Il faut les vider, un à un, sur un des trajets poupe-proue, de sorte que le grand ballet ne s’en trouve pas perturbé. Quand je m’entête à trop penser, le capitaine me jette des coquillages ; me dit de laisser le vent faire, d’un air distrait mais savant ; que, « de toute façon, un bateau de cuivre, c’est binaire » : ça avance ou n’avance pas. Je respire un instant, l’entend, l’écoute. Je souris aux coquillages.

Et ça marche. Et j’en ris. Et le monde autour s’anime dans un souffle qui va droit.

Je ne connais pas bien, moi, les bateaux de cuivre. C’est fait pour conquérir la mer, me dis-je grandi par la proue ; et s’il n’a pas de voiles, c’est qu’elles se cachent dans son balancement. Cela mis à part, j’en suis tout à fait novice ; c’est, à vrai dire, par un facétieux hasard que je me suis retrouvé là. Je rêvassais doucement, voguait à accrocher des songes, à les mirer, les toucher, les goûter, rougir de leur sucré. J’y peux errer longtemps ; de ces promenades au son de feuilles mortes ballottées par le vent jusqu’à mes eaux d’écume et conques. Puis tout a chaviré alors que j’en approchais un. Dans un tourbillon d’évidences, j’ai aperçu un reflet roux, des navires titans et l’aspect d’un souvenir rouge. J’étais perdu. Je me suis accroché à ce que j’ai pu, un spectre riche et puissant que je voyais braver le temps, saillir d’entre les autres mondes ! À mon réveil, au son des vagues, son capitaine me fixait ; j’avançais, moi, timidement, dans ce refuge tout de cuivre. J’eus alors droit d’embarquer pour un merveilleux voyage.

Je ne sais rien du devenir de ce bateau ; de notre épopée, surtout. J’en ai parlé à ୭~☁,(ça l’a beaucoup amusée !) et j’emmène avec moi l’éponge sans rien dire au vélo quand vient le temps d’une escapade. Elle semble s’y plaire, apprécier de se dégonfler et se gonfler de cuivre ; j’aime, moi, y laisser mon coffre et le retrouver transformé (certains de mes trésors s’évadent afin d’orner le navire, d’autres s’invitent au chaud dedans). Je garde précieusement les coquillages que me jette le capitaine, et espère encore souvent me tromper ! ils me sont précieux.

Je sais que certains sont déjà nés dedans mes yeux.

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