3.5 –Entraînement
“ Pour réussir dans la vie, il faut travailler.
— Va dire ça à ces fils de nobles bien nés. ”
Elles parvinrent au terrain d’entraînement dans la haute cour du château. Une trentaine de filles tenaient dans leur main une épée et frappaient sur une quintaine sous les ordres d’une chevaleresse.
— Je ne vois que des filles d’à peu près notre âge, s’étonna Manon.
— Oui je ne donne pas accès aux armes à des filles trop jeunes, le danger serait trop grand.
Isabelle fut surprise de reconnaître Adélaïde.
— Un ! Tiens mieux ton arme ! Deux ! Trois !
— Oui, Adélaïde est la maîtresse d’armes en chef, d’autres viennent la seconder, notamment Ellanore. Leur style de combat diffère et il est nécessaire que nos jeunes voient toutes les techniques.
— Quatre ! Cinq ! Six ! Toi, ta position !
Opale de Montbrumeux éleva la voix :
— Adé ! Je t’amène Isabelle et Manon, je leur fournis du matériel !
Adélaïde répondit par un signe affirmatif de la tête, sans interrompre son activité.
— Sept ! Huit ! Redresse ton pied ! Neuf ! Dix ! Et un !
Les trois femmes entrèrent dans un bâtiment à l’arrière de la cour, une frêle jeune fille y rangeait des armes.
— Judith, pourrais-tu fournir un équipement aux nouvelles ? Elles ont besoin d’une cotte matelassée et une épée assez légère.
Une dizaine de minutes plus tard, Manon et Isabelle ressortaient avec leur attirail.
— Vous vous installez ici, recopiez les mouvements sur les autres.
Elle reprit son décompte décimal, continuant à prodiguer ses conseils en un langage lapidaire, mais efficace. De nombreuses apprenties avaient plus ou moins abandonné, vaincues par la fatigue. À côté d’elles Théodora souffrait, mais s’acharnait.
Leur arrivée lui donna un peu plus de courage encore. Maladroitement, elles tentaient de copier ses mouvements, mais l’épée, quoique légère, s’avérait lourde à manier. Chaque coup porté mettait à l’épreuve leurs petits bras.
Différents mouvements se succédèrent jusqu’au moment où Adélaïde siffla entre ses doigts, signal qui indiquait la fin des exercices. Toutes furent soulagées de pouvoir souffler un instant.
— Non mais comment tu fais pour tenir aussi longtemps ? lança Isabelle à leur nouvelle amie.
— Vous en faites pas les filles, dans un mois, vous y arriverez tout aussi bien, si vous ne lâchez pas. J’étais pas plus costaude que vous quand je suis arrivée. Tout est dans la volonté. Si on se tient les coudes toutes les trois, nous y arriverons.
Ellanore vint seconder Adélaïde pour la deuxième phase d’entraînement. Deux lignes furent définies, une première formée des quinze plus anciennes, avec des boucliers et un glaive, les nouvelles ne maniaient qu’une épée.
Les deux lignes face à face devaient exécuter des mouvements précis donnés par les deux professeures. Quand elles eurent montré l’exercice, toutes tentèrent de le reproduire pendant que les instructrices passaient dans les rangs, apportant çà et là. À un claquement dans les mains de la maîtresse d’armes, la ligne des débutantes tournait et l’on changeait de partenaire.
Isabelle et Manon copiaient de leur mieux les leurs camarades et parvenaient grossièrement à effectuer l’attaque demandée.
La plupart de leurs partenaires se montrèrent amicales, engagèrent un peu la conversation, leur donnèrent des conseils pour s’améliorer.
Après quelques changements, Isabelle se trouva face à Fabiola.
— Salut la nouvelle, il paraît qu’on a été récupérée par la comtesse. Ça en impressionne peut-être certaines, mais ça prendra pas sur moi.
— Je n’ai pas cette prétention, je suis comme toi, j’apprends, je ne demande pas plus.
— Ouais ben, tu sauras vite qu’ici c’est moi qui mène la danse, j’suis la fille d’un prince de sang.
— J’aime pas tes manières, tu me provoques, ici tout le monde est au même niveau. Dame Opale nous l’a bien dit.
— Ouais Dame Opale par-ci Dame Opale par là ! Tu ne vas pas aller pleurer dans ses jupons !
Isabelle tenta d’effectuer son exercice, l’autre commença sa défense comme demandé, mais rajouta un croche-patte qui précipita la demoiselle au sol.
— Je te dis : ici, c’est moi qui commande et tu vas vite le comprendre, tu veux pas finir isolée comme Théodora ? Et ce sera pareil pour ta copine.
Péniblement, Isabelle se releva et répéta son exercice, mais lorsque arriva le croche-pied, elle l’esquiva. L’autre voulut lui donner un coup de pied, Isabelle riposta, et toutes deux se trouvèrent bientôt emmêlées dans une bagarre au sol. Isabelle avait carrément le dessous, Fabiola étant bien plus entraînée qu’elle.
C’est alors que la mauvaise fille fût décollée du sol par une poigne incroyable. Adélaïde la traîna derrière elle.
— Encore toi ? Mais tu ne comprendras donc jamais rien ! Allez, la princesse, une semaine de trou, ça ne te fera pas de mal !
— Mais bien sûr ! beugla-t-elle, c’est les petites protégées de Madaaame la Comtesse !
— T’iras réfléchir à ça dans les cachots. C’est bête hein, Madaaame la Princesse, mais ici, c’est moi qui décide. Si tu crois que je ne t’ai pas entendue tout à l’heure !
L’entraînement reprit, les suivantes de Fabiola ne tentèrent rien pour se faire remarquer. On sépara ensuite les groupes selon les niveaux pour organiser de petits duels.
S’ensuivit un entraînement à l’équitation. Isabelle fut remarquée pour sa bonne maîtrise du cheval, Manon avait à peu près le même niveau que la plupart des débutantes. Dans les niveaux plus avancés, il était question d’apprendre le combat monté. Ellanore promit à Isabelle que dès qu’elle aurait progressé en armes, elle pourrait commencer cette discipline.
Enfin, le dernier enseignement de la journée fut le tir à l’arbalète. Cette-fois-ci c’est Manon qui s’illustra. Sa vue était parfaite et elle saisit à merveille le fonctionnement de l’outil.
Fourbues et affamées, les élèves se changèrent et partirent prendre le repas du soir.
§
Enfin de retour dans leur lit, Manon et Isabelle soufflèrent. Elles se regardèrent avec un sourire de satisfaction.
— Je suis absolument exténuée, fit Manon. J’ai mal aux mains, aux bras, aux jambes, mais j’imagine déjà quand on aura progressé et qu’on pourra partir en mission.
— D’accord avec toi, mais je pense à cette Fabiola, j’espère qu’elle ne va pas nous pourrir la vie tout le temps.
Isabelle poussa un soupir, et se tourna vers sa bien aimée.
— Notre vie à Sautdebiche ne te manque pas ?
— Jusque-là je n’ai pas eu tellement le temps d’y penser, avec toutes ces aventures ! Donc, non. Je pense parfois un peu à mère parfois avant de m’endormir. J’espère qu’elle va bien. Nous pourrons peut-être lui écrire bientôt !
— Théodora nous a dit qu’on pouvait envoyer un courrier tous les mois à peu près. C’est vrai, je me demande un peu ce qu’ils deviennent tous, et surtout, comment ils ont pris notre fuite.
— Enfin, peu importe, tu es là toi, c’est tout ce qui compte.
— Un petit câlin ?
— Oui, mais, tout doux, hein Isa ! Je connais ta fougue !
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