Chapitre 1

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 Je suis arrivé de nuit dans la ville que l'on m'avait dépeinte tant de fois. Je vis la lourde porte, fourmillant de gardes, servant à entrer dans la cité ceinte de l'immense mur qui la protégeait du monde extérieur. J'étais déjà terrorisé par ce que je venais de vivre, mais face à cette muraille, je me sentais plus oppressé encore. Les garçons de mon village aimaient dire qu'il était impossible d'attaquer la cité grâce à l'invincibilité de ce rempart, et la légende locale voulait qu'il ait été érigé par les divins eux-mêmes. On nous laissa passer sans attendre. Je me souviens d'avoir entendu le ciel gronder et la terre trembler quand la porte s'ouvrit. Puis nous pénétrâmes dans la cité. Nous traversâmes les ruelles humides, passant entre les différents édifices de pierre pour arriver face à un immense et majestueux palais.

 Les gardes me traînèrent sans cérémonie au cœur de celui-ci, dans une salle majestueuse, vraisemblablement la salle du trône. Sa magnificence était saisissante ! Les murs étaient couverts de tapisseries encadrées de pan de soie rouge représentant des batailles épiques. Des colonnes de marbre blanc soutenaient un plafond voûté, et des statues de divinités, d'un réalisme à leur insuffler la vie, reposaient entre chacune d'elles.

 Malgré toute cette splendeur, cet endroit m’horrifiait ! La pièce était plongée dans une semi-obscurité, seulement quelques torches éclairaient les recoins les plus sombres. Les murs semblaient trop proches, pressant sur ma poitrine. J'avais l'impression d'étouffer ! Les ombres des statues semblaient se mouvoir sous la faible lumière des flammes, créant pour mes yeux d'enfant une danse macabre.

 Au bout de la pièce se trouvait le trône. De là où je me trouvais, il était difficile de distinguer les traits du roi. Mais je sentais ses yeux acérés me fixant tel un prédateur. À ses côtés, se tenait un homme, droit comme un piquet. Je pouvais discerner les inscriptions qui couvraient son visage et ses bras. Un sorcier, avais-je paniqué intérieurement en me rappelant des histoires que mon père m’avait raconté à leurs sujet. Mon cœur s'emballa. Je retins instinctivement ma respiration.

 J’entendis un grognement. Le roi fit un signe de la main. Le sorcier descendit alors pour me rejoindre. Il s'approcha, m’examina froidement, releva mon menton avant de le relâcher nonchalamment.

 J'étais frêle et de petite taille. Je tremblais de tout mon être, au bord des larmes.

 — Quel est ton nom ? s'enquit le roi, d’un ton tranchant alors que son maudit continuait de m’examiner.

 Je gardai le silence. Pas que j’eus oublié, mais la crainte m'étranglait. J’étais terrifié ! J'ignorais ce qui allait advenir de moi. J’étais déjà dans un nouveau monde, bien différent de celui dans lequel j’avais vécu. Que pouvait bien me vouloir le roi ? Il avait l'air si irrité. Ce qui me terrifiait le plus, c'était que son regard seul avait le pouvoir de m'écraser sous la peur, sa voix ne faisait que m'achever.

 — Alors ? ragea-t-il.

 — Je-Je n’en ai pas.

 Ce jour-là, je mentis. J'ignore les raisons qui me poussèrent à répondre ainsi. Sûrement pour me rebeller. Un acte vain qui ne me mènerait nulle part, si ce n’est l’illusion de garder un semblant de contrôle sur ma vie. Un acte stupide qui eut pour conséquence de faire disparaître avec le temps mon véritable nom, si bien que je l'oublierais moi-même.

 — À partir de ce jour, tu te nommeras Lenny, trancha-t-il sans tarder. Tu seras affilié à mon fils, le dieu Ezeroth. Le moindre écart et tu seras sévèrement puni, est-ce clair ?

 Je hochai simplement la tête, ce qui lui déplut, au vu de son regard noir, mais il ne releva pas plus.

 Le sorcier finit par soupirer avant de faire basculer ma tête en avant.

 — Ne bouge pas, ordonna-t-il.

 Je ressentis l’un de ses doigts glacial effleurer ma nuque pour y former un cercle. Puis il appuya son doigt au centre de ce dernier. Une douleur se propagea dans tout mon corps. Elle était telle qu'elle m'arracha la voix et me figea. C'était comme si on m'avait marqué au fer les cervicales. Aussitôt qu'il s'éloigna, tout redevint normal, la douleur avait complètement disparu.

 — N’essaie pas de t'enfuir, je t’ai apposé la marque de la maison de la malice. Si tu tentes la moindre échappée, tu sera neutralisé, expliqua celui-ci avant de retourner auprès du roi comme si de rien n'était.

 Je fus escorté jusqu'à ma chambre, une pièce exiguë remplie de mobilier délabré et d'un modeste tapis de paille. J'y restai cloîtré le reste de la journée, seul avec mes pensées, tremblant de peur.

 Plus tard, on me servit un modeste plat par l'entremise d'une petite ouverture dans la porte -j'étais enfermé à double tour-. La nourriture avait peu d'attrait et je n'avais pas faim, aussi la repoussai-je avec indifférence.

 La première nuit fut rude. Je n’avais presque pas dormi, agité par le souvenir ardent des flammes consumant mon village. De mon père me serrant contre lui alors que je regardais un homme à la peau de charbon s'écrouler au sol. De son souffle irrégulier et de ses yeux humides.

 Je fermais les miens, je ne voulais pas le voir. Mais les craquements des bâtiments engloutis par le feu et les cris d'agonie submergeaient le silence. Pour tenter de les faire taire, j'allais contempler les rues à travers l’unique et étroite fenêtre de ma chambre. J'observais les derniers passants rentrer chez eux. À chaque fois que je les voyais, j'enviais leur liberté, celle que j’avais perdue. Je les observais du haut de ma cage, envieux.

 Le jour suivant, je n’eus pas grand-chose à faire. Le matin, un garde m'avait informé des endroits où je pouvais me rendre et ceux qui m’était interdit. Ainsi, je passais la journée à marcher dans les jardins intérieurs ou à aller dans la bibliothèque. Bien que je ne sache pas lire, j’aimais essayer parfois. Le reste du temps, je réfléchissais à la manière dont je pourrais m'échapper de ce palais. Mais je n'avançais jamais plus dans cette réflexion. Les gardes foisonnaient et la marque qui ornait ma nuque me pétrifiait. J’ignorais ce que c’était, probablement une malédiction, mais je n’avais aucune envie de le découvrir. Et puis, j’ignorais tout de cette cité. Tout ce qui m’était donné de voir était la vue depuis ma chambre, une bien maigre portion de ce monde.

 Deux jours après mon arrivée, on m’escorta vers la chambre d’Ezeroth afin de lui être présenté. Le prince était parti en déplacement dans le royaume voisin avant mon arrivée. Indécis, je me tenais face à sa porte. Je lui imaginais un physique terrifiant : une taille hors normes, des dents aiguisées comme des rasoirs, des yeux aussi perçants que ceux de son père. Les gardes qui avaient peu de patience me réprimandèrent, me poussant en avant.

 Le cœur battant à mille à l’heure, j’entrai.

 Penché sur son bureau, il semblait inspecter les parchemins qui y reposait. Je remarquais les vêtements luxueux qu'il portait. Il revêtait une tunique aussi noir que la nuit, brodée d'étoiles étincelantes couleur argent. Une ceinture en cuir gravée d'inscriptions anciennes et incrustée de gemmes sombres ceignait sa taille. Il faisait une tête de plus que moi. Il avait des traits délicats avec des yeux aussi bruns que la fourrure d’un ours. Des cheveux d'ébène embrassaient son front.

 Sa chambre humait le santal, une odeur qui m'apaisait. Celle-ci n’avait d’ailleurs rien à voir avec la mienne, beaucoup plus grande et somptueuse ! Son lit était recouvert d'une peau de bête et de différents coussins brodé. Parmi les meubles raffinés, se trouvaient des étagères chargées de livres aux reliures richement ouvragées. Près d'une porte ouverte donnant sur un balcon, trônait une table en bois où étaient disposés ses parchemins et plumes. Des instruments de musique, soigneusement disposés dans un coin de la pièce, attirèrent également mon attention. Cette chambre me coupait le souffle !

Malgré mon entrée, il ne m’accorda aucune attention, trop occupé avec ces affaires. Il tapotait du doigt, tout en crayonnant des inscriptions.

— Votre majesté, votre sacrificiel est là.

Il tourna son regard vers moi et nos regards se croisèrent un bref instant, avant que je ne les abaisse aussitôt. Je n’ai eu que le temps de voir ses yeux cernés par la fatigue.

 — On m’avait prévenu de ton arrivée, dit-il las. Je suis Ezeroth. À partir de maintenant, tu me suivras comme ma propre ombre.

 Malgré son jeune âge, il donnait l'impression d'être un adulte. Sa manière de parler et l’aura du prince m’intimidait.

— Ce soir, et temps qu’en j’en jugerais bon, tu dîneras à mes côtés. En attendant, je suis occupé et je n’ai rien à te demander de faire. Tu peux retourner dans tes quartiers.

. J'acquiesçais avant de m'en aller à la hâte.

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 Je fus contraint de rester avec Ezeroth lors de ses temps libres et passe-temps. Que ce soit quand il allait lire à la bibliothèque ou lors de ces entraînements, je devais désormais être à ses côtés. Il ne m'accordait presque aucune attention, trop occupé dans ce qu'il faisait.

 Les semaines passèrent, rythmées par les obligations qui pesaient sur mes épaules de "sacrificiel" affilié à Ezeroth. Je m'habituais peu à peu à la vie aux côté du prince et une routine s'installa. Ce malgré l'ombre de ma famille qui continuait de suivre chacunes de mes pensées. J'avais l'impression de sombrer.

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