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Tomoe jeta un coup d’œil en dehors de la pièce sécurisée. Elle y trouva une vingtaine de fantômes prêts à en découdre. Kagi s’approcha d’elle :
- Recule, ils ne sont plus eux même. Le Yokai a le dessus en ce moment.
Elle referma la porte de lianes et se coucha sur le sol.
- Ça vous dérange pas qu’on se pose dans une pièce où il y a un corps ? Je vous avoue que ça me répugne, expliqua le chef de groupe réprimant un haut-le-coeur.
- On n’a pas vraiment le choix. On va pas le foutre dehors... En tout cas, moi, j’y touche pas. Suffit de rester à l’opposé de la pièce.
La petite bande prit une pause, essayant tant bien que mal de se détendre. Au bout d'un long moment de silence, Nori sentait qu'il devait aborder un sujet qui le tracassait. Il ne savait pas vraiment comment l'aborder. Plus le temps passé dans le temple s'écoulait, plus il se sentait coupable de son comportement. Il se tourna vers Kagi.
- Tu... Tu as appelé Tomoe "chérie" tout à l'heure... Vous... Vous êtes ensemble ?
Le couple échangea un regard inquiet. Ils avaient caché leur relation pour éviter que Nori ne s’énerve. Tomoe fut la dernière à intégrer la bande, il y a cinq ans de ça. À son arrivée, Nori avait établi des règles claires : aucune relation amoureuse dans le groupe. D’après lui, cette situation pouvait engendrer la perte de leur petite entreprise. Il voulait à tout prix éviter ce cas de figure. Pour le chef de groupe, c’était plus qu’une simple histoire de notoriété. La chaîne lui avait permis de sortir de son cocon, mais surtout de garder contact avec ses deux meilleurs amis. Il l’avait créé juste après la fin du lycée. À l’époque, il sentait que ses amis partaient tous vers de nouveaux horizons et avait peur de se retrouver seul, de perdre leur amitié si précieuse. C’est pour cette raison qu’il avait établi cette règle, que Kagi et Hito n’avaient jamais vraiment compris.
- Ça fait un peu plus d’un an. On voulait pas te le cacher, mais t’avais mis un point d’honneur sur "pas de relation dans le groupe" qu’on avait peur de ta réaction, s’exclamait Tomoe d’un seul souffle.
- Je comprends... Hito le savait ?
Kagi s’approcha d’un pas hésitant vers Nori.
- Écoute, je sais qu’on aurait dû te le dire, mais je ne savais vraiment pas comment aborder le sujet. On ne voulait pas que tu quittes la bande à cause de ça...
- Je... Je comprends et... Ça fait vraiment plus d’un an ?
Tomoe et Kagi répondirent en hochant la tête.
- Waouh... Je ne m’en doutais pas une seconde. Je veux dire... Je savais qu’il se tramait quelque chose... Les messes basses, les soirées où vous n’étiez pas disponible... Mais comme Hito jouait le jeu aussi, je ne pensais pas que c’était parce que vous étiez en couple... Je pensais que vous... Je peux être parfois trop autoritaire...
Nori fit les 100 pas dans la pièce. Le couple restait silencieux, comme dans l’attente de leur jugement.
- Peut-être que j’avais tort... Si ça fait plus d’un an et que je ne l’ai même pas vu, c’est que vous aviez eu l’intelligence de garder ça en dehors de... tout ça. Je... je m’excuse.
Kagi ne s’attendait pas à cette réponse. Il pensait sincèrement que Nori allait leur en vouloir. Il était loin de s’imaginer qu’il se confondrait en excuses.
- Et nous... On s’excuse de ne pas te l’avoir dit.
- J’ai fait beaucoup de conneries, hein ? Je vous ai empêché de vivre votre histoire sereinement, j’ai empêché Hito de partir aux États-Unis pour continuer la chaîne, je vous ai emmené ici et maintenant, il est... parti... Je fais tout de travers. Je suis égoïste...
Tomoe prit Nori dans ses bras tandis que Kagi essayait de trouver les mots pour le réconforter.
- Mec, t’as été notre ciment pendant toutes ces années. C’est aussi grâce à toi qu’on est ensemble. Sans toi, je n’aurais jamais rencontré Tomoe et je ne vivrais pas cette incroyable histoire d’amour. Je n’échangerais ça pour rien au monde. Hito, lui, il n’est pas parti aux États-Unis parce qu’il préférait rester. Et... il faut que tu saches autre chose...
Nori releva la tête, prêt à encaisser une autre conséquence de sa petite dictature. Il prit une grande bouffée d’air.
- Quand j’ai parlé à Hito, en touchant cette plante, il m’a dit que ce n’était pas de ta faute, que je ne devais pas t’en vouloir, que tu ne pouvais pas savoir. Si lui ne t’en veut pas, alors tu ne devrais pas t’en vouloir non plus.
Nori éclata en sanglots. Toute cette culpabilité commençait vraiment à le peser. Il avait pensé à se laisser toucher par un de ses fantômes pour rejoindre Hito et payer sa dette. Il avait même espéré, lorsqu’il s’était mis entre Hito et l’un des esprits plus tôt dans la nuit, qu’il l’emporterait avec lui. Savoir que son ami ne lui en voulait pas, qu’il ne le tenait pas pour responsable, lui enlevait un poids immense sur les épaules.
- Ça va aller ! On va finir par sortir de là. Hito ne sera pas mort pour rien.
Kagi enlaca son ami afin de lui donner un peu de réconfort. Le caméraman n'avait jamais imaginé que Nori puisse en avoir autant sur le coeur. Pour lui, Nori ne regrettait jamais ses choix, il le voyait comme une force que rien ne pouvait ébranler. Le voir pleurer ainsi, le chamboulait d'autant plus qu'il ne l'avait jamais vu verser une seule larme.
Le chef de groupe se releva, soupira, essuya ses larmes et se tourna vers Kagi.
- Je n'ai pas toujours fait les bons choix, mais il est temps de prendre le taureau par les cornes. Il faut qu’on venge la mort d'Hito, il faut qu'on trouve ce qu’androcée veut dire.
- Je pourrais chercher sur Internet, mais on n’a aucun réseau ici, expliqua Tomoe.
- On pourrait demander aux fantômes, proposa Kagi. Je pourrais de nouveau toucher la plante.
- Non, hors de question ! T’as vu ce que ça a fait au dernier survivant ? Ça l’a tué à petit feu. Je vais le faire.
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