3.7 – Pas d'attaches
“ Sans attaches, ton bateau risque de partir à la dérive.”
Un mois s’était écoulé depuis l’évasion de Gersande. Marie-Sophie était restée aux petits soins auprès de la blonde. Depuis deux semaines elles sortaient dans la forêt chaque matin. Une réelle complicité était née entre elles et ces sorties les avaient encore rapprochées.
Ce jour-là, comme à leur habitude, les deux femmes étaient de sortie. Gersande portait une besace où elle rangeait méticuleusement les herbes aromatiques ramassées.
— Pourquoi ce panier aujourd’hui, Gers ?
— On va ramasser des champignons, il a plu et il ne fait pas encore trop froid, c’est idéal !
— Pour quoi faire ?
À cette époque-là les champignons étaient boudés des tables pour diverses raisons. La toxicité de certains n’y était pas étrangère, mais surtout ils poussaient trop proche du sol, voire dans le sol, et donc proches des enfers.
— Eh bien pour les manger pardi !
— Hum… Ça ne me donne pas très envie, tu es certaine ? demanda-t-elle d’un air de dégoût.
— Tout à fait, je les connais très bien et peut t’assurer que c’est absolument délicieux.
— Bon, je te fais confiance, mais c’est bien parce que c’est toi !
Elles commencèrent leur petit tour habituel, d’abord pour ramasser leurs herbes. Gersande respirait le bon air pur de la nature, le sourire qu’elle lança à son amie ne laissait aucun doute. Elle était heureuse.
— Tu sais, ça me fait vraiment plaisir de te voir aussi épanouie, Gers.
— C’est que tu n’y es pas pour rien ! Sans toi, sans toute l’attention que tu m’as portée, je ne suis pas sûre que j’aurais remonté la pente aussi vite. T’es vraiment adorable.
Gersande tâta son sac d’herbes.
— Je crois que l’on a ce qu’il nous faut. Si l’on passait aux champignons ? J’ai repéré quelques coins.
La promenade continua, le panier se remplissait de diverses espèces aux formes et aux couleurs diverses : bolets, coulemelles, morilles, girolles. Gersande expliquait, Marie-Sophie s’en émerveillait. Tout à coup, elle vit une étendue de jolis spécimens.
— Ceux-là, tu les ramasses ? demanda-t-elle toute fière de sa trouvaille.
— Mmm, approchons-nous, il me semble que ce sont des chanterelles, oh oui ! Il y en a beaucoup !
Elles en récoltèrent suffisamment pour remplir le panier.
— Je crois que je ne pourrais plus ajouter quoi que ce soit là-dedans, on rentre ?
— D’accord. Marie, je voudrais te demander quelque chose.
— Je t’écoute, tu sais que je suis là pour toi.
— Voilà, l’auberge est agréable. Presque trop pour moi d’ailleurs. J’ai l’habitude de vivre dans une cabane, pas dans une grande maison comme celle-ci. Tu accepterais que je puisse me construire ma petite bicoque ? Je n’ai besoin que de quelques jours. Avec de la corde et des branchages.
La chevaleresse opina du chef.
— Tu es libre de faire ce que tu souhaites, tu n’es pas en prison. Est-ce que tu auras une place pour moi ?
Gersande sursauta à cette demande.
— Toi la chevaleresse, tu viendrais vivre avec moi dans une malheureuse baraque ? J’avoue que je ne l’aurais pas imaginé. En tous les cas, je t’y accueillerai avec plaisir.
Elle marqua une pause.
— Il faut juste qu’on te prévoie un lit supplémentaire. Et… si tu veux pouvoir y habiter, il faudra participer à la construction, ajouta-t-elle avec un sourire en coin.
Marie-Sophie rit de la boutade.
— Non, mais ! Tu me prends pour qui, bien sûr que je vais t’aider à la construire !
— Je serais contente que tu restes près de moi. Ta présence m’aide beaucoup. Mais tu as d’autres choses à faire. Ton ordre de chevalerie…
— Elles peuvent bien se passer de moi encore un peu, non ?
La soigneuse sourit. Pour la première fois de sa vie, quelqu’un cherchait à prendre soin d’elle. Elles rentrèrent à l’auberge, leur gros panier sous le bras. Pétronille accueillit les champignons avec plaisir.
— Je serais bien aise que vous nous montriez ce qu’on peut faire avec tout ceci !
— J’arrive en cuisine ! C’est un plaisir pour moi de vous aider, vous m’avez accueillie avec tellement de gentillesse Pétronille !
Viens avec nous Marie, je vais te montrer.
§
Le plat de champignons du midi, et celui du soir avaient été de véritables délices. Marie-Sophie avait dû le reconnaître et elle se détendait désormais avant d’aller se coucher. Elle pensait à Gersande avec un sourire. Depuis qu’elle la connaissait, ses angoisses s’étiolaient. Elle pensait moins fréquemment à Orphéa. La soigneuse prenait petit à petit une importance grandissante dans sa vie, dans son esprit, dans son cœur.
Toc, toc, toc.
— Oui ?
Berthilde entra et lui présenta son plus ravissant sourire.
— Je peux m’asseoir un instant ?
Marie-Sophie lui désigna une chaise.
— J’ai de l’eau chaude et des herbes, tu veux une infusion ?
L’invitée acquiesça, Marie-Sophie disposa une table et prit deux tasses dans une armoire.
— Que me vaut ta visite ? Ça fait un moment ! Je veux dire, en privé.
— Eh bien oui, depuis que tu ne veux plus de moi.
Elle adressa une œillade taquine à son interlocutrice.
— Je suis passée pour voir comment tu te portais. En privé.
— Tu m’en veux ? On s’était dit “pas d’attaches” il me semble.
— Comment t’en vouloir ? Je ne suis après tout qu’une fille d’un soir.
Berthilde dissimulait mal un léger ton de reproches.
— Une amie aussi… Une amie qui a su m’écouter. Je suis heureuse que tu sois venue me voir.
Un blanc se fit.
— Si tu veux savoir, ça va mieux. Je pense moins à…
— Et Gersande, alors ? Tu es amoureuse ?
— Gersande ?… Je ne peux rien te cacher. Oui, je crois.
Berthilde prit une longue respiration. Tournant la tête pour que Marie-Sophie ne voie pas qu’elle essuyait une larme qui ne voulait pas quitter le coin de son œil.
— Écoute, je te dis ça en tant qu’amie, mais à mon sens, tu veux la voir comme si c’était ta compagne d’autrefois. La situation est tellement similaire. Mais Gersande n’est pas Orphéa.
La chevaleresse se mit à examiner le fond de sa tasse. Son regard se perdit dans le breuvage, et son passé se rejoua devant ses yeux.
— Je sais… Même si Gersande me la rappelle beaucoup, tant par leur apparence que par ce qu’elles ont vécu, elles ne sont pas identiques. La soigneuse est beaucoup plus calme, passionnée par la nature, les remèdes. Avec Orphéa, on vivait à fond, toujours surexcitées par les bêtises que l’on allait faire ! Elles sont vraiment différentes. Pourtant j’ai compris que ce sauvetage influait sur mon désir d’être avec elle, de la soutenir… J’ai développé un certain sentiment.
Berthilde fit mine de regarder un portrait accroché au mur, tentant de dissimuler son émotion.
— Je te dis ça… c’est pour que tu ne sois pas déçue si jamais ça ne marchait pas entre vous. D’abord, est-ce que tu sais au moins si elle aime les femmes ?
Marie-Sophie soupira bruyamment.
— Ah Berthe ! Tu mets le doigt sur un point délicat. Je ne lui ai pas demandé. Mais, je crois qu’elle apprécie ma présence.
— Entre apprécier ta présence et t’aimer, tu avoueras qu’il y a une différence ! Et si ça se passe mal ? Que feras-tu ? Tu reviendras te moucher dans mes jupons ?
— Ne t’en fais pas, ça va aller, je suis forte. D’ailleurs, je dois te dire, nous allons quitter l’auberge. Elle veut construire une cabane dans les bois pas loin d’ici, je l’accompagnerai.
Berthilde ne répondit pas tout de suite, elle devait assimiler l’information, elle ne verrait plus beaucoup celle qui… il faut le dire, était l’élue de son cœur. À force de jouer avec elle, à l’instar d’Icare, elle s’était brûlé les ailes. Elle tira une chaise et s’assit, regardant la chevaleresse dans les yeux.
— Je serai toujours là, si tu as besoin de moi.
— Merci.
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