6 - Nouvelles règles

6 minutes de lecture

Je place mon casque sur la tête, puis scrute l’écran.

— Houssen ?

— Yep, j’suis là.

— C’est bon, mise à jour ok.

— Cool.

Je lis le message affiché sur l’écran.

Vous venez de passer au niveau spécial. Bienvenue à DEN WAR.

— Nos avatars sont restés les mêmes et nous sommes au même endroit.

— Et pour les armes ?

— On a tout conservé.

— Les graphismes ont changé. Ils sont bien plus beaux et réalistes que WAR P KOR.

— Hey, je ne vois plus mon pseudo ! Y a un drapeau pakistanais à la place...

Je plisse les yeux et fronce les sourcils.

— Et pour moi, un drapeau français…

Houssen éclate de rire.

— Nos pseudos ont été remplacés par des drapeaux. Mais comment ? Comment le jeu peut-il savoir nos origines ?

— Bof, un hasard p’têt. Nos comptes sont reliés à nos noms de famille. Doit y avoir un algorithme qui détecte les noms liés aux adresses IP.

— Hey, je m’appellerais Potter, il m’aurait mis un drapeau Gryffondor ? lance Houssen pour détendre l’atmosphère.

J'éclate de rire.

— Ah ah ! T’es con !

— Faut pas s’inquiéter de ça, se rassure Houssen.

— Je clique dessus, j’peux même pas renommer mon pseudo ni changer l’image de profil.

— Moi non plus… Dommage, j’aimais bien ma photo de Kakashi Hatake.

— On s’en fout, allez c’est parti ! Allons à la chasse aux farfadets ! J’en buterai plus que toi cette fois !

— C’est ce qu’on va voir !

Houssen et moi pianotons sur nos claviers pour déplacer nos avatars dans les chemins escarpés et sombres de la forêt. Les personnages marchent sur le sol graveleux, puis un épais brouillard envahit la zone.

— On ne voit plus rien… constaté-je en plissant les yeux sur mon écran.

Mon personnage tient un revolver, tandis que celui d’Houssen porte un fusil. Nos avatars se retrouvent et se font face. Le mien a un skin de Ninja, et celui d'Houssen, un skin de Jedi.

— Ah, j’t’ai retrouvé, s’enthousiasme Houssen.

— Ouais, ça fait dix bonnes minutes qu’on tourne en rond dans cette forêt aux allures de décor Tim Burton.

— Bon, ils sont où les farfadets ?

— Aucune idée. Bizarre... La mise à jour a planté le jeu ?

— C’est chiant comme jeu.

À cet instant, une nouvelle fenêtre apparaît à l’écran. Je lis à voix haute l'intitulé.

— « Vous vous êtes bien amusés à massacrer notre peuple de Korrigans »… Que.. Quoi ? Le peuple de quoi ?! dis-je.

— Le peuple des Korrigans. Ce sont des créatures légendaires de Bretagne. Des lutins, des farfadets ou des gnomes si tu préfères.

— Ah oui… bah les créatures qu’on butait jusque-là.

— D’où le nom du jeu… WAR P KOR pour War P Korrigans.

— Ouais, bref… alors je lis la suite…

Je plisse les yeux et me penche vers mon écran d’ordinateur.

— « Maintenant c’est à votre tour de souffrir. »

Je fronce les sourcils, me redresse. Houssen lit la suite.

Vous allez vous affronter entre vous : trente joueurs au total. Il ne doit en rester qu’un à la fin de la bataille. Le vainqueur de cette guerre gagnera le trésor des Korrigans, une fortune correspondant à dix mille euros réels directement envoyée dans la poche de l’élu.

— C’est une blague ?! C’est énorme !

— Ah ah trop bien !

— C’est une arnaque, non ?

— Il suffit de jouer et de se débarrasser de ses adversaires. Jouons, nous verrons bien.

— Ah, la fenêtre vient de disparaître en fumée.

— Et la liste des joueurs vient d’apparaître. Ils sont indiqués avec un drapeau eux aussi.

— Pas très attrayant. Ne pas pouvoir personnaliser nos avatars, c’est un retour aux vieux jeux.

— Bof, tant pis, les graphismes sont pas mal.

— Et ils deviennent de plus en plus réalistes au fur et à mesure que nous avançons dans le jeu.

— Ouais, sympa l’idée.

Houssen regarde l’écran en cherchant partout dans tous les coins.

— Hey, t’es parti où ?

— J’ai continué à avancer pendant que tu parlais !

— J’vais te retrouver en premier !

— C’est ce qu’on va voir !

Les deux avatars avancent dans la forêt dense aux châtaigniers majestueux, dans une brume opaque et grise. Les croassements rauques et graves des corbeaux masquent les bruits des pas des personnages. Ils sont face à face. Le Jedi d’Houssen pointe son fusil sur mon ninja.

— J’t’ai en ligne de mire ! annonce Houssen.

— Un revolver c’est plus maniable qu’un fusil, je te toucherai avant !

— Nous allons le savoir vite fait !

Soudain l'orage gronde dehors. Je jette un coup d'œil à la fenêtre de ma chambre. Des éclairs d'argent griffent le ciel noir par intermittence. Je frissonne, puis me concentre sur le jeu. Les deux personnages tirent en même temps. La balle du revolver du ninja se dirige droit sur le front du jedi d’Houssen. Tandis que la cartouche du fusil s’oriente vers la cuisse gauche du ninja. À l’instant même où la balle se loge dans la cuisse de l’avatar, je ressens une vive douleur dans ma cuisse gauche, tellement forte que je me mets à hurler.

— Aaaaaaarghhhh !!!

Je me cramponne la cuisse gauche. L'hémoglobine dégouline entre mes doigts. Je lève mes mains devant mon visage, couvertes de sang, tremble comme une feuille, sens la sueur couler sur mes tempes.

— C’est quoi ce bordel ?! paniqué-je.

Je fixe l’écran. Mon avatar est blessé à la cuisse gauche et celui d’Houssen est allongé sur le dos, avec un trou au milieu du front. Une mare de sang se répand sous la tête du personnage.

— Houssen ?… Houssen, t’es toujours là ?… Hey ! Houssen ! Tu m’entends ?

Silence à l’autre bout de la communication. Je continue d'insister.

— Houssen ! Arrête de me faire flipper ! Je vois que t’es connecté ! Y a le logo vert à côté de ton perso ! Houssen ! Réponds bon sang !

Une voix féminine, grave et diabolique, prend la parole.

Crois-tu vraiment qu’une personne morte puisse te répondre ?

J'écarquille les yeux, souffle court, paniqué. J'enlève d’un geste brusque mon casque et le jette au sol. J'ai du mal à respirer, de la sueur perle sur mon front. Je pose mes mains tâchées de sang à plat sur mon bureau.

— C’est… c’est quoi ce délire ?

Je clique frénétiquement sur les touches pour éteindre le jeu. Rien ne se passe.

— Pourquoi ça ne veut pas s’arrêter ?

Puis je me baisse, passe sous mon bureau, chope les câbles et tire dessus d'un coup sec pour tout débrancher. Ensuite, je me relève et regarde l’écran. Il est toujours allumé.

— C’est impossible ! J’ai tout déconnecté ! Pourquoi ça ne s’éteint pas ?!

Une fenêtre apparait à l’écran. Je lis : LE JOUEUR 14 EST VAINCU. VOUS ÊTES EN SÉCURITÉ POUR UNE DURÉE DE 20 MINUTES.

Je me redresse, inspire et expire de manière saccadée.

— Calme-toi Maxence, il doit y avoir une explication rationnelle.

Je me prends la tête entre les mains, ma blessure à la cuisse me lance. Je remarque les gouttes de sang tomber sur le parquet en une mélodie sinistre. Puis j'avance vers la porte de ma chambre en boitant, l'ouvre et m’adresse à mon père, du haut de l'escalier.

— PAPA !

— Quoi ?

— Est-ce qu’une tour de PC peut fonctionner sans adaptateur WiFi ?

Mon père éclate de rire.

— Elle est bien bonne celle-là !

— MAMAN ! Viens vite ! Je me vide de mon sang !

Elle aussi se marre.

— Oui, oui, bien sûr.

Je fronce les sourcils, grimace, puis claque la porte de ma chambre. Je regarde ma cuisse.

— Merde, c’est en sang ! Et j’ai mal !

Je me passe une main dans les cheveux, jette des regards apeurés partout dans ma chambre, puis je décide d'aller vers la salle de bain. Je chancelle, me retiens au mur, puis entre, ouvre les tiroirs et prends une bande blanche. Je l'enroule autour de ma cuisse. Je prends un sweat zippé à capuche gris clair, l’enfile et descends les escaliers.

Anaïs m'intercepte dans le couloir.

— Où tu vas ?

— Ça ne te regarde pas l’bébé !

— Maman ! Maxence est méchant avec moi !

J'entends des bruits de vaisselle. Ma mère est dans la cuisine. Arrivé dans le hall d'entrée, j'enfile mes baskets.

— Maxence ! Sois gentil avec ta sœur ! ordonne ma mère.

— Lâche-moi ! Je sors voir un pote !

— D’accord. Ne rentre pas trop tard !

— Ouais, c’est ça…

Anaïs me tire la langue. Je sors et claque la porte.

Je marche d’une allure rapide, en boitant à moitié à cause de ma jambe blessée. Je prends mon téléphone coincé dans ma poche arrière de mon jean. J'appelle Houssen. Trois sonneries, puis répondeur : « Bonjour, c’est bien Houss Houss Houssen ! Laisse un message, j'te rappelle quand j’serai dispo ! »

Je regarde l'écran de mon portable, agacé et nerveux, puis relance l’appel plusieurs fois. Je tombe sur le répondeur à chaque appel.

— Mais pourquoi tu réponds pas ?

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