58. Lee Baehyun (partie 1)

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Le casino Jusawi n°1 siégeait sur front de mer. Les néons roses qui promettaient des gains mirobolants se reflétaient sur la façade, comme sur les minuscules miroirs d’une boule à facettes. Chaque fois qu’un client pénétrait dans le casino, le bruit s’en échappait, tandis que le froid s’engouffrait en sens inverse, créant un courant d’air à vous ruiner le brushing.

Il était une heure du matin, Jayu regardait la mer, alors que revenait en lui le froid. Sûrement parce que Hyuna ne se trouvait plus à ses côtés et - il avait fini par s’en rendre compte - c’était quand il se retrouvait seul qu’il avait froid. Pour lutter, sa tête rentra dans ses épaules et il croisa les bras. Il consomma, à sec, deux antalgiques supplémentaires.

Hyuna l’avait aidé à refixer convenablement sur sa tête la perruque de longs cheveux bruns, avec sa frange droite, qui barrait son front au-dessus de ses yeux, masquant ses sourcils. Il s’était remaquillé, de façon plutôt chargée, afin de camoufler les hématomes laissés par sa mauvaise rencontre, qui lui avait enflé la lèvre.

Dans leur fuite, Hyuna avait anticipé et emporté avec elle l’une des robes de Jayu. Son choix s’était porté sur une tenue voyante : une robe courte, cintrée sur la taille. Elle couvrait remarquablement le haut de son corps et ses meurtrissures. Col montant en tulle, longues manches, cousue de strass. Sous les lumières rosées et électriques, le bleu nuit du tissu paraissait trompeusement noir. Jayu serra contre lui son petit sac de femme. Un homme venait de lui faire un clin d’œil. D’un regard dédaigneux, il lui fit comprendre qu’il n’était pas intéressé.

Jayu surveillait toutes les arrivées de taxi. Lorsque l’un d’eux s’arrêtait pour laisser descendre un passager, il plissait les yeux pour identifier l’identité de ce passager, à travers la persienne naturelle de la pluie

Lorsque Mme Omoni arriva, Jayu se redressa et décroisa les bras. Comme convenu, l’ajumma portait une tenue de soirée. Si le prostitué n’avait pas su qu’elle venait, il lui aurait été impossible de la reconnaitre. La vieille femme, qui d’habitude s’habillée comme un sac, en jogging et en baskets, venait de descendre du taxi en costume. Elle portait des talons hauts, à semelles rouges, un pantalon noir, plutôt large, et une veste de smoking. De grosses perles véritables et nacrées paraient ses oreilles et son décolleté.

La patronne du Taejogung s’avança vers lui. Étrangement, elle n’avait aucune difficulté à marcher en talons, bien qu’il ne l’ait jamais vue avec ce type de chaussures auparavant. Autour d’elle se trouvaient des hommes de confiance : des agents de sécurité que Jayu n’avait pas eu souvent l’occasion de croiser, deux prostituées qu’il ne connaissait pas et Narae, qui avait rarement été aussi belle que dans cette robe de cocktail rouge.

Le groupe s’avança vers lui. Défiance et reproche pouvaient se lire sur leur visage. Jayu maintint son port de tête, refusa de baisser les yeux, malgré l’œillade méprisante de son ancienne patronne.

— Bonsoir, dit-il.

— Où est l’oiseau ?

— Vous l’aurez quand tout sera terminé. Vous avez ce qu’on vous a demandé ?

— Ouais. Tiens.

Jayu glissa l’enveloppe tendue dans sa pochette en strass.

— Cette pouffe ! Elle reste cachée pendant qu’tu t’exposes. C’est minable.

— Je la protège, ça n’a rien de minable.

— C’est ça ! Fais semblant de ne pas comprendre. Fais semblant que l’idée vient de toi ! Tu ne vois pas que Hyuna te manipule ?

Jayu préféra changer de sujet :

— Je vous explique ce qui va se passer. Nous allons rentrer dans le casino, vous et moi… et qui vous voulez, ça m’est égal. Nous savons tous qui va se pointer, dans une demi-heure environ pour vous parler.

— Nous le savons, confirma Mme Omoni.

— Vous n’allez pas le repousser.

— Allez vous faire foutre ! jura Omoni.

— Non, insista Jayu. Vous ne le repousserez pas. Il jouera à votre table, il vous parlera… et vous lui ferez la conversation.

— À quoi ça nous mène ?

— J’y viens… Il va vous demander pourquoi vous venez, vous resterez évasive… genre premier contact, « ouverture », « entente », il doit croire que vous êtes là pour quelque chose, sans que vous ayez besoin d’être précise.

— Jamais de la vie !

— Faites-le ! On ne vous demande pas de vraiment conclure un accord avec le Jusawi, mais de faire croire que ça pourrait être possible !

— Pourquoi ?

Voilà la question. Question très sérieuse, appelant une réponse tout aussi sérieuse.

— Parce qu’il doit accepter de coucher avec moi.

— Quoi ? grimaça Mme Omoni.

— Vous allez lui vanter mes mérites, proposer que nous nous rapprochions, gratuitement.

— Ça ne marchera pas… Baehyun n’aime que les femmes.

— C’est pour ça que je me suis mise en girl et, vous, vous me présenterez comme une femme.

— Il va flairer l’embrouille.

— Vous savez que non. Quand un homme important vient dans le casino de Baehyun, il lui propose des putes, c’est courant. L’inverse ne le choquera pas davantage. Il me prendra comme on prend un « échantillon » en provenance du Taejogung hôtel. Que je lui plaise ou pas n’a pas d’importance, il le fera pour vous, pour ne pas vous déplaire.

La vieille soupira.

— Et après ?

Jayu avisa les hommes de main de Mme Omoni, toutes ses oreilles indiscrètes. Sans prononcer un mot, seulement par ce jeu de regards, il fit comprendre à l’ajumma qu’il ne parlerait pas devant témoin. D’un geste du poignet, Mme Omoni ordonna à ses hommes de reculer. À présent, Jayu pouvait parler sans être entendu.

— J’ouvrirai à Hyuna, qui passera par un passage secret, qui se trouve à l’intérieur de la chambre de Lee Baehyun. C’est elle qui le tuera, comme elle l’a toujours voulu.

Les lèvres de la patronne du Taejogung hôtel avaient toujours été tombantes, là, elles étaient plus affaissées que jamais.

— Le Jusawi saura que j’vous ai aidés… ils se vengeront sur mon hôtel et sur moi. J’ai tout à perdre ! Hyuna est plus conne qu’elle en a l’air si elle croit que je vais risquer mes affaires et ma vie pour un oiseau !

— Mais le Jusawi vous menace déjà ! Tout le monde sait qu’il veut prendre le contrôle de Nasukju. Ils commenceront par le Pian Kkoch, puis, vous serez les suivants. Ils prévoient de vous annexer… C’est une question d’années. Si vous n’attaquez pas le Jusawi maintenant, de toute manière, lui vous attaquera, dès qu’il sera prêt. Vous serez foutue ! Vous voulez la mort de Lee Baehyun, peut-être pas autant que nous, mais vous la voulez aussi. Si nous réussissons à buter Baehyun, il va mourir sans successeur… Car Hyuna a aussi tué le successeur, ce soir. Le clan va se déchirer. C’est une chance inespérée qu’on vous offre. Vous le savez !

— Et s’il survit ?

— Il aura tout de même vu Hyuna. Pour lui, elle fait partie du Pian Kkoch. Cela fait des années qu’il attend un prétexte pour rompre le pacte. S’il nous tue, moi et Hyuna, il s’en prendra immédiatement au Pian Kkoch… La guerre de clan qui les opposera les fragilisera. Et vous, vous avez toujours vos relations, ça devrait suffire pour vous protéger en cas d’échec. Mais, Mme Omoni, si nous réussissons à tuer Baehyun… imaginez !

Mme Omoni se retira dans des pensées qui n’appartenaient qu’à elle, ses lèvres esquissèrent un étrange sourire inversé, puis elle dit :

— J’espère jamais l’regretter, mais t’es convaincant, petit. Allons-y avant que je change d’avis.

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