43. Danger
Deux mois que Hyuna travaillait à la blanchisserie. Jayu songea qu’elle n’avait jamais occupé un travail aussi longtemps.
Les colliers jumeaux étaient restés dans leur emballage et, surtout, Jayu n’avait jamais parlé de l’homme de la blanchisserie avec elle. Il préférait ne pas savoir, cela lui permettait de conserver l’espoir que les deux jeunes gens en étaient encore au stade du flirt. Pourtant, les quelques fois où la curiosité le torturait trop, il allait jusqu’à fouiller dans le sac de sa colocataire. Il n’y avait pas trouvé de préservatifs et ça l’avait rassuré. Il avait ensuite consulté son téléphone portable, ce qui lui avait permis d’apprendre le prénom de son rival : Jongchul. Les messages étaient évocateurs, ils avaient confirmé que la blanchisseuse et son « client » flirtaient et se voyaient régulièrement pour un café ou des virées nocturnes. Il l’avait invitée à un concert de musique de chambre. Jayu s’était mis en colère, tout seul dans le salon. Ce gars ne connaissait rien de sa Hyuna. Du violon ! Et pourquoi pas des mots croisés, tant qu’ils y étaient ? Il n’empêche qu’elle avait accepté et menti pour s’y rendre. Il avait passé toute la soirée au travail, à se demander si sa Hyuna ne donnait pas à cet homme son premier baiser ou pire.
L’espionnage de leur relation n’avait pas que des mauvais côtés. Cela attisait sa jalousie, mais le rassurait un peu, les deux jeunes gens ne couchaient pas ensemble. Ils ne se voyaient jamais dans des love-hôtels et leurs messages ne parlaient pas directement de sexe. Il y était question d’échange d’humeur, de sentiments vastes et platoniques. Les messages de Jongchul sonnaient assez poétiques. Hyuna, moins à l’aise avec les mots, se contentait de rebondir sur les belles paroles de son béguin.
Tout en espionnant les relations de Hyuna, ce qu’il appelait sa défense, Jayu préparait aussi son attaque. Il avait pris un abonnement à la salle de sport. Il avait procédé avec discrétion, pour que Hyuna ne le sache pas. Il allait là-bas trois à quatre fois par semaine. Il ne pratiquait que de la musculation. Il avait acheté des revues spécialisées pour se renseigner sur les meilleures façons de prendre rapidement de la masse musculaire. Il changea son régime alimentaire, consomma des protéines animales et réduisit les sucreries. Étant donné l’addiction de Jayu pour le sucre, ce ne fut pas facile.
Dans la salle de gym, il passait l’essentiel de son temps à soulever des poids, délaissant totalement les tapis de course. Le cardiotraining ne l’intéressait pas, il était là pour gonfler ses biceps, galber ses abdominaux. Un coach remarqua sa motivation et vint le prévenir.
— Attention, il faut respecter des étapes. Il faut y aller progressivement. Vous risquez de vous blesser. Prenez votre temps, jeune homme. Il faut prendre son temps. On n’est pas pressé !
Facile à dire ! Ce n’était pas lui qui espionnait de loin l’amour de sa vie convoité par un Apollon. Jayu s’empressait de changer, pour ne plus être seulement observateur, mais entrer pour de bon dans la course.
Il sortit de la salle de sport à 20h30, le temps de traverser à pied Gangseo-Gu, d’arriver dans le grand boulevard où se trouvait le Taejogung hôtel et il était déjà en retard sur son planning. Le prostitué passa par le hall, salua Daewon. L’étudiant se leva, mais Jayu lui fit comprendre en quelques gestes qu’il était en retard. Lui aussi aurait bien voulu parler de « One punch man » avec l’agent de sécurité, pourtant il devait encore se doucher et s’habiller avant l’arrivée du premier client.
Jayu grimpa par l’escalier de service et entra dans la chambre numéro 21. Il jeta son sac à dos dans un placard et commença, tout en s’avançant vers la salle de bain, à retirer son t-shirt de sport, encore moite de transpiration.
Après avoir descendu son jogging et son caleçon en un unique mouvement, il leva les yeux sur le miroir. Il croisa d’abord les yeux de son reflet, puis, laissa son regard aller craintivement vers son abdomen. Scruter son propre corps lui demandait autant de volonté que monter sur une balance en réclame à un obèse. La surface de son ventre était aussi lisse que la peau tendue d’un tambour qui aurait seulement était pincé au niveau de son nombril. Il contracta ses abdominaux, de toutes ses forces. En désespoir, il passa ses doigts sur son ventre pour chercher sous la peau un commencement de musculature. Il lui sembla les sentir, mais c’était bien léger. Il aurait espéré mieux, lui qui tous les matins et tous les soirs se pliait en deux dans le but d’approcher son menton de ses genoux. Un dernier coup d’œil assassin vers le miroir et il lui tourna le dos.
Il plia ses vêtements, avant de passer sous la douche. Ce ne fut qu’après sa toilette qu’il poursuivit son dialogue avec la surface révélatrice. Il tata ses biceps, désespérément plats. Ses épaules, minuscules. Ses pectoraux, inexistants. Il recula d’un pas. Il devait bien y avoir du changement quelque part ! Un rien pour lui redonner du courage. En se concentrant un peu, il allait finir par voir une forme. Plus d’un mois qu’il soulevait des poids et ne mangeait plus de beignets. Quand parviendrait-il à faire croitre des muscles par-dessus son squelette de petit oiseau ?
Vêtu de son seul caleçon, Jayu abandonna son reflet et alla dans la chambre, prendre sa tenue, lavée, repassée et soigneusement déposée sur son lit par l’hôtel. Il retourna aussitôt dans la salle de bain, ouvrit sa trousse de maquillage. À partir de là, il se regarda sans se voir. Le miroir n’était plus que l’instrument indispensable pour parfaire sa transformation. C’était un vendredi soir. Raison pour laquelle, il sortit le fond de teint, le fard à joue et l’eye-liner. Il débuta en peignant ses cheveux. Il libéra ainsi son front et, à l’aide de plusieurs barrettes, plaqua les mèches sur le haut de son crâne. Le visage bien dégagé, il se maquilla. Quelques minutes de travail plus tard, il tendit au miroir sa joue droite, puis la gauche. Les yeux ne devaient pas être trop noirs, les lèvres réfléchir la lumière, sans paraitre trop rouges. Jayu avait rapidement compris que s’il y allait trop fort, avec le maquillage, cela faisait faux. Il ajouta un peu de mascara et jugea le résultat satisfaisant.
Il se rhabilla en commençant par la jupe bleu marine, impeccablement repassée, qui remontait juste au-dessus de ses genoux. Puis, une chemise, à manches courtes, qui possédait une ouverture échancrée et une coupe très cintrée, mettant en valeur sa taille. Pour terminer son look, il mit une perruque de longs cheveux noirs. Mme Omoni ne s’était pas moquée de lui, l’accessoire était de bonne facture, réalisé avec de véritables cheveux asiatiques. Il avait appris à la poser habilement et elle restait bien immobile quand il travaillait avec.
Métamorphosé en jeune fille, il alla s’assoir sur le lit. Il regarda sa montre et se demanda qui viendrait ce soir. Énumérant les quelques noms de ses réguliers, amateurs de « girl ». Ce n’étaient pas vraiment des noms, puisqu’il ces hommes prenaient rarement le temps de se présenter. Mais Jayu avait pris l’habitude de leur attribuer, presque systématiquement, des surnoms. Dans cette liste, il fit son propre tri, éliminant certains et en mettant d’autres de côté. Celui-ci était venu très récemment ; celui-là ne venait plus depuis trop longtemps, il valait mieux ne plus y compter. Sa mémoire se focalisa sur une tête nouvelle, à la chevelure poivre et sel, qu’il avait vue pour la première fois la semaine dernière. En le découvrant, Jayu l’avait automatiquement mis dans la catégorie des coups d’un soir. Il avait pensé qu’il était là par curiosité, pour goûter des sensations inédites, qu’une fois que sa curiosité serait satisfaite, il ne le reverrait plus. Mais en le quittant, l’homme avait laissé un pourboire, ce que ne font pas les mécontents. La somme n’était pas très importante, or elle l’aurait été davantage si l’homme avait voulu lui offrir une sorte de cadeau d’adieu.
Jayu paria sur lui. Si l’homme à la chevelure poivre et sel passait en premier le seuil de la chambre 21, alors l’adolescent s’accorderait des friandises à la fois grasses et sucrées. Un beignet recouvert de sucre glace, de couleur rose pâle, avec à l’intérieur une crème jaune parfumée à la vanille. La petite fille qu’il était devenu se lécha les commissures des lèvres. Aussitôt, il croisa les jambes comme d’autres croisent les doigts. Il avait désespérément envie d’un beignet au sucre. Son régime hyperprotéiné l’épuisait.
La porte s’ouvrit sans attendre et l’homme qui la franchit n’avait pas la chevelure poivre et sel tant espérée. Il était entré sans s’annoncer, sans frapper et sans rien dire, en présentant son dos, en entrouvrant à peine pour aussitôt refermer derrière lui.
Jayu remarqua ses doigts chercher le loquet qui aurait pu servir à fermer la porte de l’intérieur. Il n’y en avait pas, s’enfermer était formellement interdit. Une règle qui avait été imposée pour la sécurité des filles. Le ladyboy vit surtout la taille impressionnante du nouvel arrivant. Une carrure de 1.90 m. Le garçon décroisa rapidement les jambes et mit son poids vers l’avant, prêt à se lever. Déjà, sa respiration s’était interrompue.
Quand l’individu se retourna et qu’il en identifia les traits, Jayu bondit sur ses jambes et se précipita vers les WC. Il attrapa la porte, la fit coulisser sur le côté. Ses gestes rendus maladroits par la peur ne lui semblaient pas assez rapides. Il entendait déjà les pas lourds de Luka qui venaient dans sa direction. D’abord en marchant, puis, comprenant ses intentions, en courant. Jayu entra dans les WC et poussa la porte pour la refermer. Elle ne claqua pas, ce qu’elle aurait dû faire si elle s’était bien close. Jayu retenta plusieurs fois, mais il butait sur quelque chose. Il baissa les yeux et vit qu’à ses pieds une chaussure noire et cirée de grande pointure faisait obstacle à la fermeture.
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