Chapitre VIII. Turbulences
Il est en complète symbiose avec l’Hermine, la machine est devenue son corps, jusqu’à ressentir le stress de l’hyperespace sur sa peau.
-Une seule chose à la fois, murmure-t-il, la sortie de saut puis l’explosion. Huit secondes d’intervalle, assez de temps.
Les muscles de ses épaules se crispent et les moteurs verniers passent en chauffe. Des fourmis lui parcourent le poignet gauche, c’est le stabilisateur qui n’est pas sortie. Il vide progressivement ses poumons et les générateurs diminuent l’émission d’énergie négative qui tapisse le tunnel hyper spatial. L’espace temporelle s’élargit, et l’écume de « l’Horizon », l’onde de choc entre les référentiels de temps, se forme sur la proue. S’ils ne la traversent pas très vite, le souffle de l’explosion a de fortes chances de déchirer l’enveloppe d’énergie négative qui les entoure. Ils se retrouveraient brusquement dans l’espace normal, ils apparaîtront voyager plus vite que la lumière, plus vite que la force électromagnétique qui maintient la cohésion de leurs atomes. Le résultat, dans leur jargon ils l’appellent « l’effacement » car la seule trace de leur existence ne pourra se trouver que dans les mémoires.
Le stabilisateur restant commence à émettre son champ d’annulation et l’enveloppe d’énergie négative entre en résonance avec l’Horizon, mais il s’aperçoit que non seulement la « carène négative » ainsi formée ne s’étend pas suffisamment sur l’avant du navire mais qu’elle n’est pas non plus symétrique. Le choc va être rude. Il ne peut attendre que Gen puisse forcer la puissance du stabo, il coupe les générateurs et l’Horizon se précipite brutalement sur eux. Il entend crier des mises en gardes. Une première « vague » déferle sur eux. Il la passe et se laisse glisser en douceur sur le dos de celle-ci. Un deuxième moins prévisible les prend de plein fouet, toute la structure hurle. Le pilote ignore les plaintes du navire et se concentre sur une nouvelle déferlante qu’il tente de surfer vers la sortie, mais son amplitude est trop importante et le « rouleau » se forme trop rapidement autour de l’Hermine au risque de l’entraîner dans ses turbulences. Le courant devient violent pour l’antenne de l’unique stabilisateur qui n’émet pas suffisamment pour empêcher l’Hermine de dérivée et la proue n’est bientôt plus alignée avec la sortie du tunnel. Dami a l’impression qu’on lui arrache les bras. Il croit lâcher mais soudain la tension se relâche, à ses côtés Iliam c’est à son tour connecté en symbio et partage l’effort. Le pilote retrouve suffisamment d’énergie pour relancer le navire vers sa trajectoire initiale. L’hermine gémit de plus bel sous la pression qui s’exerce sur sa coque.
-Ne me lâche pas ma belle, trois secondes.
Deux, un.
L’Hermine s’échappe brusquement de l’Horizon qui s’écroule sur lui-même, mais le retour à l’espace normal ne se fait pas en douceur. Trop de vitesse et entraîné par son inertie le vaisseau part en vrille sur trois axes. Dami n’a pas le temps de stabiliser la rotation effrénée que l’explosion trois ponts plus bas arrache une partie de la coque. Comme si cela ne suffisait pas, Le pilote sent soudain une dérive trop importante de la trajectoire déjà erratique du navire blessée.
-Safah ?
-Ce n’est pas bon, on est dans le champ gravitationnel d’une étoile. Une méga-balaise de géante bleu et tu n’as pas envie de savoir ce qu’il y a en orbite.
-Je vous donne une route dans deux secondes, le rassure la navigatrice
-Gen, J’ai besoin de puissance, je n’arrive pas à stabiliser la vrille. Les verniers ne répondent pas
-Les plasmas viennent de nous lâcher, redémarrage dans treize secondes. Les boucliers sont out. Bordel ! On décompresse en section cinq, le sas de la chambre ne répond plus. Le capitaine ?
- Plus tard, les plasmas d’abord, il nous faut sortir de ce piège.
-Il me faut casser la vitesse Gen. Ça vient ces moteurs ?
- En ligne !
Dami se débat avec l’Hermine pour la rendre plus docile et bientôt les étoiles cessent de virevolter à travers le pare-brise, mais il a à peine le temps de voir l’astéroïde, la manœuvre d’esquive n’empêche pas la roche de mordre la coque et d’en déchirer une partie. Sa vision se remplit avec horreur de roches noires. Il croit en percuter une seconde mais celle-ci se désintègre, puis une suivante disparaît soudain et c’est une tempête de lumière qui explose brutalement. Gunny l’artilleur vient de sortir ses outils de travail et taille une route au travers de la ceinture de roche avec tout ce que l’Hermine peut lui donner de crocs et griffes.
-On vient de perdre les senseurs dorsaux. Vernier tribord endommagé ou détruit. Dépressurisation sous contrôle annonce Gen en s’affairant sur ses claviers.
Le champ d’astéroïdes est bientôt laissé derrière et le pilote souffle en levant un pouce vers cette vieille baderne d’artilleur.
-Second, on est stable jusqu’à ce qu’on percute quelques choses dans le même genre que cette planète gazeuse qui ne veut pas nous laisser la priorité juste devant.
-Je vous transmets la route. Mettez-nous en orbite, on est trop amoché pour aller plus loin. Je n’ai même plus d’optométrie longue distance. Safah envoyez une équipe médicale dans ce qui reste de la section avant. Gen ?
-On ventile toujours, mais j’ai deux signes vitaux dans la section, fit-il excité, le capitaine et la petite Namuelle. Ils sont coincés dans le boyau de maintenance qui mène au nid.
-Capitaine ? Capitaine, m’entendez-vous ?
-Passerelle ? Comment on s’en sort ?
-On tient l’eau, quelle est votre situation.
-Nous allons bien, les autres ont pu sortir, mais le sas automatique de l’entrepont s’est refermé avant que Namuelle et moi ayons pu évacuer, la commande d’ouverture semble grillée, L’écoutille de la chambre a tenue et je ne sais pas comment elle tient encore parce que les joints sont morts et on perd de l’air, un moyen d’ouvrir le sas ?
-Ici Gen, Content de vous entendre ! Une équipe technique arrive pour vous ouvrir. En attendant il y a une écoutille intermédiaire dans votre section, Je ne peux pas la contrôler d’ici, les commandes semblent coupées, mais vous devriez pouvoir la refermer en manuel. Cela limitera la perte d’air le temps qu’on vous sorte de là.
-Reçue je ne suis pas sûre de pouvoir l’atteindre il y a énormément de débris.
Houarn s’assure que sa jeune mousse va bien. Au moment de l’explosion la petite a été jetée contre les parois comme un vulgaire paquet de chiffon et un hématome d’un bleu du plus bel effet commence à recouvrir sa pommette droite.
-On est en vie ? Murmure-t-elle.
-Ouais, je crois qu’on va devoir tous nous mettre à genoux devant Dami et lui offrir un culte pour le restant du voyage. Je dois fermer cette porte, attend là.
Un couinement tragique les fit sursauter.
-qu’est-ce que c’est ?
-Le sas de la chambre est en train de lâcher.
Une légère brise se fait soudain sentir.
-Et merde !
Des gaines techniques et de ventilations tordues et déchiquetées gênent l’accès à la porte intermédiaire.
- Aide-moi vite.
Un large conduit bloque le passage, Ils font de leur mieux pour essayer de le déplacer.
-Gen ?
-Capitaine.
- Je ne vais pas pouvoir atteindre la porte, j’ai une énorme gaine qui me barre le passage et cette garce ne veut pas se laisser bouger. As-tu trouvé un moyen de la fermer depuis la passerelle ?
-Négatif, j’essayais de vous ouvrir de l’autre côté. Est-ce que le sas tient encore ?
-Ça c’est l’autre mauvaise nouvelle.
Un silence.
-Namuelle ne pourrait-t-elle pas se faufiler ?
- Elle risque de se retrouver coincée. Non même pour elle c’est trop étroit.
- Pas bon, Pas bon, Pas bon…, pas de quoi faire un levier ?
-On a déjà essayé. Le sas du corridor tu ne peux pas l’ouvrir, c’est quoi le problème ?
-La structure a pris un sale coup, elle est tout simplement coincée dans son encadrement. Dites-moi, pour votre gaine, vous aviez des torches à découper avec vous ?
-On les a laissés dans le compartiment du stabilisateur et … et il n’y a plus de compartiment.
-Bon, bah y’a plus qu’à faire sauter le sas de l’entrepont.
-Faire sauter une porte anti-explosion ?
-Avec une charge creuse pour éviter la dispersion, mais vous derrière va falloir trouver de quoi vous planquer, on va y aller fort.
-Compris, tu nous donnes combien de temps ?
-Cinq minutes.
-T’as entendu, on va essayer de faire un mur avec les conduits pour se protéger de l’explos…
Ses pieds quittent brusquement le sol et si la « garce » de gaine ne bloquait pas le passage il eut été aspiré dans le vide. Le sas fatigué vient de s’arracher de ses gonds et l’air, bêtement respectueux des lois de la physique, s’obstine à vouloir combler la différence de pression avec le vide infini de l’extérieur.
Légèrement sonné, il repère Namuelle agrippée à un tuyau, le regard étrangement concentré.
-Namuelle ! Hurle-t-il par-dessus le sifflement de l’air
À la place de répondre, elle lui pointe du doigt le conduit qui le retient de s’envoler. Il a bougé, sans doute sous le choc de son poids combiné au déplacement de l’air. Maintenant l’interstice entre la gaine et le mur s’est élargi. Encore trop étroit pour lui mais pas pour Namuelle. Il comprend soudain ce que la jeune fille a en tête.
-Ne va pas me faire une connerie… ! Hurle-t-il par-dessus le rugissement de l’air.
Elle lâche le tuyau et les turbulences l’emmènent.
Le capitaine surpris et horrifié essais de l’attraper au passage, en vain.
Il la croit partie pour le grand sombre, mais bientôt les turbulences cessent tandis que la porte de secours se referme.
-Namuelle ?
Pas de réponse.
-Namuelle !
Un son plaintif lui parvient enfin.
-Je crois que je me suis pétée le bras.
-Ok ma puce, tu ne bouges pas. Gen ! Fais-moi sauter ce sas maintenant, il me faut une équipe médicale au pas de course, Nam est blessée !
-On y est quand vous vous voulez.
Il s’acharne frénétiquement contre la gaine qui lui cède finalement le passage et rejoint la jeune fille. Namuelle est pâle, elle se tient le bras gauche qui forme un angle qui ne correspond pas la position qu’un bras devrait avoir. Une tache rouge s’élargit sur la manche de son polo depuis l’endroit où l’os à transpercer la peau.
-Je me suis juste cognée, geint-elle bravache.
-On va s’occuper de toi.
Il attrape un épais morceau d’isolant pour s’en couvrir et enlace la petite pour faire un bouclier de son corps.
-Vas-y Gen !
La porte vole en éclats, la majorité des shrapnels sont stoppés par la gaine, d’autre traverse la faible protection d’isolant et viennent se ficher sans danger dans la combinaison renforcée empruntée aux démineurs. Mais le souffle lui écrase les tympans. Ce n’est pas la première de ses explosions, il en a vu d’autre de bien plus près. Peut-être trop vus d’ailleurs, car lorsqu’il sent dans ses bras Namuelle tressaillir, l’une de ces conflagrations intimes décide de revenir exploser dans sa mémoire. L’onde de choc parcoure les années et pulvérise sa raison. Namuelle dans ses bras est sans connaissance, il ne reconnaît plus son visage éteint, il en voit un autre. La détresse le fait hurler.
-Aelle ! Aelle !
Ses nerfs explosent d’un seul coup et le redoutable capitaine Houarn disparaît pour redevenir un père. Les hurlements d’un animal blessé lui traversent la gorge
L’équipe médicale essaie de lui retirer Namuelle des bras. Il résiste.
-Ils me l’ont prise, ils me l’ont prise.
-Capitaine, Capitaine ! Bon sang il faut qu’on l’emmène !
Houarn les regarde, hébété. Brem le saisit par les épaules.
-Ce n’est pas Aelle ! Ka, ce n’est pas elle !
Il veut s’accrocher à sa vision, mais le bosco continue.
-Elle est morte Ka ! Aelle est morte !
Finalement le souvenir se déchire douloureusement sur la réalité.
-Mais qu’est-ce que je fous ! Emmenez-la.
Il se laisse glisser sur le sol le long de la paroi, une main sur les yeux et reste silencieux jusqu’à ce que le corridor et son esprit se vide.
-J’étais là-bas, Brem
-Flashback.
-Je croyais en avoir finis avec ça.
Le gaillard se laisse choir à son tour près de son capitaine.
-Non, on n’en finit jamais et plus ils se font rares plus ils font mal.
-La petite, quand le corridor a décompressé, elle a lâché prise pour attraper la fermeture manuelle. Si elle avait raté son coup elle se retrouvait dehors … Petite conne.
-Sacrée loustic c’te môme, tu t’attaches a elle hein ? Je l’ai senti dès que je t’ai vu arrivé avec.
- Je n’ai pas ce genre d’attache, elle fait partie de l’équipage comme n’importe qui d’autre.
-Ah ouais, alors il faudra que tu m’expliques pourquoi tu viens de prendre Namuelle pour ta fille.
-Je sais.
-Ah ! Elle t’a sauvé la couenne.
-Ouais, c’est la deuxième fois qu’un de mes mousses me la sauve aujourd’hui. Comment va Ruty ?
-Je n’en sais rien encore, ils viennent de l’emmener aussi. Je vais aux infos.
-Tiens-moi au courant. S’il reprend connaissance, essais de savoir ce qui s’est passé. Je serais sur la passerelle. On n’est pas encore sortie d’affaire.
-Ça va aller ?
-Ne te fais pas de bile. Si ça me reprend, il doit y avoir une camisole à traîner quelque part.
-Va voir le doc, il pourra te filer un truc.
-Ce n’est pas le moment d’être stone. On a un saboteur à bord, un qui veut crever avec nous.
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