Récit de Francion
D
(1) « Comment donc, mon cousin, tu es encore des nôtres ? Je te croyais mort ! » s'exclamait le fils d'Énée.
(2) « Oui, ô roi albain, je fus caché. Ma mère est morte plusieurs années après mon départ : elle qui aura, sa vie durant, vu s'en aller des hommes à la mort, finit par mourir de chagrin après ma fuite et la mort de son premier époux.
(3) — Une fuite ? Pourquoi, ô mon cousin ? Quelle affaire si urgente te pressait ? »
(4) Francion rassembla ses souvenirs : « J'en tremble rien qu'au fait que je doive m'en souvenir : horresco referens comme disent tes sujets !
(5) Voilà que Troie détruite, feue ma mère et moi-même sommes captifs des Grecs.
(6) Le roi Néoptolème des Myrmidons, le ci-devant roi Achille son père, et le roi Ulysse d'Ithaque veulent se venger, terminer leur ouvrage et déverser sur moi leur rage.
(7) Néanmoins, le roi Agamenon de Mycènes les en empêchent en revenant sur cette décision collective.
(8) Ma mère supplie pour qu'on nous laisse partir. Néoptolème attendrit, il nous prend en pitié et demande à avoir sa main pour faire d'elle sa reine.
(9) Mon oncle Hélènes, frère de mon père, devint aussi son esclave.
(10) Ma mère fut mariée deux fois, sans jamais oublier mon père ;
(11) j'eus trois frères du roi et un seul de mon oncle, à qui fut confié ma mère. Cétrin, dernier fils de ma mère, monta sur le trône avec elle.
(12) Mais la descendance d'Héllène redevint esclave : Pandrase mena ses armées et devint nouveau roi de toute la Grèce, de la Thrace à l'Épire en passant par les Égéennes.
(13) Moi, cela fait trente ans que j'ai quitté mon pays. J'avais dix-sept ans lorsque la guerre fut terminée,
(14) mais le roi d'Épire voulut ma perte car je n'étais pas de son sang.
(15) Seulement, le Très-Haut m'enleva dans un tourbillon et m'emporta jusqu'en Pannonie, sur les rives d'un fleuve appelé Danube.
(16) Là, Il me dit que les descendants de Priam sont prisonniers mais que je n'ai pas à m'en soucier : je dois continuer vers l'Ouest sans jamais me retourner.
(17) Il me donna comme guide Éos, ange de l'aurore aux ailes magnifiques.
(18) Ceulle-ci portait une épée à sa tunique : ille me la donna car c'était Durandal, épée de mon père,
(19) donc elle me revenait en toute légitimité. Ensuite, l'ange me dit que, dorénavant, je serai un homme franc, c'est-à-dire libre.
(20) C'est le long des rives du Danube que l'ange me guida et me mena à des gens qui m'attendaient depuis longtemps.
(21) En effet, il avait été prédit un roi ceux qu'on nomme les Sicambres, un grand peuple nomade qui devait connaître le prestige par la sédentarité.
(22) C'est ainsi que je fis poser la première pierre de Sicambrie, sur les bords du Danube,
(23) et fort rapidement, le peuple de la cité me surnomma affectueusement Francion, si bien que je décidais de prendre ce nom.
(24) Mon royaume s'étend du lac de Neusidel à Mohatch.
(25) Sur les rives du Rhin, il y a une ville qu'on nomme Bavay, fondée par Bavon le Brun, cousin de mon père que voici avec moi.
(26) Je ne savais pas, jusqu'à ce qu'un marchand venant de loin me l'apprenne, qu'il y avait une présence troyenne en cette partie du continent.
(27) Alors nous nous mîmes d'accord pour nous retrouver et nous pensâmes venir jusqu'à toi pour nous lier, vu que nous sommes tous cousins. »
(28) À ce récit, Ascagne embrassa ses cousins et leur promit une longue alliance entre leurs trois pays, car ils étaient du même sang,
(29) et ils pouvaient rester en son royaume aussi longtemps qu'ils en avaient le dessein.
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