9 - Perdre un être cher
- Papa ! Papa ! hurlait une fillette. C’est quand qu’on arrive chez tonton ? Hein dit ! dit ! dit !
- Haha. Patience ! on y est presque ! il ne faudra pas faire trop de bruit par contre. Tonton est dans une bibliothèque
- Pourquoi il ne faut pas faire de bruit dans une bibliothèque ?
- les gens qui vont à la bibliothèque travaillent et ont besoin de silence, du coup il ne faut pas les déranger
- Compris ! cria-t-elle
Ils arrivèrent à un imposant bâtiment au centre de la ville, dessiné comme un grand temple dédié au savoir. A l’intérieur une voute surplombait trois étages d’étagères, une grande allée donnait vue aux fresque, tandis que des allées permettaient de sortir de petits labyrinthes de livres pour se retrouver sur les tables communes. La fillette se mit à courir un peu partout, cherchant son oncle. Le père essayait tant bien que mal de la suivre, pour finalement arriver face à un jeune homme aux cheveux long, le visage fermé.
- Tonton ! elle sauta contre l’homme qui fut surpris avant de l’accueillir d’un grand sourire
- Ma petite Alicia ! shhh. Il ne faut pas faire de bruit dans la bibliothèque. Bonjour Hervé également.
- Salut Alexandre. Comment ça va ?
- Je prépare mon concours d’entrée aux sous-officiers, c’est pas super simple, mais bon. Je m’accroche.
- ils te laissent avoir les cheveux si longs à l’examen ?
- s’il faut les couper je les couperais mais pour l’instant personne ne me dit rien, donc bof.
- Tonton ! Tonton ! On va à la pêche ? Papa m’a dit qu’on irait pêcher !
- Aha ! c’est bien vrai ! mais pour l’instant tonton est en train d’étudier, un peu plus tard si tu veux.
Un membre du personnel s’approcha du petit groupe
- Monsieur Greman ? les deux hommes se retournèrent. Je vous ai déjà prévenu deux fois pour le bruit. Veuillez sortir s’il vous plait.
- On dirait qu’on va pouvoir aller à la pêche plus tôt que prévu ! fit l’oncle
Ils quittèrent les lieux pour se promener en centre-ville, puis allèrent à l’appartement de Greman. Quelques affaires trainaient ci et là mais tout était rangé. Après un bref repas, ils prirent le chemin de la rivière la plus proche et attrapèrent des poissons pour le plus grand plaisir de la petite. Hervé discutait de tout et rien, d’une nièce qu’il avait du côté du frère de sa femme, qui avait l’air très intelligente pour son âge, du fait qu’il allait être adjoint au maire l’an prochain si les choses continuaient dans le même sens, de la santé de leur mère qui déclinait depuis le décès de leur père.
Une bonne année plus tard, Greman eut un appel de l’hôpital central, alarmant sur un terrible accident, un pont avait été saboté plus tôt dans la journée, bien qu’il était au courant de l’évènement, il ne pensait pas un instant que son frère, sa femme et sa nièce étaient pris dedans, et fonça à leur chevet. A la réception, on lui apprit le décès de son frère et son épouse, Alicia quand à elle était dans le coma. Il priait, il espérait un miracle, qu’on lui laisse au moins sa nièce, et au bout que quelques heures sa prière fut exaucée. Il vit l’enfant bandé de partout, le visage lacéré, des tuyaux dans le corps. Elle était vivante, c’est tout ce qui comptait pour lui. Il hésita à cacher la mort de ses parents, mais préféra être franc avec elle pour ne pas la blesser.
Il prit en charge l’enquête du pont, mais elle fut rapidement classée comme un accident terroriste d’un groupe actif ses dernières années, ce qui le frustra. Et se mit à chercher plus profondément, sans succès. Afin de ne pas laisser Alicia seul, il l’adopta, et fit en sorte d’être le plus présent que possible, il lui racontait des histoires d’enquêtes plus ou moins farfelues et lui demandait de les résoudre, et le temps passa.
- Alors ? prête pour une nouvelle journée ?
Lui demanda Greman. L’adolescente ne répondit pas, elle était absorbée par les passants à l’extérieur, vide d’expression
- Alicia ? tout va bien ?
- Ho. Oui ne t’en fait pas. Elle colla son front contre la vitre
- qu’as-tu en tête ?
- devine.
- tu penses à ton père, ta mère et tous les autres ?
- bingo. Tu n’es pas inspecteur pour rien, tonton !
- Et je suis également sûr que tu es actuellement jalouse des enfants tenant les mains de leurs parents, n’est-ce pas ?
Elle ne fit qu’un oui de la tête
- Je comprends. Sans problème. Lorsque les collègues parlent de repas de famille, je me sens très jaloux aussi.
Elle continuait de regarder à la fenêtre, le visage plus fermé.
- Mais je t’ai toi, gamine. Et c’est tout ce qui m’importe. Je ne laisserais personne te faire du mal.
Elle se décrispa et eu un grand sourire.
- Je suis en train de penser tonton, je crois que ma cousine est toujours en vie elle aussi, j’ai cru voir son visage sur des vidéos en ligne
- Vraiment ? tu veux qu’on la cherche pour savoir où elle est ? des fois qu’on puisse l’aider si elle en a le besoin
- Je ne sais pas. Il me semble qu’elle est chez un parrain à elle, mais je ne sais pas qui c’est. Je ne me souviens pas de son prénom non plus. Et puis… je n’ai pas vraiment envie de partager ma chambre avec quelqu’un que je ne connais pas.
- Parce que tu crois que je suis ravi de partager mon appart à quelqu’un qui se plaint tout le temps qu’il est mal rangé ?
Elle se mit à rire
- mais c’est chez moi ici ! ça a toujours été moi qui range tout ici depuis le début !
Greman se réveilla soudainement. Il ne s’était pas senti aussi vieux depuis un long moment. Il contempla son appartement plein à craquer de dossier qu’il devrait ramener aux archives, d’affaires usagées, de papiers périmés, de prospectus, de poussière recouvrant une partie qu’il n’a plus accédé. D’instinct, il tourna la tête vers la chambre de sa nièce. Il se leva du fauteuil, et entra dans cette petite chambre pleine de poussière. Il se tenait debout. La mine sombre, au pas de la porte. Il s’avança jusqu’à la fenêtre, et regardait les passants.
- Oui. Je sais ce que tu ressens. Ce n’est pas le manque de tes parents. Dit-il. C’est la solitude, que tu ressens. Et c’est ce qui te détruit. N’est-ce pas ? Je suis désolé gamine. Je n’ai pas pu te protéger, et pour couronner le tout, je ne peux même pas te venger. Je n’ai rien pu faire. Pour personne. Ni ton père. Ni ta mère. Ni toi. Et encore moins pour moi. Je voudrais qu’ils payent. Tous.
Annotations
Versions