1.4 – Rencontre
“ Ne parle pas sans certitude, mais ta connaissance affinée, ton avis tu pourras forger. ”
Conrad entra dans la salle du banquet accompagné par son père. Le baron en titre avait décidé de le marier à une femme de vingt-deux ans. Il aurait préféré une fille un peu plus jeune. Au moins, ceux qui l’avaient rencontré la décrivaient jolie. Connaissant le passif d’Isabelle en ce qui concernait les annulations de mariages, il espérait bien que son honneur n’aurait pas à s’entacher d’un tel affront.
— Le baron de Laval et son fils Conrad, héritier du titre ! annonça le sergent dans une livrée particulière qu’il enfilait à l’occasion, afin de jouer le héraut d’armes.
La salle richement décorée, attestait de l’opulence du domaine, tout comme le village précédemment traversé. Le baron en devenir comprenait pourquoi cette petite seigneurie intéressait son père. Malgré la petitesse de l’endroit, le seigneur des lieux savait en tirer profit. Il s’avérerait donc un partenaire intéressant sur le plan commercial.
Le père de Conrad l’invitait souvent à participer aux rencontres politiques, afin qu’il apprenne à remplir son futur rôle. Aussi reconnut-il Henri de Sautdebiche et Constance lorsqu’il les vit. À leur côté, leur fils aîné Gérald, rencontré une seule fois, tenait la main de son épouse Mélanie. Il la reconnaissait à la manière fort avantageuse dont l’héritier Sautdebiche l’avait dépeinte. Ce dernier l’aimait probablement beaucoup. Certains ont de la chance.
À l’extrémité de la table, une vieille femme assez corpulente regardait la scène, heureuse de voir tout ce monde réuni.
Voilà donc le prince charmant, se disait Dame Gertrude, m’est avis qu’il va déchanter quand la belle lui aura dit le fond de sa pensée.
Mais où se trouvait donc celle pour laquelle il avait effectué ce déplacement ? Il se posait encore la question, alors que s’ouvrit brusquement la porte de la salle.
— Mademoiselle Isabelle de Sautdebiche ! annonça le héraut.
Déjà un mauvais point, se dit Conrad, elle arrive en retard. Sa manière brutale d’ouvrir une porte dénote également d’un manque de délicatesse.
Il se tourna pour la regarder. Sa beauté semblait un peu terne. Ses longs cheveux noirs bien arrangés, couronnés d’une tresse, soulignaient agréablement son visage fin. Cependant quelque chose qu’il n’arrivait pas à définir le dérangeait, et ses courbes n’avaient pas les rondeurs délicieuses dont il rêvait. Encore une fois, son avis ne comptait pas. Il n’avait pas vraiment le choix.
— Madame, vous faites honneur à votre réputation, vous êtes absolument ravissante.
Un rire étouffé secoua dame Gertrude. Oh l’hypocrite, sa remarque transpire la phrase apprise par cœur !
— Eh bien ! Je serais l’objet d’une réputation ? Elle doit inclure mon caractère impossible ! D’ailleurs je ne me suis pas intéressée à la vôtre.
Un froid parcourut l’assemblée et Conrad ne trouvait pas quoi répondre.
Dame Gertrude n’en pouvait plus. Faut tout de même reconnaître qu’elle a du répondant la petite.
Ce retard était délibéré, afin de paraître désobligeante envers son futur époux. La jeune noble aurait pu penser que son fiancé était beau, pour un homme. Seulement, ses manières excessives et ses phrases polies ne parvenaient pas à toucher son cœur.
L’après-midi se déroula de manière tout à fait conforme à ses attentes. Les deux fiancés s’adressaient à peine la parole : Conrad pour la flatter, elle pour lui signifier que ses attentions étaient pataudes et indésirables ; les pères singeaient leur amitié, dont la réalité ne se manifestait que par des accords commerciaux et militaires ; les mères vantaient les qualités de leurs enfants ; les fils cependant, partageaient leurs vues sur ce qui leur plaisait : la chasse et les tournois ; Dame Gertrude laissait voir sa bonne figure, flattait chaque fois que l’occasion se présentait, gardant pour elle ses remarques cyniques ; quant à Mélanie, la pauvre faisait office de pot de fleur.
Lorsque Manon apparut pour servir, le regard de Conrad, de Guérart et des deux pères se tournèrent instantanément vers elle, visiblement subjugués par sa beauté. Les deux invités la détaillaient lui jetaient des regards concupiscents. Isabelle sentit une gêne pour elle, qui devait toujours soutenir les regards inquisiteurs des hommes. Cette insistance de la part de son futur époux la perturbait, car son choix d’une dame de compagnie s’était arrêté sur elle.
Le banquet qui s’ensuivit continua dans la fausse courtoisie, la bonne chère et le vin. Lorsque les servantes débarrassèrent les desserts et que les invités rejoignirent leurs appartements, Isabelle souffla et se détendit enfin. Heureusement pour elle, les deux hommes partiraient le matin dès l’aube. Elle ne les reverrait pas avant le mariage, mais Guérart avait convenu de les visiter auparavant à Laval pour une partie de chasse.
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