48. L'agression (partie 1)
TW : scène de violence explicite
Le pied de Luka faisait obstacle à la fermeture des WC. Jayu sentit le panneau de bois lui échapper, puis, le bouclier qui le protégeait lui être arraché. L’adolescent recula jusqu’à rencontrer, à l’arrière de ses genoux, la cuvette des toilettes. Un instinct de survie lui rappela - peut-être un peu tard - qu’il pouvait appeler à l’aide. Il n’eut pas le temps de finir de pousser son premier cri que Luka le saisit à la nuque et le propulsa contre l’évier, sur sa gauche. Son front heurta durement la céramique. Le choc fut si intense qu’il ne sentit pas la douleur ; un voile blanc couvrit son champ de vision et ses jambes cessèrent de le porter. Sa voix se tut sur le coup, en même temps que sa volonté de résistance. Luka attrapa sa perruque, avant qu’il ne tombe au sol. Les fixations de la fausse chevelure ne résistèrent pas et furent arrachées au crâne du ladyboy.
L’étourdissement se dissipa lentement. Jayu avait toujours du mal à voir, une pression infernale s’exerçait au centre de son visage. À tout moment, il s’attendait à sentir du sang couler, là où son front avait rencontré l’évier. Étendu de tout son long, il mobilisa avec force sa volonté pour tenter de se mettre à quatre pattes. Il devait fuir.
Ses cheveux, les vrais cette fois, furent saisis à pleine main et il se sentit soulevé et trainé. Il se débattit et hurla, mais il s’agissait plus de geignement que de cris puissants. Luka le jeta sur le lit, où le corps de l’adolescent s’enfonça dans la masse du matelas. Sur le dos, Jayu fut immobilisé par son agresseur qui utilisait toute sa masse pour le plaquer contre le matelas. Le garçon agita ses bras, ses jambes. Il tenta de frapper, de mordre.
Il recommença alors à crier, plus fort :
— Au secours !
On le saisit à la gorge, une main immense, qui était capable de faire le tour de son cou. On serra. Il sentit les cartilages craquer et il fut incapable de continuer à appeler. Instinctivement, ses propres mains vinrent saisir le garrot pour tenter de se libérer. Il tira, griffa. Ses yeux se fermèrent à cause de la douleur, de l’effort. Déjà, l’étranglement fit gonfler son visage. Le sang sous pression forçait contre sa peau, de l’intérieur. Il ne pouvait plus respirer. Ses jambes battaient l’air, prenaient appui sur le matelas pour tenter de se dégager du poids de son adversaire. En vain. Son agresseur appuyé sur lui, bien positionné. L’homme n’avait même pas besoin de forcer pour le maintenir ainsi en place. La panique empoisonna son esprit et son corps. Elle circulait sous forme d’adrénaline dans ses vaisseaux sanguins. Si Luka continuait de serrer sur sa gorge de la sorte, il allait l’étrangler pour de bon. Des larmes affluèrent dans ses yeux. Il était parvenu à les ouvrir et dans une brume, il distinguait les traits placides de Luka. Ils devinrent de plus en plus flous, alors que sa conscience se débattait contre l’épuisement.
Puis, sans prévenir, Luka lâcha son étreinte autour de son cou. Jayu haleta, la pression à l’intérieur de son crâne chuta et le sang dans ses veines devint moins acide, mais il était toujours pris au piège, alors, il recommença à crier :
— Au secours !
Son pharynx comprimé émit un filet de voix éteint, asphyxié, qui n’eut pas le temps de se faire entendre. Luka l’étrangla de nouveau. Il n’avait cessé que pour attraper un objet dans sa poche. Du coin de l’œil, Jayu reconnut une seringue à usage unique, prête à l’usage. Luka lui ficha l’aiguille dans le bras, non loin de l’épaule, et son pouce enfonça le piston. Sa victime sentit la morsure du liquide lorsqu’il s’insinuait en intra-musculaire.
Poison ou drogue ? Il ne savait pas, mais ces saloperies étaient en lui à présent. Il voulut crier, plus encore.
— Ta gueule ! Laisse-toi faire.
Hors de question. Malgré la douleur sur la gorge, la pression qui lui donnait l’impression que sa tête allait exploser, le manque d’air, les poumons brûlants, le sang vicié et malgré la peur, la peur qui grimpait, Jayu se débattit.
— Arrête de gigoter et de crier !
Il n’abandonnerait pas. Il savait trop bien ce qu’il risquait. Il devait tout donne.
Deux doigts pressèrent ses narines, une main le bâillonna.
— Arrête et je te permettrai de respirer.
Ne plus pouvoir respirer qu’à la condition de coopérer, la situation lui évoqua un souvenir précis. Il n’y avait plus repensé depuis des mois. C’était l’un de ces souvenirs que l’esprit cloîtrait dans une boite scellée, seul un choc sensoriel pouvait faire sauter le cadenas. Ici, c’était cette façon brutale de le contraindre en lui bouchant le nez.
~
— Ouvre, petite pute ! Ouvre en grand !
L’homme, le pantalon sur les chevilles, frottait son sexe sur les lèvres que Jayu gardaient closes, de même que ses yeux.
— Quoi ? T’as jamais sucé, la pute ?
Il secoua la tête.
Il n’avait jamais fait ça. Jayu n’était enfermé dans cette chambre, par Kwang-bom, que depuis trois jours. Il ne s’était même pas débattu quand le premier inconnu était venu. Les suivants, pareil. Ils les avaient laissé faire, pas même un mot de protestation. Durant ce laps de temps, déjà trop d’hommes s’étaient vautrés sur lui.
Puis, ces quatre-là avaient fait intrusion. Ils étaient très agressifs, si bien qu’il était meurtri et terrifié. Leurs propos s’additionnaient dans une surenchère de haine. Ils le traitèrent de « sale pute », d’« enculé », de « sac de foutre ». Ils avaient réussi à le faire pleurer, à le faire crier et saigner. Ils avaient écrasé des cigarettes dans son dos et Jayu, qui habituellement ne disait jamais non, avait supplié qu’on l’épargne.
Et, à présent, ils avaient décidé qu’il devrait sucer, mais Jayu n’avait jamais fait ça. Par soumission, face à ces hommes bien plus forts que lui, il aurait dû ouvrir la bouche. Et puis, après ce qu’on venait de lui faire, une humiliation de plus ou de moins... pourtant son diaphragme commençait déjà à réagir, à avoir des spasmes. Un réflexe reptilien l’empêchait d’ouvrir la bouche. Il allait vomir sinon.
Devant son refus, ils l’immobilisèrent, ils bouchèrent ses narines et ordonnèrent : « Ouvre, petite pute ! Ouvre en grand. »
~
Son corps entier réclamait de l’air. Plus encore que la liberté, que la conscience. L’air !
L’obstination de Jayu fondit sans l’effet de l’asphyxie. Il la vit fondre, il perçut l’instant, inévitable, de son abandon. Puis, des larmes ventrues coulèrent sur ses joues. Cette fois, ce n’était plus la douleur ou la réaction instinctive due à l’étranglement. Il comprit qu’il ne tiendrait pas éternellement. Tôt ou tard, la chose qu’il lui avait injectée agirait. Il vivait peut-être de ses dernièrs instants de lucidité... Ensuite, il ne pourrait plus se défendre, plus crier. Personne ne viendrait... Pourquoi quelqu’un viendrait-il ? C’était interdit d’ouvrir quand un client avait payé. Luka utiliserait cette heure due pour le bousiller.
C’était la fin. Ce que cet homme allait lui faire le terrifiait. Une part de lui souhaita mourir, maintenant, pour que lui soit épargné la souffrance. Mais cela signifiait qu’il ne reverrait plus Hyuna. Il se demanda ce qu’il adviendrait d’elle, ce qu’elle ferait. Il s’inquiéta de son sort. Luka allait l’attendre. Probablement. Et la tuer. Elle aussi.
Jayu fixa les yeux de celui qui l’empêchait de respirer. Les iris se trouvaient être de la même couleur que les siens, un noir profond et scintillant.
Jayu lutta tout ce qu’il put, en haïssant celui qui le maltraitait, mais la drogue eut finalement raison de sa volonté. Il se sentit glisser, progressivement. Ses muscles se relâchèrent et Luka desserra ses doigts. L’air entra précipitamment dans ses poumons, un soulagement pour le corps et une défaite pour l’esprit. Sa respiration ne resta pas longtemps haletante. Calme… douce.
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