Parenthèse pudique
Je ne suis pas particulièrement pudique, mais nudiste ou exhibitionniste ne sont pas des termes que j’emploierai pour parler de ma personne. Aussi, qui que tu sois, pardonnes-moi cette petite parenthèse pendant que je cherche de quoi me vêtir convenablement.
J’avais toujours aimé lire.
Les livres me passionnaient.
C’étaient des fenêtres, des portails vers d’autres mondes, d’autres époques. J’aurai aimé avoir une petite sœur pour lui faire la lecture du soir, et partager avec elle ces longues nuits d’hiver assise devant l’âtre, plongée dans un bon roman.
Maman aussi aimait lire. Elle disait souvent « l’écriture c’est comme la vie, mais en mieux ». Parce qu’elle adorait également écrire. Quand elle disait cette phrase, ses longs cheveux noirs semblaient onduler sous un vent irréel et ses yeux vert lagon devenaient vagues et flous.
Mon père, c’était le dessin sa grande passion. Il s’y essayait souvent. Ses croquis étaient très réussis et divers. Il y avait des portraits de maman et moi, des personnages imaginaires comme des licornes ou des elfes, des paysages de lieux communs tel que Londres, Paris, Venise ou bien des endroits incroyables, des forêts brumeuses, un ciel où flottait un train, un chêne prisonnier de roses dans un jardin oublié, un champ de tournesols bleus fanés… Du fait qu’il était réservé, j’en ai très peu de souvenirs, si ce n’est qu’une silhouette, toujours un crayon dans la main, regardant le monde comme s’il s’agissait d’un trésor sans prix…
Mes parents étaient très créatifs et, pour des anglais issus de l’aristocratie, ils avaient l’esprit très ouvert.
Puis un jour, ils sont morts.
Sur un quai de Londres, du côté de White Chapel.
Et, sur le ponton de bois, dans le froid glacial de l’hiver, une petite fille attendait, seule et répétant en boucle des paroles incohérentes.
Je les attendais encore, d’une certaine façon.
Pourquoi étions-nous sortis ce jour-là ? Parce que je voulais voir la mer. Il neigeait, ce fameux soir, et je désirai regarder les flocons blancs mourir sur les vagues.
Qui m’avait trouvé ? Un vieux pêcheur qui s’était demandé ce qu’une fillette pouvait bien faire toute seule, à pareille heure et dans un tel lieu.
Puis il avait vu le sang. Sur le quai. Sur moi. Beaucoup de sang.
Cependant, je n’étais pas blessée. Ce n’était pas mon sang.
La police était arrivée. Ils m’avaient offert un chocolat chaud, posé plein de questions.
Quand ils avaient appris que mes parents avaient disparus, ils avaient lancé les recherches. Le lendemain, dans la matinée, leurs cadavres avaient été repêchés. Noyés.
Que s’était-il passé sur ce ponton ? Je n’avais pas de réponse. À qui appartenait tout ce sang, puisque mes parents n’avaient aucune blessure ? Mystère.
Entre le moment où l’on est sorti du manoir et celui où le marin me demandait si j’allais bien, il y a juste un trou noir. Sans souvenirs, sans sentiments, sans sensations, sans rien du tout.
Juste un vide, à l’intérieur de moi. Un vide dans ma mémoire. Un vide qui chaque fois que je fermais les yeux, semblait m’engloutir.
Voilà, voilà. Ceci était la fin de la parenthèse. Pour que tu ne sois par perdu, je vais te résumer ma situation, quelque peu embarrassante, dans laquelle je me trouvais à mon réveil.
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