- Vous avez déjà refusé deux fois, j’estime avoir été assez patient. La voix d’Ycare est glacée.

- Je vous ai expliqué que Léa était trop jeune, tente de se justifier Paul.

- La première fois elle avait seize ans, donc j’ai compris votre réticence, mais la seconde fois, à ses vingt-ans, votre refus n’avait pas lieu d’être et vous le savez !

La déclamation de l’éconduit est menaçante.

Paul commence à en avoir assez du comportement de celui qu’il considère comme un jeune blanc-bec.

- Vous vous imaginez sans doute que ma femme et moi devrions être flattés que le fils d’un Haut Placé s’intéresse à notre fille… pourtant ce n’est pas le cas.

Face à lui, la respiration d’Ycare se fait plus saccadé ; il serre et desserre les poings au rythme de sa frustration.

Son interlocuteur y voit un signe de faiblesse et continue.

- Léa n’est pas amoureuse de vous.

- Ce n’est pas à elle de décider qui elle doit épouser.

- C’est vrai. C’est mon rôle, ainsi que celui de sa mère, et il se trouve que nous ne vous faisons pas confiance. Je ne veux pas engager l’avenir de ma fille avec vous.

- C’est ma troisième demande, ma patience est à bout. Léa finira par avoir des sentiments pour moi. Je m’y emploierais.

- On ne peut pas obliger quelqu’un à aimer, s’insurgea Paul.

Ycare haussa les épaules.

- Si vous le dites. Néanmoins, je me fiche qu’elle me désire ou pas. Je la veux, et même si je n’ai pas votre confiance, comme vous dites, vous savez qu’auprès de moi, elle sera protégée et riche.

- Protégée de tous les secrets de cet Abri, objecte Paul d’un ton méprisant.

- Oui, et ils sont nombreux.

Le père de famille est tout à coup hésitant. Ycare retient une moue condescendante. Il sait qu’il a gagné. Paul tient quand même à éclaircir les choses.

- Tout le monde vous trouve avenant, serviable et intelligent… je ne doute pas de ce dernier point, mais pour le reste je pense que vous êtes loin d’être sincère.

- Vraiment ? Ycare esquisse un sourire mettant en évidence des canines blanches, étrangement menaçantes.

- Vous êtes trop mielleux, et il y a quelque chose dans votre regard…

- Vous vous faites vieux Paul, vous dites n’importe quoi.

- Vous n’aurez pas mon enfant.

- Si et je vais vous dire pourquoi…

Ycare s’approche doucement de Paul, dans une démarche presque sensuelle. Il pose d’un geste faussement tendre, une main sur l’épaule de son aîné et se penchant à son oreille lui chuchote d’un débit rapide et torve.

- Je peux avoir toutes les femmes que je veux dans l’Abri, mais la seule que je convoite c’est Léa. Alors, oui, je ne suis pas aussi aimable et serviable que je veux le paraître… je ne vais pas vous mentir, vous m’avez percé à jour. Néanmoins, j’aime sincèrement votre fille et pour l’avoir je ferais n’importe quoi… même bannir sa famille de l’Abri si elle me refuse !

- Ça signifie la mort, murmure Paul d’une voix chevrotante.

Le rictus se dessinant sur le visage d’Ycare donne envie de vomir au père de famille.

- Vous ne me laissez pas le choix, finit par répondre ce dernier.

- Non, et ne vous avisez pas de raconter notre petite conversation, personne ne vous croira et je me vengerai… sans doute en faisant du mal à vos précieux enfants… Ycare a l’air songeur, je ne sais pas encore, mais je suis certain que je trouverai des tas d’idées de représailles.

Vaincu, Paul baisse la tête, retenant la rage qui monte en lui.

Avec l’arrogance des vainqueurs, Ycare réitère sa demande :

- Monsieur Dumas me feriez-vous le grand honneur de me donner la main de votre fille ?

L’homme serre les dents.

- Oui.