Epilogue
Deux jours avant le solstice, Gvär rendit discrètement visite à Thoron, enfermé dans sa cage. Il faisait pitié à voir. Son corps squelettique, les yeux enfoncés au fond des orbites, les dents déchaussées et la tignasse hirsute. Pourtant sa bouche édentée se fendit d’un large sourire quand son meilleur ami lui annonça qu’il était sauvé.
[…]
C’était le grand soir, celui de la fête annonciatrice de la saison d’été, et le banquet allait bon train. Gvär demanda la parole. Le brouhaha était total. Un vieux sage tenta de faire taire l’assemblée, mais personne ne l’entendait. Un autre s’égosilla sans succès. Finalement, Gvär monta sur une table, saisi un gros récipient en terre cuite et le frappa plusieurs fois avec un fémur de mouton. Le bruit fini par se calmer et les regards se tournèrent vers le jeune fermier. Il se racla la gorge et se lança.
- Mes amis, dit-il, j’ai une annonce à vous faire. Thoron n’est pas le responsable de la mort de notre chef. Voilà ce qu’il s’est passé. Notre chaman a convaincu Juric qu’il devait être béni des dieux sous le dolmen pour devenir un bon chef. Cette nuit-là, Juric l’a suivi sur le site. Nemneas avait demandé à Kämna de se cacher derrière le chantier armé d’un silex. Le chaman a ordonné à Juric de se placer sous la grosse pierre, puis il s’est livré à ses incantations, en demandant à Juric de joindre les mains sur sa poitrine et de fermer les yeux. Pendant ce temps-là, son fidèle serviteur s’est approché et a scié la corde qui retenait la grosse pierre. Juric est mort sur le coup, écrasé.
Dans un silence total, l’assistance regardait le fermier, médusée.
Puis, Gvär raconta comment le chaman changea ses plans lors du passage du marchand de sel. Il préférait avoir un stock de sel pour améliorer l’ordinaire plutôt qu’une tunique, que de toute façon il ne pourrait pas porter, trop identifiable qu’elle était aux yeux des autres villageois. Il fit ainsi garder le stock de sel par son acolyte pour ne pas éveiller les soupçons.
- Voilà la vérité mes amis, voilà ce qu’il s’est passé.
Pendant un instant, Gvär se demanda si on l’avait cru. La femme de Thoron, la première, brisa le silence et poussa un cri libérateur. Puis une autre personne hurla sa joie. Puis d’autres. La clameur s’intensifia. La foule était conquise par la démonstration. La vérité avait enfin éclaté.
Aussitôt, deux hommes se rendirent là où Thoron était enfermé. Il fut libéré et porté à ses amis, n’ayant plus la force de marcher.
Deux autres s’emparèrent de Nemneas, le soir même il fut décidé de le chasser du clan.
Gvär demanda de la mansuétude pour Kämna, qui n’était que le jouet du chaman.
Dans l’élan de cette soirée mémorable, un conseil des sages fut improvisé pour désigner le successeur de Juric. C’est ainsi que cette année-là, pendant le solstice d’été, à l’unanimité et à son corps défendant, Gvär fut élu nouveau chef du village.
[…]
Pendant que se déroulèrent ces faits dans les contrées verdoyantes de ce qu’on l’on nommera plus tard la France, loin, très loin, naquit la 1re dynastie des Pharaons d’Égypte. Mais ceci est une autre histoire.
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