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— L’arrivée à Bhencheloul fut un choc. Proche des zones rebelles, il était ceinturé d’une double clôture de barbelés électrifiés. Le lieutenant Legarec qui nous en fit faire le tour nous montra une chèvre explosée, encore accrochée à ces piques. Puis, il nous présenta Abdel, le chef du maghzen, le groupe de supplétifs, les moghaznis, chargés de la protection du camp et des populations. Une infirmerie attendait nos compétences, ainsi que l’école, dotée de deux classes. Tout était à reprendre, car l’ancien lieutenant était rentré en métropole avec sa femme. Nous étions cinq Français et seize supplétifs, tous enthousiastes pour créer une oasis de paix dans cette tourmente.

— La joie sur ton visage devait refléter la mienne ! Apprendre à ces gosses les rudiments de la lecture et du calcul était un plaisir, tellement leur avidité d’apprendre était grande. À l’infirmerie, nous hésitions devant le médicament à donner. On nous amenait des bambins dans un sale état. Un sourire, de l’aspirine étaient nos meilleurs et seuls remèdes. Le lieutenant se démenait pour trouver de la nourriture. Mais nous y arrivions ! Les moghaznis jouaient les interprètes et nous corrigeaient dans nos tentatives, si bien que rapidement un charabia de base se mit en place.

— En deux mois, nous avions notre rythme de croisière, juste avant l’hiver. Nous le redoutions, plus pour eux, dans leurs baraques de tôles et de toiles, que pour nous.

— Tout bascula, encore une fois, avec l’arrivée d’une compagnie du 6e RPC.
Notre camp recelait des rebelles, au moins des partisans. Nous le savions, mais on partageait la volonté d’ignorer qui pensait quoi, ou qui faisait quoi. Une grande tranquillité régnait dans notre camp, hormis de petites disputes de voisinage ou les cris déchirants à la mort d’un enfant, hélas trop fréquents.

— Le lieutenant du 6e RPC nous expliqua qu’il fallait éradiquer les mauvais. C’était sa mission. Nous n’avons pas compris, ou voulu comprendre. Ils ont demandé à Abdel de les suivre, pour les aider. Ils avaient annexé une des salles de classe. Les moghaznis ont compris avant nous. Ils ont disparu. Puis nous avons entendu les premiers cris. Réaliser ce qui était en train de se passer était impossible. Au soir, après des heures, trois hommes sont partis avec Abdel. Le capitaine est revenu vers nous, l’air satisfait. Ils avaient obtenu tout ce qu’ils voulaient. Il demanda à voir deux autres supplétifs. Il nous menaça du conseil de guerre en apprenant leur disparition. Les trois militaires sont revenus, seuls. Nous avons dû préparer le repas et le partager avec cette dizaine de soldats qui portaient le même uniforme que nous. Nous appartenions à la même caste, au même pays. Quelle honte.

— Ils sont restés une semaine. Ils ont questionné et tué une vingtaine de pauvres gars. Ils sont répartis furieux. Il n’y avait que du malheur et de la misère dans ce camp, rien d’intéressant pour les rebelles. Il suffisait de regarder et de réfléchir.

— Nous nous sommes sentis obligés de nettoyer la salle de « classe », comme si nous étions responsables de ce qui s’y était passé. C’était un peu le cas. Nous avions laissé faire.

— Les moghaznis sont revenus. Nous avons essayé de redémarrer, mais il y avait une fracture entre nous.

— Une semaine après, nous avons été convoqués par notre capitaine. Il y avait eu un rapport accablant sur nous, surtout pour le lieutenant Legarec : nous étions accusés, à demi-mot, de collusion avec l’ennemi. Faute de preuves, on ne pouvait pas nous juger. Le capitaine nous fit comprendre qu’il nous avait défendus. La sanction était une mutation dans un autre SAS. Il accepta que nous restions ensemble. Notre libération était dans trois mois, la situation politique compliquée, alors il a fait au plus simple.

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