1.19 – Le plan de Manon

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J’adore qu’un plan ce déroule sans accrocs.”

Phrase récurrente d’Hannibal Smith dans l’Agence tous risques.


Reprenant son rôle de Rose, Marie-Sophie entra chez madame de Sautdebiche.

— Rita n’est pas au mieux de sa forme. Je la remplace ce matin.

— Très bien Rose. Le lit est à faire, pas besoin d’effectuer tout le ménage, tu as déjà bien assez de travail.

Dans un coin, Dame Gertrude brodait. Sa mine fatiguée, ses traits tirés indiquaient les tumultes d’une nuit épouvantable. Il fallait la décider à agir le plus rapidement possible.

— C’est un vrai scandale cette histoire de vicomtesse ! Avez-vous entendu les dernières nouvelles concernant l’affaire ? L’implication et l’arrestation d’Alphonse… Il y a aussi ce fameux livre.

L’espionne, tout en tirant les draps, guettait les réactions de Dame Gertrude. Pour l’instant celle-ci gardait les yeux baissés sur sa broderie afin de ne pas être prise à partie.

Constance voulut rassurer Rose.

— Ne vous en faites pas mon enfant, vous n’êtes en rien concernée et tout va rentrer dans l’ordre sous peu.

Le moment de lâcher l’information arrivait enfin.

— J’ai entendu Messire votre mari dire qu’il comptait faire passer Alphonse à la question. Il le soupçonne d’avoir un commanditaire. Afin de le percer à jour, il a fait mander un bourreau à Ledo Salunarius.

Tandis que la chevaleresse tapotait les oreillers de Constance, Gertrude devint blanche comme un linge. Un sourire fugace se dessina sur les lèvres de Marie-Sophie.

— Ma cousine, je suis un peu fatiguée, je souhaite me retirer dans mes appartements, prétexta la vieille mégère.

Recevant l’assentiment de Constance, elle quitta la pièce. Comment faire ? En tous cas il faut agir avec promptitude. Le geôlier est un ivrogne notoire, autant en profiter.

Elle n’avait pas une minute à perdre. Aussi, se dirigea-t-elle directement vers ses appartements. Elle ouvrit son secrétaire et actionna un mécanisme. Une petite trappe apparut. À l’intérieur, différentes poudres enfermées dans des sachets attendaient d’être choisies.

Sans hésiter, Gertrude attrapa la substance désirée, puis se précipita aux cuisines.

— Madame aimerait un peu de vin. Elle est bouleversée par tout ce qui se produit au château depuis hier soir et a besoin d’un remontant.

La fille de cuisine ne chercha même pas à comprendre et le lui remplit une carafe au tonnelet entreposé dans la pièce. Munie du breuvage, Gertrude atteint bien vite la cour du château.

Elle déposa la carafe de vin sur une petite fenêtre et se rendit aux écuries où le palefrenier nettoyait les stalles.

— Bien le bonjour Luc !

Il leva le nez du crottin.

— B’jour mame Gertrude !

— Messire m’envoie pour que tu sortes son cheval. Il n’a pas été monté depuis un moment et il aimerait que tu l’emmènes faire un grand tour, jusqu’à l’après-midi.

Satisfait à l’idée de changer d’activité, Luc se dirigea immédiatement vers l’emplacement où se trouvait l’animal. Il préférait sortir les chevaux que de s’éreinter le dos à renouveler la paille. Aussi, Gertrude tourna les talons. Elle avait encore tellement à faire !

Tout d’abord, récupérer son pichet, y déverser la poudre, puis l’emporter aux geôles.

En approchant de la prison, elle entendit des beuglements infâmes en sortir. Elle ouvrit la porte :

« En revenant de Nantes, en revenant de Nantes… »

C’était Albert qui chantait à tue-tête. Une voix plus mélodieuse lui répondit depuis un des cachots :

« De Nantes à Montaigu... »

— Eh bien Albert ! Je vois que l’on s’amuse ici ! s’exclama Gertrude. N’avez-vous donc que cela à faire ?

Le gros rougeaud sursauta et la chanson s’interrompit dans l’instant.

« Que se passe-t-il Albert ? interrogea la voix de l’autre côté de la porte.

— Hum ! Hum ! Bonjour Dame Gertrude, dit-il très fort pour qu’on puisse bien l’entendre.

Ellanore, car c’était elle la chanteuse, comprit la situation et se tut, afin de ne pas mettre le geôlier dans une mauvaise posture. Malgré les circonstances défavorables, ils avaient sympathisés.

— J’ai ceci pour Alphonse. Monsieur souhaite le griser afin qu’il boive pour pouvoir lui extorquer plus facilement des aveux. Voilà déjà de quoi commencer.

L’homme se précipita tout en boitant gauchement afin de récupérer le pichet. Une lumière s’alluma dans son regard.

— Ce s’rait p’têtre plus prudent que j’goûte d’abord, vous, n’croyez pas Dame Gertrude ? Des fois qu’y soit pas bon.

Celle-ci opinât du chef.

— Il faut récompenser les hommes de valeur, les honnêtes gens, répondit-elle.

Albert ne perdit pas une seconde et but avidement. Quelques goulées lui firent un bien merveilleux… ou peut-être pas tant.

— Ouh ! Ah ! Qu’est-ce qui…

Le pauvre Albert se saisit l’estomac à deux mains, laissant choir la poterie contenant le merveilleux liquide rubicond. Les yeux rivés d’effroi sur Dame Gertrude dont le regard froid l’observait, il s’affala et, allongé sur le sol, il se tordait de douleur. Ses yeux se révulsèrent et de la bave apparut au coin de sa bouche. Lorsqu’enfin il ne bougea plus, Dame Gertrude se pencha pour récupérer les clefs accrochées à sa ceinture. Elle nettoierait plus tard : elle en aurait le temps. Deux portes s’offraient à elle. Elle connaissait, grâce aux chansons, celle qui menait à son complice.

Lorsqu’il sortit, il s’étonna de voir Albert au sol et tourna son regard vers s a complice.

— Il dort ? Ou ?…

Le voleur s’agenouilla près du cadavre pour l’examiner. L’évidence le frappant alors, il écarquilla les yeux devant la scène.

— Tu l’as refroidi ! Merde ! Pourquoi t’as fait ça ?

— T’occupes pas de ça, c’est mes affaires. Va aux écuries, discrètement. Là tu prends un cheval et tu files, que je ne te revoie plus jamais !


§


Isabelle, cachée dans une stalle aux écuries, ouvrit celle du cheval de sa mère, et sella la vieille bourrique qui n’irait pas bien loin. Elle se cacha à nouveau et attendit.

Du bruit lui parvenait de l’extérieur, quelqu’un approchait. Quelques secondes plus tard, la silhouette d’Alphonse se profilait dans l’embrasure de la porte principale. Voyant une stalle ouverte et un cheval sellé, il grimpa dessus, et quelques instants plus tard, sortait des écuries.

Isabelle avança les opérations pour leur départ, en préparant les chevaux et cherchant l’armement qui se trouvait dans la calèche.


§


Manon, qui avait observé la scène depuis une fenêtre, prévint Monsieur de Sautdebiche.

— Messire ! Il est temps d’intervenir ! J’ai vu Dame Gertrude entrer dans les geôles, et Alphonse s’est enfui.

Quand ils arrivèrent, la vieille traînait sa victime puant le vin dans une cellule. Interdite, Manon marqua le pas et retint un cri. Le sieur de Sautdebiche qui arrivait derrière s’immobilisa un instant.

Reprenant ses moyens, Manon sortit sa dague et la menaça. Lâchant la dépouille d’Albert, Gertrude s’enfuit au fond de la pièce.

Le Chevalier avança.

— Qu’est-ce qui vous prend Gertrude ? Qu’avez-vous fait à cet homme ?

— Oh ! Bonjour Henri ! Albert s’est blessé je crois. C’est certainement Alphonse qui l’aura assommé, en s’enfuyant !

— Ne me prenez pas pour un imbécile !

Le vieux chevalier s’échauffait, ses yeux exprimaient la colère et la détermination.

— Vous voilà devenue meurtrière ! Jusqu’à présent vous n’étiez coupable que de duperie, mais maintenant vous avez sur les mains le sang d’un homme. Je ne pardonnerai pas !

— Bah ! Ce n’était qu’un vieil ivrogne, il n’y aura personne pour le regretter !

— Vous avez encore l’affront de me répondre ! Taisez-vous, vous me dégoûtez ! Prenez conscience que désormais, c’est l’échafaud qui vous attend, et cela m’étonnerait que l’on vous regrette.

Le chevalier tira le cadavre en hors de la cellule pendant que Manon arrachait les clefs des mains de la meurtrière. Ils enfermèrent la cousine de Constance.

Ils se signèrent tout deux et tracèrent une croix respectueusement au dessus du corps.

Henri de Saudebiche approcha de Manon pour lui murmurer :

— Maintenant, je vous laisse les délivrer. Je regrette que leur liberté ait coûté une vie… Même celle d’un vieil ivrogne. Personne ne pouvait deviner. Gertrude est la seule responsable. Nous nous occuperons plus tard d’Albert. Je me retire pour l’instant. Faites ce que vous avez décidé, vous avez les clefs.


§


Marie-Sophie avait récupéré son armement dans sa chambre et s’était habillée pour la monte. Haubert, écu et arbalète étaient adroitement dissimulés dans une grande pièce de tissu. Elle caressa son bouclier où figuraient ses armoiries, de sable au lion léopardé d’argent, lampassé de gueules, avec un chef identique à celui des autres chevaleresses. Depuis deux mois, elle n’avait pu les utiliser.

Elle attendit que le seigneur des lieux ait regagné ses appartements pour dévaler les escaliers.

Isabelle était dans la cour et criait le plus fort qu’elle pouvait :

— Alphonse s’est échappé ! Il a pris un cheval et s’est enfui !

Le sergent arriva en courant suivi de ses hommes

— Il a utilisé celui de mère, je l’ai vu sortir de l’étable !

L’homme d’armes et ses subordonnés arrivèrent rapidement et se dirigèrent afin de prendre leurs chevaux et partir à la poursuite d’Alphonse.

La chevaleresse au lion et Isabelle partirent en direction des geôles. Ouvrant la porte, elles découvrirent le corps inanimé d’Albert et une Manon déconfite qui détenait les clefs dans une main.

— C’est Gertrude, elle l’a empoisonné. Si je n’avais pas proposé ce plan, il serait encore en vie !

La chevaleresse posa la main sur son épaule :

— Écoute jeune fille, c’est triste, mais tu ne dois pas t’en vouloir. C’était ton plan certes, mais tu n’as pas décidé de sa mort. Gertrude est une femme mauvaise, je la côtoie depuis deux mois et je l’ai bien remarqué. Si elle n’avait fait aucun mal, nous n’en serions pas là. Ouvrons cette porte, nous n’avons que peu de temps avant le retour des gardes.

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