1.6 – Jalousie
“ Mon grand-frère en a un, je veux le même !
— C’est son anniversaire aujourd’hui, tu devras être patient, ton tour viendra. ”
Dame Gertrude jouait un morceau de harpe qu’elle travaillait depuis quelques jours. Tandis que Constance lisait et que Rose s’occupait du lit de la maîtresse des lieux, Isabelle se glissa dans les appartements de sa mère.
La future mariée annonça ce qu’elle avait décidé pour Manon. Il faudrait lui augmenter ses gages et l’habiller en conséquence.
Qu’as-tu derrière la tête et dans le cœur Isabelle ? se demanda Rose. Que dois-je déduire de cette décision ?
— Elle a besoin également d’une autre chambre. J’aimerais la voir utiliser celle de ma sœur, en attendant le mariage.
Dame Gertrude grommelait intérieurement et espérait un refus. Lorsque la jeune sœur d’Isabelle avait quitté le château, la dame de compagnie avait signifié à sa cousine son désir d’y emménager. Malheureusement pour elle, celle-ci le lui refusa, avançant qu’elle souhaitait garder les appartements de sa fille inoccupés.
— Tu sais bien que je souhaite conserver cette chambre en état, dans l’éventualité où ta sœur voudrait séjourner parmi nous quelques jours !
— Elle jouxte la mienne ! Et la situation ne durera guère. Il ne me reste que peu de temps et je souhaite donner à Manon une formation afin qu’elle puisse remplir correctement ses nouvelles fonctions.
Madame de Sautdebiche finit par accepter, à condition qu’on ne modifie pas l’agencement du mobilier.
Une chambre mitoyenne à celle d’Isabelle, s’étonna Rose. Intéressant ! Si je ne m’abuse, elles communiquent.
La servante passa à un autre meuble, gardant ses oreilles grandes ouvertes pour recueillir le moindre indice. Quant à Dame Gertrude, elle sentit son sang bouillir.
— Quel choix judicieux vous avez fait en choisissant Manon comme dame de compagnie, mentit-elle. Une jeune femme aussi bien élevée mérite amplement cette place.
Gertrude excellait en matière d’hypocrisie. Elle savait se montrer enjouée alors que son intérieur était désabusé et bougon, mais sa maladie profonde s’appelait jalousie.
Si par malheur elle n’avait aucun motif d’entrer dans de tels sentiments, il fallait qu’elle s’en trouve un. Ce défaut la dévorait depuis le jour où sa cousine avait été choisie pour épouser le Seigneur de Sautdebiche. Pourquoi pas elle ? À l’époque, elle avait un physique avenant et Constance n’était pas de plus noble extraction qu’elle.
Gertrude était restée vieille fille. Peut-être que, si quelqu’un l’avait demandée en mariage, ce vice aurait disparu. Elle se serait éventuellement sentie flattée par une telle demande. Quoiqu’elle aurait certainement regardé d’un mauvais œil toutes celles qui se seraient approchées de son mari.
Aujourd’hui elle enviait Manon. Elle comptait bien lui mener la vie dure.
Madame de Sautdebiche réfléchit un instant puis interpela Rose qui accourut aux ordres de sa maîtresse.
— Je me sens un peu ennuyée pour toi, tu travailles déjà beaucoup, mais je ne vois pas d’alternative immédiate. Manon change d’affectation et j’aimerais que tu puisses t’occuper de ses anciennes tâches : les appartements d’Isabelle, les nouveaux de Manon, ainsi que de leur habillement et du service à table. En tous cas, provisoirement.
— Bien madame.
— Je recruterai une femme qui pourra venir te seconder. Si toi ou Manon connaissez quelqu’un dites-le-moi au plus vite.
— Merci Madame, bien Madame.
Le lendemain matin, Manon présentait une jeune fille du village qui occuperait parfaitement le poste. Rose resta tout de même au service d’Isabelle et de Manon, la nouvelle aurait pour mission de travailler pour les parents.
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