“ Ouragan venant me frapper en plein visage, la colère, mauvaise conseillère, m’a emporté.”

Attablé avec Guérart de Sautdebiche, Conrad de Laval se curait les ongles avec son couteau de chasse devant un cuisseau de daim, chassé ensemble. Le baron était préoccupé et sentait progressivement l’énervement le gagner. D’un coup, il planta l’arme dans la table.

— Ta sœur me court sur le haricot !

Guérart ne répondit pas et laissa à son ami le temps de digérer les nouvelles dont il était l’émissaire.

— D’où sort cette vicomtesse de Saint-Eustache ? Deux fois ! Ça fait deux fois qu’on me promet un mariage, et tout à coup, la donzelle disparaît mystérieusement ! Et comble du ridicule, avec la même histoire : une dame bien titrée s’arrête au château sous des prétextes fallacieux, s’attire la sympathie de ma promise et l’enlève.

« On se moque, on se fout de moi, on bafoue mon honneur ! Et moi, que dois-je faire ? Rien ?! Me laisser duper par une baratineuse ?!

— C’est inadmissible ! tenta Guérart pour aller dans le même sens que le futur baron. Ces femmes qui se croient tout permis… Au moins la mienne marche dans le droit chemin.

Conrad se dressa sur ses pieds, se pencha en avant, appuyant ses deux poings serrés sur la table. Il fixa Guérart les yeux pleins de colère.

— Il va falloir la retrouver. Je veux faire manger mon poing à cette mystificatrice. Je peux compter sur toi ? Après tout, si c’est ma promise, c’est aussi ta sœur !

Guérart tendit la main à son ami qui la serra. Leur rencontre avait été une révélation. Ils partageaient les mêmes points de vue sur tous les sujets, même si le fils du seigneur de Sautdebiche surréagissait pour lui faire plaisir. Profiter des faveurs du futur Baron était dans les plans de sa famille.

— Tu as mon soutien, je t’aiderai dans ta quête.

Conrad se détendit un peu et hocha de la tête : il avait conscience de l’ascendant dont il pouvait disposer sur cet homme. Sa position lui permettrait d’en faire un vassal lorsque celui-ci hériterait enfin de sa seigneurie.

— À la bonne heure, j’imagine qu’on ne peut pas compter sur nos pères, ce sont de vieux mous. À part commercer, que savent-ils faire ? À nous deux, nous pouvons retrouver cette fichue comtesse et nous lui règlerons son compte ! Je ne serai satisfait que lorsque ses tripes sécheront au soleil !

Guérart se sentait bien de partir à l’aventure et d’aller récupérer sa sœur, qu’elle soit d’accord ou non, mais ils n’avaient pas le moindre indice. Les pisteurs étaient revenus bredouille.

— Tout ce qu’on sait, c’est qu’elles sont parties vers le Sud. Après…

Conrad se rassit et se gratta la barbe pensivement.

— Elle va certainement encore vouloir contacter ton père, amour filial, comme on appelle ça. Dans ces cas-là, il faudra suivre le coursier. D’ailleurs, à moins qu’on m’en veuille personnellement, j’imagine qu’il y a d’autres victimes. Il faut que nous parvenions à trouver d’autres hommes lésés.

Guérart hocha affirmativement de la tête.

— Utilisons la partie de chasse organisée par ton père la semaine prochaine pour chercher d’éventuels alliés !

— Riche idée. Cette traque particulière que nous menons, mon cher Guérart, prendra du temps, mais elle finira par payer, j’en suis certain ! Cette femme doit avoir une faille à exploiter. Tu as dit qu’elles voyageaient à trois, n’est-ce pas ? C’est déjà un début. Trois femmes sur les routes, ce n’est pas courant. Il faudra faire circuler le mot dans les auberges… Avec récompense !

Une lueur mauvaise brillait dans son regard. Il s’affala dans son fauteuil et se resservit de la viande.